"C'est un milieu ultra-violent" : trafic de drogue en "quantité industrielle", insalubrité, cette prison toute neuve ne tient pas ses promesses

Six mois après le transfert des premiers détenus dans le nouveau centre pénitentiaire de Gradignan, les problèmes s'accumulent. Pannes techniques, infiltrations d'eau, manque de personnels, taux d'occupation de 144%, les nouveaux bâtiments ne tiennent leurs promesses. Une situation qui inquiète le personnel pénitentiaire.

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"On a un bâtiment tout neuf, mais c'est du grand n'importe quoi" constate Francis Vandenschrick, représentant syndical FO pénitentiaire au centre pénitentiaire de Gradignan. Le 20 mai dernier, 300 détenus de la prison de Bordeaux-Gradignan ont été transférés dans les locaux tout neufs du NCP (nouveau centre pénitentiaire), construits sur le même domaine. Vétuste, le bâtiment B où ils étaient incarcérés jusqu'alors a été rasé. En attendant la livraison, prévue pour fin 2026 ou début 2027, du deuxième bâtiment du NCP, les cellules des six étages du bâtiment A, tout aussi vétustes, restent occupées.

Depuis la mise en service des nouveaux locaux, problèmes sur le bâtiment et dysfonctionnements techniques s'accumulent. "Il y a des pannes récurrentes sur les ouvertures de portes, les fréquences radio entre l'ancien et le nouveau bâtiment sont incompatibles et ça empêche le personnel de communiquer et le bâtiment neuf se dégrade très vite", déplore Ronan Roudaut, représentant syndical UFAP (Union Fédérale Autonome Pénitentiaire). "Cet été, dans les bâtiments administratifs, il a fait jusqu'à 30°C. Il n'y a pas de climatisation dans ces locaux qui sont censés fonctionner en auto-régulation thermique", ajoute Francis Vandenschrick.

Défauts d'étanchéité

À peine six mois après l'entrée des détenus et des personnels pénitentiaires, les nouveaux locaux portent déjà de multiples traces de détérioration : par endroits, le carrelage saute, empêchant notamment la fermeture des portes des ateliers.

Quand il pleut, il y a des cellules qui prennent l'eau.

Francis Vandenschrick,

Représentant FO pénitentiaire

Et surtout, des défauts d'étanchéité apparaissent dans différentes parties : des traces de fuite d'eau sont visibles dans le gymnase, à l'infirmerie, dans le centre médico-psychologique, et même dans certaines cellules. "Récemment, il a fallu sortir un détenu mineur de sa cellule en urgence, au milieu de la nuit, parce qu'il y avait trop d'eau qui coulait du plafond", rapporte le représentant FO pénitentiaire.

Malgré ces conditions difficiles, les deux délégués syndicaux tentent de voir le positif. Ils s'accordent pour dire qu'il est tout de même plus agréable de travailler dans des locaux neufs que dans des locaux vétustes et constatent que les détenus apprécient aussi leurs nouvelles conditions de détention, notamment l'accès aux sanitaires. "C'est plus propre, les couloirs sont beaucoup plus larges, et ils peuvent prendre leur douche quand ils en ont envie puisque les douches sont dans les cellules. Ça facilite grandement le travail des collègues, explique Francis Vandenfrisch. Dans le bâtiment A, c'est vraiment un point noir, il y a quatre douches pour 100 détenus, vous passez la journée à envoyer les mecs à la douche."

Surpopulation toujours

Ce 27 novembre, 1 066 personnes au total sont détenues dans les deux structures de l'agglomération bordelaise, pour 653 places. 510 sont incarcérées dans les nouveaux locaux, pour 353 places. À terme, la capacité totale du nouveau centre pénitentiaire de Gradignan s'élèvera à 600 places.

Le problème criant de surpopulation carcérale ne sera donc aucunement résolu."Quand on a ouvert la nouvelle structure, on nous avait dit qu'il n'y aurait plus de triplette, une situation où trois détenus sont dans une cellule de 9 m², prévue pour un, contraignant l'un d'eux à dormir sur un matelas par terre, affirme encore Francis Vandenschrick. Résultat, on n'a pas connu un seul jour sans triplette. En ce moment, il y en a 110, dont une trentaine dans le nouveau bâtiment." La loi prévoit pourtant une détention en cellule individuelle, et la France est régulièrement condamnée par la cour européenne des droits de l'homme pour conditions de détention indigne.

