Sont-ils addicts ou justes absorbés par leurs écrans ? De très nombreux adolescents y consacrent plusieurs heures par jour. Certains signes comme une trop grande fatigue, un décrochage scolaire ou une rupture sociale doivent alerter. Ils peuvent être synonymes d'une perte de contrôle par l'enfant.
Elle revient de loin, son fils aussi. Pendant des mois Silvana, mère d'un adolescent de 15 ans a vu son fils Adrien se laisser happer par les jeux vidéos. Des journées entières passées devant l'écran, des nuits aussi, si elle le laissait. Chaque tentative pour le faire lâcher son écran se soldait par un échec cuisant.
Conséquences sociales et scolaires
"J'ai tout essayé, se remémore-t-elle. J'ai enlevé l'ordinateur, mais il prenait son téléphone. Et quand je coupais le wi-fi, ca se passait mal. Ca pouvait même devenir violent", raconte cette habitante de la métropole bordelaise.C'est à l'âge de 12 ans, au décès de son père, qu'Adrien a trouvé refuge dans les écrans."Son ordinateur était le seul héritage de son père. Il avait tellement de chagrin, il me disait que c'était la seule chose qui lui permettait d'aller mieux." Silvana est compréhensive, et laisse son fils jouer dans un premier temps, avant de réaliser à quel point il s'isole du monde extérieur. Les conséquences, sociales et scolaires ne tardent pas à se faire sentir.
Reprendre le contrôle
" Il ne respectait aucun horaire, il ne comprenait plus ses professeurs en classe. Il n'allait pas voir ses amis, ne me parlait pas… rien ne l'intéressait, j'avais l'impression de vivre seule. …" Lors de vacances au Brésil, d’où est originaire Silvana, la famille d'Adrien s'étonne de ne pas le voir profiter des plages et du soleil. "Tout ce qu'il voulait, c'était rester dans la chambre où se trouvait le wi-fi".L'adolescent ira jusqu'à voler de l'argent pour se payer du matériel dernier cri. Désemparée, Silvana demande de l'aide, se tourne vers des psychologues et des psychiatres, avant de trouver une aide au Ceid, le Comité d'Étude et d'Information sur la Drogue et les Addictions. La mère et l'adolescent sont pris en charge par une psychologue, et parviennent, au fil des mois, à renouer le dialogue.
Adrien, qui redouble sa troisième, est désormais interne et ne rentre que le week-end. En dix-huit mois, les relations se sont apaisées. L'adolescent n'a pas dit adieu à ses jeux, mais a appris à contrôler sa consommation. Il apprécie désormais les balades en ville ou les sorties au Mac Donald's avec ses amis
"Ce fameux ordinateur, que j'ai failli jeter par la fenêtre, est même de retour dans sa chambre", sourit Silvana.
"J'ai perdu cinq ans de ma vie"
Les parents de Corentin n'ont pas mis d'entrave à son désir d'écran. Il a joué jusqu'à 12 heures par jour aux jeux vidéos. Une spirale entamée à 14 ans et dont il s'est sorti à 20 ans. "Je jouais la nuit, je n'allais plus à l'école. Ca me prenait tout mon temps. C'était un échappatoire à la vie familiale qui était assez compliquée, à mes études qui ne plaisaient pas. Ca me permettait de me trouver des amis virtuels."Désormais sorti de cette spirale grâce à un suivi psychologique, Corentin souhaite mettre en garde les plus jeunes. " Il faut jouer avec modération, une heure par jour pas plus. Ne pas se couper de sa famille, continer à avoir une vie sociale, faire un activité physique ".J'étais à la tête d'un groupe assez important. Nous étions jusqu'à une centaine. Je jouais à des jeux de guerre. Ca me procurait du plaisir d'éliminer l'adversaire. J'ai perdu cinq ans de ma vie. Et si on regarde le temps de jeu cumulé, c'est comme si j'étais resté un an devant l'ordinateur, sans en décrocher. C'était une époque à vomir.
Regardez le témoignage de Corentin
Usage excessif pour tous les adolescents ?
Si les adolescents qui, comme Adrien, deviennent véritablement "accros" aux écrans restent une minorité, ils sont, en revanche, très nombreux à les consommer de manière excessive.En octobre 2019, l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (ODFDT) publiait les résultats de l'enquête ESCAPAD menée en 2017 sur les niveaux d'usage des écrans à la fin de l'adolescence. Ainsi, selon cette étude, 97,8% des jeunes de 17 ans possèdent un smartphone. Plus de 61% de ces jeunes déclarent ne pas éteindre leur téléphone quand ils dorment, et près de 75% le gardent allumé lorsqu'ils font leurs devoirs.
