L'expulsion prévue pour décembre 2020 a été repoussée. Des appartements ont été trouvés pour une partie des occupants mais d'autres sont toujours dans l'attente ."Si on expulse sans solution, ces personnes vont se retrouver dans un autre squat dans les jours à venir." prévient une association.
Le temps presse. C'est la raison pour laquelle le collectif "Partout Chez Elles" se mobilise. L'expulsion du squat l'Eclaircie à Gradignan doit intervenir au plus tard le 10 juillet.
"Ce squat est situé sur un parc arboré de plusieurs hectares légué au CCAS de Bordeaux il y a cent ans pour venir en aide aux femmes démunies", décrit Juliette du collectif. "Il y a un an tout juste une vingtaine de femmes et leurs enfants y a trouvé refuge. Aujourd'hui le CCAS de Bordeaux, sous la pression du maire de Gradignan, veut vendre ce terrain pour un projet de ZAC et ainsi bétonner un parc de 7 hectares en plein centre-ville, raser des arbres multi centenaires et s'apprête à expulser femmes et enfants (130 habitants sur la totalité du bâtiment) d'un lieu pourtant destiné à leur venir en aide".
"On n'a plus rien" (Mairie de Bordeaux)
Un calendrier que confirme la mairie de Bordeaux par la voix d'Harmonie Lecerf, adjointe en charge de l'accès aux droits et des solidarités. "L'expulsion devait avoir lieu en décembre dernier, nous avons demandé à ce qu'elle soit repoussée à la fin de la trêve hivernale le 1er juin", précise-elle.
"Mais comme un certain nombre d'enfants sont scolarisés, nous avons obtenu de "la Fab" qui va acquérir ce bien, de repousser au maximum l'échéance. Elle interviendra entre fin juin et le 10 juillet au plus tard. La consigne de la Métropole est d'ouvrir le groupe scolaire qui doit voir le jour sur ce site en septembre 2023. Une fois l'expulsion faite, il y aura des prélèvements pour l'amiante et une destruction du bâtiment fin juillet, début août".
Une destruction du bâtiment à laquelle s'oppose le collectif qui met en avant le manque de lieux sur la Métropole pour accueillir en urgence les sans-papiers.
"La mairie s'était engagée à la résorption du squat et non l'expulsion, c’est-à-dire que tout le monde devait avoir une solution de relogement", explique Juliette. "Nous, dans l'idéal, on aurait aimé qu'il n'y ait pas de destruction et qu'on puisse continuer à faire de l'accueil pour les femmes à la rue et que le terrain légué pour les femmes démunies garde sa vocation initiale. On manque de lieux d'accueil pour les femmes". A Bordeaux, un lieu leur était dédié. Situé derrière la gare, le squat "Les merveilleuses" a été fermé il y a un an.
La mairie de Bordeaux n'a pas pour objectif de garder ce squat ouvert. " Nous, on est fermes", explique Harmonie Lecerf. "On ne souhaite pas retarder l'expulsion car on n'est pas pour ce squat. On s'est dit qu'on voulait reloger et c'est la meilleure solution. On ne veut pas laisser plus longtemps des gens dans des squats".
Car depuis décembre dernier, la mairie a travaillé au relogement de ces personnes, du moins celles "domiciliées" au CCAS de Bordeaux. "Neuf mois plus tard, seule la ville de Bordeaux a trouvé des solutions pour 11 familles sur 23, les autres communes n'ont pas trouvé de solution", poursuit Harmonie Lecerf. "Reste à voir sur Gradignan avec peut être une solution pour une ou deux familles. On a écrit aux politiques, aux CCAS et à l'Etat pour trouver des hébergements d'urgence. Un point a encore été fait avec la préfecture hier ( mardi 15 juin NDLR). On attend des réponses. La préfecture a joué le jeu. Nous essayons de mettre en place un travail conjoint, car on ne peut pas attendre tout de l'Etat qui n'a pas les moyens. Donc on a décidé de participer, et on aimerait que tout le monde s'engage à la hauteur de ses moyens. Nous, la solution, c'est le patrimoine municipal qu'on débloque au fur et à mesure à base de petits travaux. Déjà quarante personnes du squat de la rue de Cursol ont été relogées grâce à ce patrimoine municipal, c’est-à-dire des appartements appartenant à la maire. On a trouvé des solutions pour onze familles du squat l'Eclaircie à Gradignan. Mais maintenant, on n'a plus rien".