Une surpopulation carcérale qui génère tensions et violences. "Encore la semaine dernière, un collègue s'est pris un coup de poing dans le visage par un détenu qui refusait de réintégrer sa cellule", détaille le représentant FO.

Et toujours plus d'insécurité

D'apparence, les nouveaux bâtiments ressemblent à "un lycée", selon le syndicaliste. "Mais les difficultés en cas de problème grave sont démultipliées. Évidemment, c'est beaucoup plus plaisant de travailler dans des locaux neufs, mais on n'a ni le personnel ni les moyens de sécurité nécessaires", regrette Ronan Roudaut.

Jeudi dernier, on a fouillé une cellule du quartier d'isolement et on y a trouvé une puce, mais pas de téléphone. Le lendemain, on y a retrouvé non pas un mais six portables.

Ronan Roudaut,

Représentant syndical UFAP

Ni brouilleur de téléphone, ni dispositif anti-drone, ni filet anti-projection n'ont été installés au sein des nouveaux bâtiments. Les livraisons par drone de téléphones et produits stupéfiants se poursuivent au sein de l'établissement pénitentiaire, et le sentiment d'insécurité des personnels ne cesse de croître. "C'est une situation inédite et extrêmement inquiétante. Le quartier d'isolement, c'est celui qui est censé être le plus sécurisé, il abrite des détenus à profil extrêmement dangereux", témoigne le représentant UFAP. "C'est dans ce même quartier qu'un collègue a failli perdre la vie le 31 août", rappelle-t-il.

Comment lutter ?

Les syndicats dénoncent le manque de moyens humains et matériels, qui mettent les personnels en danger et permettent toutes sortes de trafics : "Pour faire tourner tous les parloirs, on a 10 agents. 10 agents pour 1 100 détenus, vous imaginez ! Le parloir, c'est un endroit stratégique. On n'a pas les moyens de contrôler ce que les familles amènent aux détenus", décrit Ronan Roudaut.

Parmi les lieux problématiques, le bâtiment A dans les anciens locaux serait devenu un "point de deal". "Les étages 4, 5 et 6 sont gangrenés par le trafic. On ne maîtrise pas. C'est un milieu ultra-violent. Il y a des détenus incarcérés qui sont des grossistes en stupéfiants, ils maîtrisent parfaitement la logistique. Ils organisent leur impunité", précise Ronan Roudaut.

Dans les cellules à 3, celui qui dort sur le matelas par terre, il fume gratos et en échange, s'il y a une fouille, c'est lui qui prend.

Ronan Roudaut,

Représentant syndical UFAP

Pire, le trafic s'organiserait sous leurs yeux impuissants. "On le sait, mais on ne peut rien faire. Avec un agent pour un étage où il y a 100 détenus, vous voulez faire quoi ?, interroge le surveillant de prison. On est dépassé par la situation. Et on n'a pas d'amélioration en vue. L'administration nous dit qu'il n'y a pas d'argent, pas de moyen, et ça continue à se dégrader."

À défaut de personnels supplémentaires, les syndicats réclament donc depuis plusieurs mois des "solutions techniques" dont des brouilleurs de téléphone pour améliorer la sécurité. "Ce serait vraiment le strict minimum. S'il n'y a pas de téléphone, il n'y a pas de drone. Pour l'instant ce sont des téléphones et de la drogue en quantité industrielle qui rentrent. Mais ça pourrait aussi bien être des armes de poing ou des explosifs", alerte encore le syndicaliste.

Épuisés par ces conditions de travail et des dizaines d'heures supplémentaires contraintes, 10% des agents pénitentiaires de la prison de Gradignan sont actuellement en arrêt de travail. "Pour l'administration pénitentiaire, le centre pénitentiaire de Gradignan est une référence en matière de sécurité. C'est le vaisseau amiral de la flotte de la région. C'est vous dire l'état de la flotte", commente amèrement Ronan Roudaut. Contactée, l'administration pénitentiaire n'a pas souhaité répondre à nos sollicitations.

La France compte aujourd’hui 80 000 détenus pour 62 000 places. Le ministre de la Justice a annoncé ce 19 novembre que seules 6 421 places supplémentaires seraient construites en 2027, contre les 15 000 promises par Emmanuel Macron en 2017.

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