Réanimateur, agent d’entretien, brancardier et aide soignante, ils nous ont accordé un peu de leur temps pour nous livrer leur vision de cette crise qu’ils traversent en étant en première ligne. Ils travaillent au CHU Pellegrin de Bordeaux.
Nous avons choisi d’aller à la rencontre des personnels de l’hôpital Pellegrin de Bordeaux exerçant différentes professions au sein de ce site qui emploie près de 7000 agents.
Contactés par téléphone, ils ont pris un moment pour nous répondre qu’ils soient au travail ou profitent d’un jour de repos précieux. Quel que soit leur service et quel que soit leur poste, ces agents hospitaliers nous font parfois part de sentiments communs, comme celui d’avoir pu profiter du temps de décalage avec des régions comme l’Est de la France pour mieux se préparer, celui d’honorer la mission de service public pour laquelle ils avaient « signé », tout en ayant « comme tout le monde » peur de contracter le virus et de contaminer d’autres personnes, que ce soit des patients ou leurs propres familles.
Découvrez ces hommes et ces femmes qui travaillent au CHU de Bordeaux, le plus grand centre hospitalier de la région Nouvelle Aquitaine, en pleine crise du coronavirus. Ils nous expliquent comment ils vivent ce moment inédit de leur carrière.
« Nous ne sommes pas dans l’œil du cyclone », Benjamin Clouzeau, réanimateur
Un chiffre peut résumer l’état d’esprit dans lequel se trouve le médecin du service de réanimation médicale : « Nous avons ce jeudi soir 30 malades intubés et ventilés mais on pourra au maximum de nos capacités avoir 200 lits de réanimation ».
Benjamin Clouzeau a 45 ans et travaille dans ce service depuis 2004. « Non, nous ne sommes pas dans l’œil du cyclone car nous avons la chance d’avoir un afflux régulier, absorbable et régulable, avec en moyenne trois à quatre admissions par jour pour Covid19 grave ».
Depuis une semaine, le flux est stable.
Benjamin Clouzeau
« Ce qui change en revanche, ce sont les unités transformées pour accueillir exclusivement des cas de Covid 19, qui accueillent de plus en plus de patients qui n’ont pas besoin de réanimation aujourd’hui mais qui le nécessiteront peut être plus tard », dit-il. Deux ailes de l’hôpital accueillent ainsi une quarantaine de cas de Covid 19.
On est donc loin des chiffres enregistrés dans l’Est du pays ou en région parisienne. « Il y a eu des foyers dans l’Oise et à Mulhouse, ces foyers ont explosé localement. Nous avons beaucoup de nos patients qui sont de la communauté des gens du voyage qui ont été en contact avec des personnes qui se sont rendues au rassemblement évangélique de Mulhouse. Ils représentent 70% de la population que nous avons en réanimation ».
Le confinement est rentré en œuvre avant que population générale ne soit contaminée, et assez tôt par rapport au début de l’épidémie locale, cela va donc être positif. Pour l’instant, on peut éviter le scénario catastrophe qu’ont connu nos collègues.
"Nous allons plus vers un afflux progressif en remplissant progressivement les lits mais pas d’un coup, et nous avons une réserve de lits importante. On commence à extuber certains de nos patients, à mettre en place une rotation. Ce temps de décalage avec des régions comme l’Est de la France nous a permis de ne pas tout prendre en frontal d’un coup. On a pu se familiariser, s’informer, se préparer et l’organisation mise en place fonctionne. On a aussi appris depuis à connaître la maladie et à optimiser notre consommation de masque ce qui fait que nous n’en manquons pas ».
Voilà pour l’état de la situation dressé par le médecin mais quel est le profil des patients admis.
On est loin de ce que les Chinois nous ont vendu.
Ce qu’ils ne nous ont pas dit, et ce dont les Italiens nous ont en revanche informés, c’est que les patients font des formes graves même à 50 ans, avec un peu d’obésité parfois, un peu de diabète ou d’hypertension artérielle. C’est ça le profil type en Europe.
On est sur une maladie que l’on sait extrêmement grave et qui touche des personnes de 55 ans en moyenne n’ayant pas particulièrement de co-morbidité, personne n’est à l’abri.
"Il y a aussi ce côté risque vital pour soi, car on est au contact du patient. Si je l’ai, difficile de croire que je ne contaminerai pas mes enfants. Mais ils ont cette culture là. Ma femme aussi est médecin. J’essaie de faire attention à ne pas partager le même verre par exemple. On a réfléchi en famille à quoi faire si je deviens symptomatique, comment m’isoler dans la maison.
