Bordeaux : quand l'histoire de l'esclavage et du négoce colonial se retrouvent

Témoignage poignant de deux femmes : l'une est descendante d'esclaves, l'autre est descendante d'un négociant colonial. Un documentaire inédit sur la traite négrière est diffusé à l'occasion de la journée nationale de commémoration des mémoires de la traite, de l'esclavage et de leur abolition.

Naissance d'un film

Le documentaire "Au nom de nos ancêtres, esclaves et négociants" est l'histoire d'une rencontre entre deux personnes et l'Histoire avec un grand H. Une rencontre entre une descendante d’esclaves, Aurélie Bambuck, et une descendante d'un négociant colonial, Axelle Balguerie. Elles partagent d'une certaine façon la même histoire mais du côté opposé puisque leurs ancêtres ont participé à la traite négrière transatlantique, rouages du système esclavagiste colonial.

Dix générations plus tard, l'une a fait un pas vers l'autre. De cette rencontre a  émergé l'idée de poser leur regard respectif sur un passé commun, avec la volonté d’expliquer. Pour avancer ensemble...

Un film était né. Et c'est Aurélie Bambuck qui l'a signé. 

Lors d'un voyage en Martinique en 2020, j’ai découvert les restes des statues de personnages de la France coloniale, négrière, aujourd’hui réduits en poussière avec des inscriptions dénonçant l’esclavagisme, demandant réparation. J’ai alors ressenti toute la colère et l’injustice face à l’oubli, au silence d’une histoire sombre qu’il serait temps de mettre dans la lumière pour expliquer le rôle de chacun. Car je ne veux pas m’arrêter à mes ancêtres, je veux donner à voir un tableau le plus complet possible de cette société, un tableau ni noir ni blanc, mais rempli de nuances. C’est la raison pour laquelle je suis entrée en contact avec la descendante d’un armateur colonial bordelais.

Aurélie Bambuck, réalisatrice

Deux histoires opposées et liées

Aurélie Bambuck est journaliste à Radio France. Fille de deux champions d'athlétisme (Ghislaine Barnay et Roger Bambucket originaire des Antilles, elle a depuis longtemps voulu en savoir plus sur ses «branches taboues», celles mentionnant des ancêtres esclaves. Mais, en évoquant ses racines, ses parents ne sont jamais remontés jusqu’en Afrique. Elle s'en est rendu compte en interrogeant son père sur son premier voyage de sportif en Afrique qui n’avait alors pas eu conscience d’être sur la terre de ses ancêtres lorsqu’il a couru à Dakar au Sénégal. “Etre considéré comme descendant d’esclave était une honte".

Elle a alors décidé qu'elle irait plus loin dans cette quête de ses origines et de l'histoire de sa famille.

Axelle Balguerie, quant à elle, partage le tabou vécu par ses parents alors que ses ancêtres se sont retrouvés du coté des exploitants : ils étaient négociants et armateurs. Mais pas négriers. Mais le nom de sa famille y est pourtant associé.

Il faut éviter de stigmatiser les noms des descendants des armateurs négriers.

Axelle Balguerie

Elle subit aujourd’hui cet héritage. On lui reproche des crimes passés dont elle n’est pas responsable. Une rue du centre-ville de Bordeaux porte le nom de sa famille : le cours Balguerie-Stuttenberg. Certains aimeraient que ce nom soit supprimé. Elle pense que ce n'est pas la solution. Plutôt expliquer pour mieux comprendre.

 

Expliquer pour comprendre

Dans cette quête mutuelle de vérité et de transparence, aidées par des historiens, des écrivains, des musiciens, des généalogistes pour retracer leur histoire, Aurélie et Axelle reproduisent dans ce film un tableau tout en nuance, entre les deux rives de l’Atlantique, à travers les vies de leurs ancêtres et le passé sombre dans le but de mieux éclairer l’avenir. 

Axelle et moi avons décidé de replonger dans nos racines.

Aurélie Bambuck

Entre Bordeaux et les Antilles, les deux descendantes remettent leurs pas sur ceux de leurs ancêtres et donnent une âme à une histoire tragique, certes, mais à une histoire nuancée de l’humanité où chacun a sa place.


La canne à sucre, voilà ce qui nous relie : ce que plantaient mes ancêtres et ce que vendaient tes ancêtres puisque le sucre revenait à Bordeaux.

Aurélie Bambuck

Un regard croisé, une histoire de dialogue mais, avant tout, de réconciliation pour enfin tourner la page et avancer.


Bordeaux et son passé négrier

Bordeaux porte dans son passé le rôle de port négrier. En effet, entre la fin du 17e siècle et le début du 19e siècle, 480 expéditions négrières ont été recensées au départ de Bordeaux, représentant environ 150 000 africains déportés pour être mis en esclavage dans les anciennes colonies d'Amérique. 

La ville de Bordeaux a longtemps été accusée, sinon de nier, de passer sous silence son passé esclavagiste. Mais au fil du temps, pour y remédier et assumer, plusieurs marques de la reconnaissance de ce passé peu glorieux se sont inscrites dans la ville.

En 2005, un buste offert par la république d'Haïti de Toussaint Louverture, héros de la guerre d'indépendance d'Haïti (dont le fils, Isaac, vécut à Bordeaux) a été installé dans un square à son nom, rive droite, face à l'entrée principale du jardin Botanique.

Puis, en 2006, une plaque a été inaugurée quai des Chartrons.

Et en 2019, une œuvre mémorielle en la statue de Modeste Testas, une adolescente originaire d'Afrique de l'Est mise en esclavage par deux frères bordelais au 18e siècle, a été érigée sur les quais de Bordeaux.

Cette même année, six plaques ont également été apposées dans les rues portant les noms des négriers. Pour ne pas oublier... 

Ce passé, Karfa Sira Diallo, fondateur de "Mémoires et Partages" et conseiller régional de Nouvelle-Aquitaine, intervenant également dans le documentaire, ne se lasse pas, dans les rues de Bordeaux, de le faire savoir. Un devoir de mémoire.

Une mémoire apaisée

Ce documentaire "Au nom de nos ancêtres, esclaves et négociants" permet d'apporter un éclairage sur ces vies cachées et/ou oubliées qui participent à l'histoire de la France. Entre témoignages et images d'archives, le film remonte le parcours de mémoire. Entre les récits de l'une et de l'autre des protagonistes qui se croisent et se complètent, la conversation se transforme en réconciliation.

Loin du règlement de compte, Aurélie Bambuck et Axelle Balguerie se donnent pour devoir de transmettre une mémoire apaisée. 

Axelle et moi avons appris, compris et accepté ensemble ce passé.

Aurélie Bambuck

Avant de découvrir "Au nom de nos ancêtres, esclaves et négociants" diffusé jeudi 5 mai à 22.35 sur France 3 Nouvelle-Aquitaine, regardez en avant-première les premiers instants du film ci-dessous.

durée de la vidéo : 00h01mn09s
teaser Au nom de nos ancêtres ©Enfant Sauvage

En replay sur France 3 Nouvelle-Aquitaine pendant un mois après sa diffusion sur francetv.fr

Un film réalisé par Aurélie Bambuck

Production : Enfant Sauvage Productions et Day for night Productions

Diffuseurs : Pôle Outre-mer de FTV, NoA, France 3 Nouvelle-Aquitaine et TV5 Monde

Avec la participation du CNC.

Avec le soutien du Ministère des Outre-Mer et de la Procirep-Angoa.

Label de la Fondation de la Mémoire pour l’Esclavage.

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