À Barsac, en Gironde, à 40 km au sud de Bordeaux, un centre de soin accueille une trentaine de résidents qui luttent contre leurs addictions à l'alcool, au cannabis, ou au crack. Une communauté thérapeutique comme il en existe une dizaine seulement en France.
"Le crack, c'est vraiment derrière moi": pendant dix ans, Rémi* a plongé dans l'abîme de ce dérivé fumable de la cocaïne. Pour s'en sortir, il n'a trouvé qu'une "seule solution": quitter Paris et ses tentations permanentes, pour intégrer une communauté thérapeutique en pleine campagne.
Depuis avril, ce quadragénaire habite dans cette structure de soins à Barsac, en Gironde. Dans ce village au milieu des vignes, en bord de Garonne, il redécouvre la vie sans produit, aux côtés d'une trentaine d'autres résidents qui souhaitent se débarrasser de leurs addictions à l'alcool, au cannabis ou à d'autres substances.
Pour vivre ici, Rémi s'est engagé dans une démarche d'abstinence et doit respecter certaines contraintes. En tant que nouvel arrivant, il ne peut ainsi sortir que lors d'excursions collectives le week-end. Mais pour cet addict en rémission, qui a vécu en plein quartier de Stalingrad, dans l'épicentre du trafic de crack qui gangrène Paris, c'est une "délivrance".
Finie l'époque où il claquait la quasi-totalité de son RSA pour fumer. En cas de manque, "à Barsac, je sais que je ne peux pas m'en procurer et c'est tant mieux", lâche-t-il.
Bienveillance et solidarité entre addicts
L'ancien toxicomane, habitué aux vols et agressions, apprécie "la bienveillance" de cette communauté thérapeutique, qui encourage le soutien mutuel entre résidents.
Groupes de paroles, ateliers d'affirmation de soi, d'expression des émotions... L'endroit s'inspire de la méthode Minnesota, un modèle américain qui conçoit la dépendance comme l'expression de carences affectives et utilise la solidarité entre addicts pour la combattre. Le fonctionnement s'apparente à celui des Alcooliques anonymes, complété par le travail de psychologues, d'infirmiers et d'éducateurs.
Cette approche comporte "une vraie plus-value pour les usagers de crack, qui sont hyper stigmatisés", explique à l'AFP le directeur de la communauté thérapeutique du Fleuve, Nicolas Bourguignon.
Les séjours durent entre un et deux ans, bien plus que dans d'autres structures de soins. De quoi permettre une vraie coupure avec l'infamante "drogue du pauvre", pour laquelle il n'existe aucun produit de substitution, et de "travailler sur l'estime de soi".
S'éloigner pour s'en sortir
"On ne peut pas s'en sortir tout seul, on a besoin d'un cadre et d'un accompagnement", témoigne Sylvie Fortune. Accro au crack pendant 20 ans, cette quinquagénaire est "clean" depuis 16 mois, après avoir quitté la Guadeloupe pour mettre 6.500 kilomètres entre elle et son passé de défonce.
"Il fallait que je me reconstruise, mais ailleurs", poursuit-elle. Malgré deux cures de désintoxication et un séjour en hôpital psychiatrique sur son île, elle replongeait à chaque fois.
À Barsac, cette femme discrète a repris sept kilos et semble avoir trouvé "la paix intérieure". Notamment en identifiant les "souffrances" causées par son enfance dans une famille aisée, où l'argent remplaçait les liens affectifs. Après trois semaines de vacances, où elle a revu ses enfants sans rechuter, elle se sent prête à rentrer en Guadeloupe d'ici quelques mois.
Les anciens résidents n'arrivent pas toujours à rester abstinents, mais la plupart sont "beaucoup plus autonomes pour réagir rapidement" en cas de rechute, reprend M. Bourguignon.
Trop peu de places
Le directeur est habitué à accueillir environ "10%" de pensionnaires dépendants au crack, souvent venus de Paris pour se mettre au vert. Mais les places sont chères: avec seulement onze communautés thérapeutiques en France, soit quelques centaines de places disponibles toutes addictions confondues, "la demande est beaucoup plus conséquente que l'offre".
Ces communautés correspondent pourtant à un réel besoin exprimé par les toxicomanes, selon l'étude "Crack en Ile-de-France" publiée fin mars par l'Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm). Basée sur des entretiens avec une cinquantaine d'usagers, elle souligne notamment leur "désir de sevrage".
"J'en ai marre de vivre comme ça, c'est pas une vie", confirme Didier* près du jardin d'Eole, où la police tente actuellement de contenir les toxicomanes dans Paris.
Le trentenaire est hébergé en proche banlieue dans un hôtel social à Rosny-sous-Bois, dans le cadre du plan crack mené par les autorités. Mais "c'est pas encadré du tout" et "c'est trop près", confie-t-il. À chaque fois que le manque se manifeste, quinze minutes de train suffisent pour rejoindre ce point de deal. "Partir à plus de cent kilomètres de Paris, c'est le mieux à faire", souffle-t-il.
*Prénoms modifiés