Mais aujourd’hui, je m’empêche pas de leur faire un bisou le soir.
« On est très touché par l’élan solidarité qui s’est mis en place . On reçoit de la nourriture, des fraises, des pizzas, de la part des restaurateurs ce qui amène vraiment un réconfort important à nos équipes ». Les applaudissements aux balcons à 20h . « C’est assez touchant ce petit rituel qui casse aussi l’isolement des gens. »
On reçoit beaucoup de messages de nos proches ou de nos voisins pour nous aider à faire nos courses par exemple, c’est très touchant parfois même émouvant.
avoue Benjamin Clouzeau.
"Maintenant, on le sait, cette crise va durer, il faut donc s’installer dans la durée, on y réfléchit. On va voir pour une organisation permettant de se reposer un peu les uns les autres ».
Savez-vous quand sera votre prochain jour de repos ? « Non je ne sais pas, hormis un repos dit de sécurité après 24h de garde. Le dernier remonte à dimanche dernier ».
« On aimerait bien être testés aussi », Matthieu, brancardier
Matthieu travaille depuis cinq ans au STIP, le service de transport interne de patients. Il est brancardier. Le trentenaire dit couvrir tout l’hôpital et aller dans tous les bâtiments sans exception. Il nous explique que ses déplacements, il les réalise pour faire passer aux patients des examens de type imagerie, et aussi pour les déplacer d’un service à un autre, notamment celui de réanimation ou des maladies infectieuses.
« Certains services disposent de tout le matériel de protection nécessaire (masque FFP2, blouse imperméable, surchaussures, gants, calotte pour les cheveux, le tout a usage unique, et après on jette), dans d’autres services, on s’adapte et on fait au mieux. On a pris très tôt la mesure du problème car on est des vecteurs ++ puisqu’on va partout. Nos encadrants nous ont suivi, on a réussi à installer nos protocoles. Par exemple, un brancardier ne s’occupe que du malade, et un autre brancardier va prendre le dossier et s’occuper d’appuyer sur les boutons d’ascenseur et de désinfecter les surfaces qu’on aura touchées », décrit Matthieu.On prend les mêmes précautions pour un cas suspect que pour un cas avéré.
Aujourd’hui Matthieu « est en journée », c’est à dire qu’il travaille de 11 h 30 à 19 h. Ses horaires varient, parfois il est du matin (6h30/14h) ou de nuit (21h/7h). Les horaires des brancardiers n’ont pas changé depuis le début de la crise sanitaire. Quant aux effectifs, « par chance il n’y a aucun absent ».
Quant à l’ambiance au travail, elle est « lourde », dit-il « mais l’être humain s’habitue à tout, on essaie de prendre ça avec philosophie et de pas ajouter du stress au stress. »
Il y a eu des moments de tension c’est normal, mais on est très soudés, on arrive à se serrer les coudes.
« Mais il y a des jours plus difficiles que d’autres, je dors très peu, je ne sais pas pourquoi, ça fait peut-être dix ans que ça ne m’était pas arrivé. J’ai peur de contaminer des patients, ou ma familles, peur en rentrant chez moi », avoue Matthieu. Sa femme travaille elle aussi dans le médical. Actuellement en accident du travail pour des problèmes au dos, c’est elle qui garde leurs deux enfants de cinq et sept ans à leur domicile.
C’est une des raisons pour lesquelles le brancardier souhaiterait plus de dépistage.
On aimerait bien être testés nous aussi. On voudrait être tous testés au niveau des soignants, que tout le monde soit considéré comme potentiellement malade à l’hôpital, et que tout le monde porte un masque, patients et soignants, quel que soit le service .
« On était plus préparé psychologiquement aux attentats », Nathalie, aide soignante
Nathalie, travaille aux urgences. Elle reprendra le travail demain, mais aujourd’hui elle est « de repos ». « Certains services ont fermé pour nous envoyer du renfort, on a donc mis au repos certains personnels des urgences pour qu’il soient en forme au moment du pic », explique l’aide soignante.
« Car il va falloir durer, donc il faut aussi savoir se reposer et se ressourcer », explique Nathalie, aide-soignante.
Des dispositions qui auraient d’ailleurs été prises dans divers hôpitaux. C’est le cas aussi au centre hospitalier de Bergerac en Dordogne par exemple, où ce temps a été mis à profit pour réaliser des missions en télétravail avec des formations spécifiques sur le Covid19 puis sous forme pratique sur le terrain.
