Décrocher un portrait du président de la République pour dénoncer l'inaction de la France en matière de changement climatique pourrait relever de la liberté d'expression a estimé mercredi 22 septembre la Cour de cassation, cassant un arrêt de la Cour d'Appel de Bordeaux.
Ce mercredi 22 septembre, la Cour de Cassation a cassé un arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux qui condamnait 8 "décrocheurs de portraits" de Macron à des peines allant jusqu'à 600 euros.
La plus haute instance judiciaire du pays avait été saisie par plusieurs groupes de "décrocheurs" (16 personnes au total), militants d'ANV Cop-21 qui avaient dérobé à visage découvert et sans violence début 2019 des portraits d'Emmanuel Macron dans des mairies à Lyon, dans l'Ain et la région bordelaise. Ils contestaient leurs condamnations à des peines d'amende pour "vol en réunion".
Jusqu'où va la liberté d'expression ?
L'avocat des "décrocheurs", Paul Mathonnet, avait notamment plaidé la liberté d'expression, argumentant que "l'infraction peut être le message, lorsque l'infraction fait sens (...), fait corps avec le message qu'elle met en scène" de façon non-violente.
La cour d'appel de Bordeaux, la seule devant laquelle cette question avait été plaidée, avait au contraire insisté sur le fait que la liberté d'expression ne peut jamais justifier de commettre une infraction.
La Cour de cassation a estimé que la cour d'appel avait ainsi manqué à son obligation de "rechercher (...) si l'incrimination pénale des comportements poursuivis ne constituait pas (...) une atteinte disproportionnée à la liberté d'expression des prévenus".
Elle a donc cassé la décision et l'appel des "décrocheurs" bordelais devra être rejugé à Toulouse.
"Si c'était à refaire, je le referais"
Laurent F., l'un des huit décrocheurs de la région bordelaise, venait d'apprendre la nouvelle lorsque nous l'avons contacté par téléphone.
En 2020, ce menuisier installé à côté de Bordeaux et militant de l'association ANV Cop21 avait été condamné à 300 euros d'amende par la Cour d'Appel, pour avoir décroché des portraits d'Emmanuel Macron dans plusieurs mairies du Bassin d'Arcachon.
Trois ans plus tard, il ne regrette pas du tout d'avoir pris part à cette action militante qui a débouché sur une longue procédure judiciaire. "Si c'était à refaire, je le referais", souligne-t-il.
Même si l'affaire va retourner devant la Cour d'Appel de Toulouse, et que cette cassation constitue un "premier pas" vers une éventuelle relaxe, "nous avons été entendus par la Cour de Cassation", retient-il surtout. "C'est une très bonne nouvelle, cela va dans le bon sens. Le contraire aurait été désespérant".
Le prélevement ADN non justifié
La Cour de cassation a par ailleurs confirmé une décision en appel à Lyon relaxant des prévenus du refus d'un prélèvement ADN lors de leur garde à vue, au motif de la "disproportion entre, d'une part, la faible gravité objective et relative du délit dont les intéressés étaient soupçonnés au moment de leur refus de se soumettre au prélèvement litigieux et, d'autre part, l'atteinte au respect de la vie privée". Elle a dans la même veine cassé une condamnation du groupe de Bordeaux pour avoir refusé de se soumettre à ces prélèvements.
Me Mathonnet s'est félicité de la décision sur la liberté d'expression, une "très bonne nouvelle pour tous les partisans d'actions non-violentes". Il s'est également réjoui de ce "premier refus de condamner des refus de prélèvements" ADN dans ce type d'action symbolique, non-violente et à visage découvert.
Pour aller plus loin → consulter l'arrêt de la Cour de Cassation du 22 septembre 2021.