Le mouvement des Gilets jaunes a marqué Bordeaux. Par son ampleur, sa longévité et les violences qui ont émaillé les manifestations. Quels enseignements un an après ? Les collectivités territoriales avaient promis de réagir. Une nouvelle manifestation est déclarée pour ce samedi 16 novembre.
Un mouvement inédit. Bordeaux ne s'y attendait pas. Des milliers de Gilets jaunes dans les rues, plusieurs semaines de suite, avant que la mobilisation ne s'essoufle au printemps.
Le mouvement a été très actif dans la capitale girondine et aux alentours, avec des scènes de violence certains samedis.
"Assez de survivre, nous voulons vivre"
Un slogan parmi d'autres affiché par les Gilets jaunes. Tous, pour dire leur sentiment de précarité et, comme le relève Magali Della Sudda, chargée de recherche au CNRS et co-auteure d'une enquête sur les manifestants à Bordeaux, la revendication "d'une justice sociale" encore plus marquée à Bordeaux, et portée par "ceux qui réclament que le travail puisse nourrir les travailleurs".
Pour moi, c'est l'illustration d'une métropole qui se constitue à marche forcée depuis dix ans, avec des loyers qui doublent ou triplent.
Magali Della Sudda
Durant plusieurs mois, trois chercheuses bordelaises ont ausculté et analysé la mobilisation sur place, où l'on retrouve beaucoup de fonctionnaires territoriaux, des enseignants, des aides-soignants.
Un territoire sous observation
Au mois de janvier, au moment des voeux, les responsables politiques évoquent tous cette crise sociale, l'impact à Bordeaux, dans la métropole, le département. Tous font le constat d'une rupture entre la capitale de la Nouvelle-Aquitaine et les autres territoires. Alain Juppé, encore maire en janvier 2019, ne cache pas sa surprise face à ce mouvement de colère. Comme s'il ne l'avait pas vu venir dans sa ville, avec une telle vigueur.À l'occasion de ses voeux 2019, il souligne ce besoin de conciliation et de travail avec les autres territoires du département de la Gironde et propose de lancer des "Assises du territoire pour relier mieux encore la métropole et son voisinage".Un appel destiné au président du Département de la Gironde et au président du Conseil Régional de Nouvelle-Aquitaine pour travailler ensemble à un meilleur équilibre des territoires.
Pour le président du Département de la Gironde, Jean-Luc Gleyze, l'idée était de mettre en cohérence les politiques publiques mais....
Le Département défend son action au coeur des problématiques des territoires en Gironde :Alain Juppé est parti. Depuis, nous en avons reparlé avec le nouveau président de Bordeaux Métropole. Mais les choses me semblent avancer à un rythme qui n'est pas suffisamment soutenu pour apporter les réponses attendues.
Jean-Luc Gleyze
À l'échelon régional, Alain Rousset, lui aussi à l'occasion de ses voeux, perçoit qu'il faut lutter contre l'isolement exprimé par les Gilets jaunes.Lorsque nous créons des voies dédiées pour développer les transports en commun ou le co-voiturage avec 115 aires de co-voiturage sur tout le département, nous faisons en sorte de fluidifier les déplacements vers le centre urbain métropolitain. Nous allons d'ailleurs engager des travaux sur la déviation du Taillan pour faciliter l'entrée de la métropole depuis le Médoc, afin de stopper cette idée d'isolement des territoires périphériques.
Jean-Luc Gleyze
"L'aménagement du territoire, c'est le premier sujet de la Région", remarque Philippe Nauche, vice-président du Conseil Régional de Nouvelle-Aquitaine en charge de l'économie territoriale. "Les Gilets jaunes ont appuyé là où ça faisait mal, et ça a permis une prise de conscience générale. Avec ce sentiment de délaissement et de mépris."
Ça a accentué l'urgence.
Philippe Nauche
Notamment pour les transports, source de fracture territoriale, un service qui nécessite une aide financière concrète. La liaison Créon-Bordeaux, en bus, a ainsi été lancée en septembre. Et sur le long terme, la Région travaille à une meilleure desserte grâce au ferroviaire et "comment proposer une alternative crédible à la voiture ?"
Autre enseignement tiré de ce vent de colère dans les zones plus éloignés des centres urbains : l'idée d'un maillage fort des lycées sur tout le territoire a été confortée. Ou encore le coup de pouce financier de la Région à l'installation de petites entreprises dans les petites communes pour maintenir l'activité.
