Pendant quatre jours, Bordeaux accueille la seule COP alternative en France. L’événement, à l’initiative du collectif "Scientifiques en rébellion", veut faire le pont entre le grand public et la communauté scientifique.
Dans les salles sombres de la base sous-marine à Bordeaux, une “bombe” gonflable est en cours de préparation. Dessus, une inscription en lettres blanches, se dévoile progressivement : "Bombes climatiques, qui sont les vrais éco-terroristes" ?
Pour la centaine de scientifiques venue de toute l’Europe, la réponse est claire.“Lorsqu'il y a un arbitrage politique entre économie et écologie, c’est dans l’immense majorité l’économie qui l'emporte. C’est le cas de l’A69, où les arguments étaient encore très économiques et les émissions de CO2 n’ont pas compté dans la décision finale”, explique Julian Carrey.
Conférence et désobéissance
Jusqu’au 3 décembre, cette COP alternative jonglera entre des conférences sur l’agriculture, les transports, des propositions artistiques, un procès fictif contre l’entreprise Total ou encore, des opérations coup de poing pour sensibiliser. “Il va y avoir des lectures de textes, des performances, de la désobéissance civile non violente. L'objectif, c'est de faire ce pont entre action et sensibilisation”, détaille Romain Grard, organisateur de l’événement.
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Ce rassemblement bordelais constitue un point de convergence, après une dizaine de “mini-COP” organisées dans toute la France. Il veut aussi évoquer “les enjeux des territoires". "Par exemple, le sujet de l’eau, abordé à Lyon, sera repris ce samedi avec un chercheur italien qui abordera la question des mégabassines en Italie et en France”, explique Romain Grard,
Entièrement gratuit, l’événement des scientifiques rebelles veut s’adresser à tous, “loin du modèle des COP internationales où le public n’a presque pas accès”.
“L’organisation de ce rassemblement alternatif est de faire un contrepoint à cette COP officielle grotesque. Le sujet principal des accords de Paris, c’est de sortir des énergies fossiles et ce sujet n’est pas abordé depuis 28 ans", note le physicien Julian Carrey. Autre incongruité, selon les participants : le président de la COP 28 est le Sultan Ahmed al-Jaber, également dirigeant de la compagnie pétrolière nationale émiratie
Et là, pire encore, c’est un magnat des énergies fossiles qui préside !
Julian CarreyPhysicien à Toulouse
Du dérèglement aux migrations
Sous leur blouse blanche, ces scientifiques ne cachent pas leur désespoir face aux décisions politiques. Chercheurs en physique, en sciences environnementales ou encore ancien rapporteur du GIEC, ils tirent la sonnette d’alarme. “Le changement climatique n’est qu’une partie des problèmes qui affectent aujourd’hui la vie de millions de personnes. Ce sont aussi des enjeux de nourriture, de ressources en général, de solidarité internationale”, regrette Sylvain Kuppel, chercheur en hydrologie.
On a beaucoup de désinformation sur ces sujets, du négationnisme climatique soft, avec le déni des conséquences.
Sylvain Kuppel,Chercheur en hydrologie
Des conséquences qui s'observent désormais en France également. “Lorsqu'on habite à la campagne, on voit que les espèces ne sont plus les mêmes, comme les moustiques cet été, qui étaient bien moins nombreux. Ils sont les symptômes de la disparition de certains écosystèmes. Nous avons aussi eu un été 2022 caniculaire et peu de pluies en l’hiver dernier”, illustre Sylvain Kuppel.
La place du scientifique
Ces voix s’élèvent depuis déjà plusieurs des années, au travers des rapports du GIEC ou des interviews de chercheurs spécialisés dans le domaine.
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Julian Carrey est aussi enseignant. Il assure qu'entre lassitude et craintes, ses élèves se sentent démunis face au dérèglement climatique. “Lorsqu’on aborde ces sujets avec nos étudiants, ils ne voient pas ce qu’ils peuvent faire, sauf à leur échelle personnelle. Toute la partie d’engagement collectif et politique, ils ne voient pas comment avoir une prise dessus”, avance le professeur en école d’ingénieurs.
Lorsqu’il y a des résultats alarmants, on ne peut pas les mettre sous le tapis, parce que ça rentre en collision avec des intérêts politiques à court terme.
Sylvain KuppelChercheur en hydrologie en zones tropicales
Face à ce qu’ils qualifient de l’immobilisme, ces scientifiques s’interrogent aussi sur la place de leur profession, qui veut “partager son savoir au plus grand nombre”. “Il y a un désespoir pour de plus en plus de collègues, qui voient que lorsque nous montrons, au travers de notre travail, que les choses fonctionnent d’une certaine manière, on fait le contraire. On se demande si c’est de l’incompétence ou de la malhonnêteté, je crois un peu des deux”, regrette Sylvain Kuppel.