Le dernier rapport du Secours catholique, publié le 14 novembre, révèle une pauvreté en progression avec 93% des ménages accompagnés par l'association vivant sous le seuil de pauvreté. Un constat dramatique également établit par l'observatoire des inégalités, dans un rapport publié ce 3 décembre.
5,1 millions. C'est le nombre, en France, de personnes vivant sous le seuil de pauvreté, soit 8,1% de la population. "La pauvreté n'explose pas, mais elle gagne du terrain", indique le rapport de l'Observatoire des inégalités, publié ce 3 décembre. Une alerte également lancée par le Secours catholique dans son bilan annuel.
Cette année encore, l'association constate la hausse de la précarité en France et notamment sur le territoire girondin. Parmi les ménages accompagnés par l'association, 93 % vivent sous le seuil de pauvreté avec un revenu médian de 518 euros. Pire encore, presque deux tiers gagnent moins de 300 euros par mois.
Les femmes isolées majoritaires
En Gironde, plus de 1500 personnes sont accueillies chaque année. "Beaucoup des femmes, des mères isolées", précise Nicole Nadeau, présidente de la délégation girondine, avec toutefois une nette augmentation de la présence d'hommes seuls, de 14 % en 2023, presque le double de l'année passée. "On observe aussi une majorité de personnes qui vivent seules, des familles monoparentales", ajoute-t-elle. Si l'âge moyen s'établit en général autour de 43 ans, les 25-39 ans représentent la catégorie de personnes la plus présente parmi les bénéficiaires.
Un constat également partagé par l'Observatoire des inégalités. Selon lui, les jeunes de 18 à 29 ans sont les plus touchés par la précarité avec 10 % de cette catégorie située en dessous du seuil de pauvreté. "Ils rencontrent des difficultés d’insertion, notamment les moins diplômés", révèle le rapport.
Surtout, le Secours catholique pointe les difficultés d'accès aux droits pour les bénéficiaires, du fait de "la dématérialisation des démarches et de l'éloignement des services publics des communes". Pour preuve, "dans les années 1960, 21 % des communes n'avaient aucun commerce et aucun service public. En 2021, c'est 60 %, avance Nicole Nadeau. Le fait de ne plus avoir une personne physique en face de soi ça peut être très compliqué, en particulier pour des gens qui ont du mal à remplir des dossiers."
Deux fois plus touchées que les couples, 19,2 % des familles monoparentales seraient en deçà du seuil de pauvreté, précise de son côté l'Observatoire.
Des revenus qui stagnent
Le rapport indique également qu'en 20 ans, le niveau de vie des faibles revenus n'a augmenté que de 60 euros, en passant de 772 euros à 832. Aujourd'hui, le seuil de pauvreté est établi à 1000 euros par mois. "Deux décennies d’extension de la pauvreté et de stagnation des bas revenus pèsent lourd sur les perspectives et le sentiment d’abandon des catégories populaires par les responsables politiques", regrette l'Observatoire des inégalités.
Si un quart des chômeurs sont considérés comme pauvres, les actifs sont également concernés. Environ 1,1 million de travailleurs ont un niveau de vie inférieur au seuil de pauvreté, soit environ 4% des actifs.
Ces faibles revenus entraînent également une précarité énergétique. 62 % des plus modestes reconnaissent qu'ils ne pourraient pas faire face à une dépense imprévue de 1000 euros. La moitié ne peut pas changer un meuble hors d'usage. Des contraintes budgétaires qui poussent également les familles à se priver de repas ou de chauffage. "Environ un quart se prive sur les repas et sur le chauffage", détaille le rapport.
Inégalités territoriales
Du côté du Secours catholique, on observe des disparités territoriales. "Les déserts médicaux et les fermetures d’écoles en sont peut-être la manifestation la plus criante, mais les mouvements de concentration et de réduction d’effectifs ont aussi affecté d’autres services publics essentiels pour les plus vulnérables, comme les CAF ou France Travail", alerte le document. Dans les zones rurales, seulement 10 % des ménages ont accès à une Maison France Travail, contre 75 % dans les communes plus denses.
En 2023, c’est en Nouvelle-Aquitaine que la part de personnes bénéficiaires des allocations familiales reste la plus faible (25,5%). "Entre 2020 et 2023, le taux de non-recours au RSA parmi les ménages accueillis en Nouvelle-Aquitaine, dont la personne de référence est de nationalité française, a augmenté de 28,4%", précise le rapport.
Une dynamique qui s'observe en Gironde. Selon les données communiquées par la délégation, en 2023, par exemple, sur les 114 familles éligibles au RSA, 33 % n'en ont pas fait la demande. Le Secours catholique mobilise 58 000 bénévoles en France, dont beaucoup en Gironde, pour faire face à cette situation. "Si on est bénévoles, c’est parce qu’on a envie de donner de notre temps et de notre énergie. On se retrousse les manches", explique Nicole Nadeau.
Permanence
Au quotidien, ces bénévoles sont témoins du désarroi des bénéficiaires face à la complexité des démarches administratives. "On observe vraiment un éloignement des personnes, plus elles sont en précarité, plus les services d'accès aux droits sont compliqués, détaille Olympe Larue, animatrice à la Halte de jour de Bordeaux. Malheureusement, ils se découragent souvent après moult démarches administratives, perdent confiance et ressentent une méfiance envers les institutions."
Il y a de plus en plus de rupture car certains n'ont même plus de papiers d'identité. La dégringolade est plus visible car les démarches de domiciliation et d'accès bancaire sont plus compliquées.
Olympe Larueanimatrice à la Halte de jour au Secours catholique Bordeaux
Face à ce constat, la délégation girondine a décidé la mise en place d'une permanence, deux fois par semaine pour répondre à ce besoin croissant d'accompagnement administratif de la part des bénéficiaires. "On essaie de leur redonner confiance, leur montrer qu'ils peuvent être aidés et que c'est important d'accéder à ces services."
40 % d'étrangers en situation irrégulière
D'autant plus que les personnes en situation irrégulière représentent 42,8 % des bénéficiaires du Secours catholique. "C'est un public particulier, car leur accès au droit passe par une demande de titre de séjour et certains ne veulent pas lancer les démarches tout de suite car ils savent qu'il y a un temps de présence en France indispensable. On a beaucoup de personnes qui restent dans cette situation de précarité, en travaillant illégalement", souligne Olympe Larue.
Même constat du côté de l'Observatoire. "Les immigrés sont surreprésentés. Leur taux de pauvreté atteint 18,8 % et même 23,6 % pour les personnes maghrébines. Un taux trois fois supérieur à celui des personnes nées en France", indique le rapport, précisant que ces situations proviennent généralement d'un manque de qualification, de discrimination à l'embauche ou de l'interdiction d'exercer un certain nombre d'emplois pour les étrangers non-européens.
Depuis octobre, les bénévoles de la délégation girondine du Secours catholique, formés sur des questions juridiques et administratives, accueillent les bénéficiaires et espèrent déployer le dispositif dans d'autres structures de la ville.