" Des personnes ont soulevé des problématiques " reconnaît Véronique Hammerer, députée de la LaREM ( République en marche ) du Blayais dans le nord de la Gironde. Un secteur où les Gilets jaunes ont été particulièrement mobilisés. L'élue du parti présidentiel défend les mesures prises par le gouvernement. Notamment le coup de pouce au pouvoir d'achat dont ont bénéficié certains " Le nombre de bénéficiaires de la prime d'activité a augmenté, avec parfois 100 euros de plus par mois ".
Et sur le territoire du Blayais ? " Il y a eu la création d'un espace de rencontres où se retrouvent les citoyens Gilets jaunes, un jardin partagé qui a été créé. Mais ça ce n'est pas moi qui l'ai fait. J'ai aussi inciter des femmes à s'engager en politique pour porter leurs idées. "
Autre chantier, mais pour l'avenir, la députée défend un projet de contrat de transition écologique pour apporter des solutions aux difficultés de transport avec notamment pourquoi pas des navettes fluviales entre le Blayais et Bordeaux. L'issue pour l'instant n'est pas acquise.
Le terreau d'autres mouvements sociaux
David Poulain a été Gilet jaune à Bordeaux, et reste encore aujourd'hui impliqué dans le mouvement. Il se présente comme militant associatif depuis des années, chef d'entreprise et conseiller municipal d'Ambarès-et-Lagrave. De cette forte mobilisation à Bordeaux, il en tire quelques liens avec les mouvements sociaux d'aujourd'hui.
Aujourd’hui, même si le mouvement se délite, différentes professions sortent dans la rue.
David Poulain
"Le mouvement Gilet jaune n’est pas un mouvement politique, c’est un mouvement de colère sociale, un appel au secours contre l’injustice sociale et économique de notre politique. On voulait dire "stop" à cette politique d’appauvrissement et d’éclatement national. Nous n’avons eu que des discours de diabolisation, et de répression terrible. Comme le fait de dire que nous sommes des feignants. Avec la crise économique qui se profile, si rien n’est fait avant, la colère sera vraiment terrible. Et si les extrêmes, comme dans les années 30, montent, ce sera trop tard. Il faut agir dans les 2 ou 3 prochaines années."
Jean-Luc Gleyze, président du Département de la Gironde se rapproche de cette analyse quand il observe les mobilisations du moment, personnels de santé, pompiers... "Aujourd'hui cette expression, qui reste désormais plus corporatiste, profession par profession, ne fait que traduire dans la continuité, les attentes, les besoins et les non réponses du gouvernement."
Un nouveau départ pour le mouvement ?
"Tout est possible. Il y a un degré d'insatisfaction dans le pays", conclut Jean-Luc Gleyze.
Pour David Poulain, observateur de l'intérieur, mobilisé à nouveau le 17 novembre avec l'intention d'aller manifester à Paris : "Dire que le mouvement est fini est une grave erreur d’analyse : peut-être que ça ne portera plus le nom de Gilet jaune, mais ce qui anime le mouvement est encore très vivace."
Magali Della Sudda, chargée de recherche au CNRS, retire de ses analyses une conclusion similaire. "C'est dur de tenir une mobilisition. Mais on se met en sommeil. À l'occasion d'un événement particulier, il y a une capacité à reprendre la mobilisation. Quel événément ? La date anniversaire ? On ne sait pas ce qui va se passer. Le 5 décembre pourrait aussi être une journée favorable. "
Une hypothèse reprise par la députée LaREM Véronique Hammerer sur une nouvelle période d'expression de la colère. " Je n'en ai aucune idée. Je n'entends pas grand chose pour l'instant. Mais le 5 décembre et la convergence des luttes m'inquiète. "
Si des rassemblements ont eu lieu encore ces dernières semaines le samedi, celui du 16 novembre se prépare déjà avec probablement plus d'ampleur sur les Réseaux sociaux.
Une délégation a d'ailleurs été reçue mercredi 13 novembre par la directrice de cabinet de la Préfète Fabienne Buccio. Un parcours a été déposé et discuté, évitant l'hyper centre de Bordeaux qui est de toute façon interdit d'accès par arrêté. Le rassemblement est dont prévu à 14 h place de la Bourse et le cortège devrait emprunter les allées de Tourny, la place Gambetta; Cours d'Albret, Cours Victor Hugo pour aboutir Place Stalingrad.
Retour en images sur les séquences fortes de ce mouvement des Gilets jaunes à Bordeaux et en Aquitaine ►