« La semaine dernière, ça a été compliquée, il a fallu tout préparer », dit Nathalie. « Aux urgences, il y a deux chemins possibles. Celui pour les cas non suspects et un poste médical avancé pour les cas suspects. Mais c’est compliqué parce qu’on ne sait pas si un cas non suspect est confiné chez lui avec un cas suspect par exemple. Ce qui est difficile aussi c’est l’habillage qui est très long à mettre, et il faut faire attention à ne pas se contaminer nous-mêmes. Mais à Bordeaux, on est bien préparés et structurés, c’est vrai qu’on a eu plus de temps pour ça.
Si la vague doit arriver, je pense qu’on est prêts.
Nathalie parle d’une voix calme reflétant une expérience certaine, celle d’une femme de 52 ans. Pour autant elle l’avoue, « c’est inédit ». « Jamais je n’aurais dit dans ma carrière que je serais confrontée à ce genre de choses. On était plus préparés psychologiquement aux attentats, mais pas à un virus alors qu’on est pourtant formés aux virus. La différence avec les attentats, c’est que là on est en première ligne. Les premiers mourants, ce sont les soignants, c’est ça une pandémie ».
Contrairement aux attentats, on travaille à l’aveugle, en plus nous n’avons pas de vaccins, pas de traitement sauf notre savoir de tous les jours.
« C’est compliqué pour nous », dit Sylvie, « mais c’est aussi très angoissant pour nos familles ». « J’y vais parce que j’ai choisi d’être aide soignante aux urgences. Je savais pour quoi je signais. D’ailleurs, quand on signe les vieux contrats de la fonction publique c’est marqué : « vous êtes réquisitionnables en temps de guerre ». Et bien c’est ça. Là, c’est la guerre. Il faut être au clair avec soi même. Un soldat c’est pareil, il sait qu’il pourra aller au front et peut être mourir. Nous c’est pareil ».
Nathalie pense à « l’après ». A moins qu’il ne s’agisse de « l’avant ». « C’est malheureux qu’il faille un virus pour que le gouvernement se rendre compte qu’à l’hôpital il n’y a pas grand chose. Il faut toujours compter, recompter, calculer. C’est compliqué. Pour la santé on ne devrait pas avoir à compter. Ça arrive avec Macron, mais ce sont tous les gouvernements antérieurs qui ont laissé l’hôpital se dégrader malgré nos appels. J’espère qu’il y aura un après covid, et qu’on pourra se mettre autour de la table et en parler ».
En attendant, « on est très soutenus », dit-elle. « On a eu un afflux de dons de masques, de nourriture. Ça nous a fait très chaud au cœur. On avait l’impression d’être seuls et ça nous a fait du bien ».
« Un saut dans l’inconnu », André, agent de service hospitalier (ASH)
André s’occupe du nettoyage des locaux et de leur désinfection. Il a un service attitré, celui des blocs opératoires. « Une grande partie des opération a été déprogrammée », explique l’ASH. Les protocoles de nettoyage ont changé », dit-il. « Avant la javel n’était pas systématiquement utilisée, maintenant en zone Covid 19 c’est systématique ».
« Au début, on avait l’impression de faire un saut dans l’inconnu, maintenant avec le protocole, on commence à savoir comment faire. Il n’y a pas de risque zéro mais ici on est bien préparés », tempère André. « Ici, par rapport aux autres régions, on a un temps de retard donc on a un temps d’avance. Et pour l’instant, on ne ressent pas encore la vague. Mais j’ai des collègues qui ont la peur au ventre ».
« Nous les ASH, on ne parle pas trop de nous », regrette André .
On parle des soignants, mais on est dans les équipes. C’est nous qui nettoyons. On se considère en première ligne comme les autres.
"On a une responsabilité individuelle et professionnelle. On est responsable envers les patients, envers les collègues, envers nos proches. On a une formation qui peut aller jusqu’à bac + 4, avec des formations spécifiques sur la prévention des bactéries, sur les virus. On a aussi des formations continues à l’hôpital donc on est une petite armée qui connaît et qui sait quoi faire », dit André.
Il s’interroge. « La prime, ça sera que pour les soignants ? Est ce que nous aussi on va avoir cette prime ? ». Avant de conclure, « nous à la limite, la prime on s’en fout ». André travaille de 21h à 7h du matin cinq jours par semaine. Il gagne en moyenne 1400 euros par mois.