Selon un rapport du ministère de la culture, les Français ont profité de la crise sanitaire pour s’adonner à la pratique d’un instrument de musique. Pour se rendre dans les commerces de musique, différentes règles s’appliquent pour ce troisième confinement.
Devant la porte de sa librairie bordelaise Musicalire, Michel Brochard profite du soleil en attendant les clients. La rue Bouffard, dans l'hyper centre, est peu fréquentée en ce jour confiné. « Si j’ouvre, c’est pas pour le chiffre d’affaires, c’est pour que les gens puissent faire de la musique », affirme le responsable des quatre enseignes musicales de la rue. Les librairies sont classées « commerces essentiels » par un décret publié au Journal officiel du 26 février 2021. La question est donc vite réglée. C'est ouvert.
Présent dans la rue Bouffard depuis quarante ans, Michel observe un changement de clientèle depuis un an. Habitué à recevoir les élèves envoyés par leurs professeurs, le responsable reçoit depuis la crise sanitaire des clients qui viennent d’eux-mêmes. « Le confinement a donné l’occasion de réaliser ses rêves. Les gens n’avaient jamais le temps de faire des choses pour eux. La musique permet de se poser, de prendre un nouveau rythme ». Un engouement confirmé dans un rapport du ministère de la Culture intitulé Pratiques culturelles en temps de confinement.
Les gens veulent retrouver des souvenirs de jeunesses, des émotions, réaliser leur rêves.
Dans sa librairie, il constate le grand succès du piano l'année dernière. « Les méthodes de piano, c’est de la folie ! » Il en a vendu deux fois plus en 2020 qu’en 2019. « Dans l’imaginaire des gens, la musique c’est le piano, c'est Chopin. Ils veulent retrouver des souvenirs de jeunesse, des émotions, réaliser leurs rêves ».
Des pianos, Michel n’en vend pas dans sa boutique. Mais des petits instruments tels que le kalimba sont partis comme des petits pains depuis quelques mois. « On n’en parle que depuis les confinements, avant, on n’en vendait pas ».
Parfois, il y a des révélations étonnantes parmi les nouveaux musiciens. Une cliente s’est récemment remise à la flûte à bec, qu’elle n’avait pas pratiquée depuis quinze ans. « Ça m’aide à arrêter de fumer », confit-elle.
Pour la réparation et l’entretien d’instruments, c’est oui
Le 19 mars, la Chambre Syndicale de la Facture Instrumentale (CSFI) a envoyé une lettre à Roselyne Bachelot, ministre de la Culture, pour demander le classement des commerces d’instruments de musique et des ateliers de lutherie dans la liste des « commerces essentiels ».
La CSFI qui regroupe les sociétés et artisans qui fabriquent et distribuent les instruments de musique n’a pas reçu de réponse officielle du gouvernement. Mais tout en bas de la liste de commerces autorisés à ouvrir pendant ce que tout le monde appelle « le troisième confinement », apparaissent les « services de réparation et entretien d'instruments de musique ».
La consigne n’est pas claire pour tout le monde. « Ça sonne toutes les demi-heures pour savoir si c’est ouvert ! » lance Sylvain Lecocq, facteur d’instruments à vents chez Bouff’Art Music, à quelques mètres de la librairie. Pourtant, la fréquentation est faible. Les saxophones, trompettes et autres clarinettes ont souffert avec le Covid. « Peur du virus, peur de ces instruments portés à la bouche et des postillons », lâche le patron Michel Brochard.
Avant la crise, il y avait deux semaines de délai pour récupérer un instrument réparé. Aujourd’hui, zéro délai !
Représentations en public interdites, moins de répétitions, la clientèle se fait plus rare. Les musiciens prennent des cours par visio, ne se déplacent plus pour jouer en groupe, et abîment moins leurs instruments. « Avant la crise il y avait deux semaines de délai pour récupérer un instrument réparé. Aujourd’hui, zéro délai ! » affirme Sylvain, placé en chômage partiel une semaine sur deux, en alternance avec son collègue Guillaume.
Les deux vendeurs qui s’occupaient de la partie boutique sont en chômage partiel également. « Si quelqu’un arrive avec une clarinette tellement abîmée que je ne peux pas la réparer, je ne vais pas lui refuser d'en acheter une nouvelle », avoue le technicien.
Pour la vente d’instruments uniquement, c’est non mais…
Rares sont les magasins qui ne proposent pas de service d’entretien des instruments. Un peu plus bas dans la rue Bouffard, l'enseigne Music Acoustic est ouverte car elle propose l’entretien de guitares, changement de cordes, etc. « C’est vrai que c’est ambigu. On profite du droit d’ouverture accordé aux luthiers. Si quelqu’un veut acheter une guitare, je ne suis pas sûr de pouvoir lui refuser ! » confie Maxime Resnikow, salarié de la boutique depuis huit ans.
La vente de guitares et accessoires a explosé à l'issue du premier confinement. « Au mois de mai, c’était Noël ! » s'enthousiasme Maxime. « Malgré trois mois de fermeture, je pense bien que c’est notre deuxième meilleure année ! » se réjouit-il. Le propos est plus nuancé chez Soft Music rue Duffour-Dubergier. Même si les jours précédant et suivant les confinements ont été fructueux, Pascal Condon enregistre une baisse du chiffre d'affaires de 15% sur l'année 2020. « Avec la concurrence d'internet, c'était déjà difficile avant, mais avec les confinements, c'est encore pire ! »
L'an dernier, la guitare a bénéficié de sa réputation d'instrument abordable tant sur le prix que la pratique, même en autodidacte. « Un ukulélé c’est 60 euros et carrément facile, même avec des tutos sur internet » s’exclame Nicolas Toniolo, guitariste et gérant de La Guit’Art, rue de Guienne. Mais le soufflet est retombé. Pire, depuis l’annonce du troisième confinement, les clients désertent. « Il n’y a personne, les gens n’ont pas le moral » se désole Nicolas. « J’étais là ce matin pour une livraison, mais je vais fermer jusqu’à la fin du mois ».
Pour redonner le sourire à Nicolas, peut-être une bonne nouvelle fin avril. Le 23 précisément, la CSFI a rendez-vous avec Romain Grau, le président de la mission d’information commune sur les entreprises en difficulté en lien avec la crise sanitaire. Coraline Baroux-Desvignes, déléguée générale de la CSFI, attend une réponse favorable à la demande de classement de tous les commerces d’instruments de musique et des ateliers de lutherie dans la liste des « commerces essentiels ». Une façon de mettre en lumière ces métiers pas assez valorisés selon elle, « un pas en avant vers la reconnaissance de la nécessité de la musique ».