Le collectif "Partout Chez Elles" a toqué à toutes les portes, en vain. "On a contacté toutes les communes concernées : Gradignan, Mérignac, Pessac, Villenave-d'Ornon, Eysines", détaille Juliette, "aucune avancée". D’où le fait de tirer la sonnette d'alarme. Il reste trois familles domiciliées au CCAS de Bordeaux à reloger, plus douze familles sans solution.
"La Gironde est le département le plus concerné par le nombre de squats et bidonvilles sur son territoire" (Médecins du monde)
Morgan Garcia est responsable de la mission squat pour Médecins du Monde. Il suit ce dossier, comme beaucoup d'autres, de près. "On est en contact avec les associations, les mairies et la Métropole mais nous avons peu de liens avec la préfecture", dit-il. "C'est pourtant l'acteur principal de ce dossier. Si une solution doit être trouvée, c'est par son intermédiaire. Ce serait d'ailleurs cohérent et une suite logique aux propos d'Emmanuelle Wargon il y a quelques jours. Elle a annoncé un sursis pour toutes les expulsions de squats ou sinon l'obligation de trouver des solutions de relogement. Visiblement, cela ne sera pas le cas pour l'Eclaircie".
"La ville de Bordeaux s'est engagée à reloger certaines familles en faisant fi de la situation administrative des personnes et c'est à saluer", poursuit Morgan Garcia. "Après, c'est la mairie de Bordeaux qui est propriétaire des lieux, elle a donc une responsabilité particulière. Pour les problématiques de logement, les frontières administratives entre communes ne sont pas pertinentes et la solution se trouve plus sur la Métropole. En 2019, la mission squat de la Métropole a été créée. Elle a consisté à améliorer les conditions de vie sur les squats. Maintenant, il faut aller plus loin et réfléchir en termes de résorption. Pendant longtemps, on a perçu les squats comme lieux de vie à expulser (…). Mais aujourd'hui, on fait le constat que cette politique ne fait que déplacer et amplifier le problème, avec les coûts que cela engendre. En 2018, on a eu une nouvelle instruction signée par huit ministres qui donnait un mode opératoire allant dans le sens d'un travail de concertation avec notamment les associations.
Si on expulse sans solution, ces personnes vont se retrouver dans un autre squat dans les jours à venir.
"Un recensement a été effectué par la Délégation Interministérielle à l'Hébergement et à l'Accès au Logement (DIHAL)", annonce Morgan Garcia. "Les chiffres montrent que la Gironde est le département le plus concerné par le nombre de squats et bidonvilles sur son territoire. Au lundi 14 juin, la DIHAL dénombrait 142 squats et bidonvilles abritant 1848 habitants. On est sur une augmentation, clairement, d'autant que ces chiffres sont sous-estimés. En 2015, ces recensements de la DIHAL n'existaient pas encore, j'avais alors recensé 700 personnes vivant dans un squat ou bidonville.
On a largement les moyens de relever ce défi. Ces bidonvilles sont arrivés après la guerre dans les années 50 et 60. On a fait venir de la main d'œuvre dans les années 60, jusqu'à 100 000 personnes. A l'époque Jacques Chaban-Delmas a permis de résorber ces bidonvilles à l'échelle nationale en tant que ministre. On a les moyens. Le budget de la DIHAL est de huit millions d'euros, c'est dérisoire, et c'est le fruit d'une politique. Mais il y a des choses à faire pour aller chercher les fonds notamment auprès de l'Europe".
Plus que quelques jours de sursis pour ce site, la date butoir est le 10 juillet.