Les enquêteurs ont ensuite calculé le temps passé par les adolescents devant quatre types d'écrans : la télévision, la console de jeu, la tablette et l'ordinateur, le téléphone portable étant exclu. "On aboutit au résultat suivant : 57 % d’entre eux ont passé au moins quatre heures par jour devant un écran et 39 % au moins six heures", note l'OFDT.
"L'addiction n'est pas forcément liée au niveau de consommation, elle implique surtout une perte de contrôle", précise le docteur Jean-Michel Delile, médecin psychiatre et addictologue à Bordeaux également directeur du CEID. Le centre reçoit chaque année entre 400 et 500 jeunes, pour des addictions en tout genre.
Même sans aller jusqu'à l'addiction, le niveau de consommation des écrans chez les adolescents est excessif. Près de 40% des jeunes passent six heures par jour devant, sinon plus. Ils passent donc parfois plus de temps devant les écrans qu'à l'école".
Vulnérabilité accrue
Temps perdu, fatigue, difficultés à se concentrer, troubles sur les fonctions cognitives et psychiques ne sont que quelques-unes des conséquences d'une trop grande exposition aux écrans. Qui sont loin d'être anodines, notamment sur les plus jeunes. "L'adolescence, c'est une période de vulnérabilité, surtout en ce qui concerne l'estime de soi. On a souvent besoin d'être portés par ses amis", ajoute le docteur Delile.Et c'est souvent pour remédier à cette vulnérabilité que les enfants ont tendance à se réfugier vers les écrans, avec, de manière générale, une répartition par genre. "En gros, les filles vont se tourner vers les réseaux sociaux, et les garçons vers les jeux vidéo. Ces écrans, qui apaisent dans un premier temps, fonctionnent comme toutes les substances addictives. Ils ont, sur la durée, un effet pervers et accroissent la vulnérabilité".
Ainsi l'adolescente qui recherche la validation dans les commentaires de ses photos ou de ses publications, supportera difficilement un commentaire peu engageant ou moqueur, voire même un message non répondu. "On va avoir alors des adolescentes qui gardent le téléphone allumé en permanence, même la nuit, en attente d'une réponse ou d'un commentaire. C'est à ce moment que cela devient réellement envahissant", note le docteur Delile.
Le scénario est assez proche pour les jeunes utilisateurs de jeux vidéo, d'autant plus s'ils sont plus fragiles et déjà isolés socialement. "Certains jeunes excessivement timides, ou souffrant d'une phobie sociale se tournent vers ce biais pour compenser. Ils deviennent alors virtuellement des héros interstellaires alors que dans la vie réelle ils sont incapables de sortir de leur chambre. Au final, les jeux vidéos vont avoir un effet pervers et accroître cet enfermement "
Pas d'écran avant six ans
Comment agir pour réduire cette exposition ? Le rôle parental est primordial, et ce, dès le plus jeune âge. "Les écrans sont toxiques pour les enfants en bas-âge, jusqu'à 5 ou 6 ans, maintient le docteur Delile. Et je dis bien tous les écrans. La télévision aussi."S'il est facile, en tant que parents, de contrôler l'usage des plus jeunes, les choses peuvent se corser, voire tourner au conflit à partir de l'adolescence. Plutôt qu'une interdiction nette, le médecin recommande le dialogue, afin de mettre en place une stratégie avec l'enfant, et de lui permettre de "reprendre le contrôle".
S'enfermer pour jouer dans sa chambre, c'est aussi une manière d'échapper à un conflit familial. À nous alors de leur expliquer que le plan qu'ils ont trouvé pour s'en sortir n'est pas le bon, et de travailler sur un plan B.
Travail parental
De son côté, Silvana, désormais "libérée de ses angoisses" recommande la patience aux parents concernés. "C'est un véritable combat, et il faut reconnaître qu'on y arrivera pas seul. J'ai mis énormément de temps à trouver la bonne personne. Il ne faut pas hésiter à demander de l'aide et persévérer."Une vigilance parentale nécessaire, d'autant plus que, comme le rappelle Jean-Michel Delile "beaucoup d'enfants se rendent compte qu'ils sont dans l'excès". Un constat confirmé par le rapport de l'OFDT, qui note chez les parents " un décalage de perception de l’usage excessif" : " la moitié des jeunes estime avoir un usage excessif des réseaux sociaux. Pourtant, seul un tiers d'entre eux dit avoir eu des remarques de ses parents allant dans ce sens".