Reprise partielle d'activité, dans les Instituts Médico-Educatifs. Après plusieurs semaines de confinement, ils peuvent accueillir les jeunes en situation de handicap. Mais certaines familles préfèrent garder leurs enfants auprès d'elles.
Julie ne retournera pas à l'Institut médico-éducatif. Pas tout de suite, en tout cas.
Même si le confinement a été une épreuve longue et difficile pour sa famille, la jeune fille de 18 ans va rester avec ses proches, encore plusieurs semaines.
Avant même l'annonce officielle du confinement, nous avions décidé de ne pas la renvoyer à l’lME. Julie ne respecte pas les gestes barrières, elle bave, elle met constamment ses doigts à la bouche. Pour la protéger, elle, et aussi pour nous protéger nous, il était plus prudent de la garder à la maison, explique sa maman, Stéphanie Djozikian .
Un confinement difficile
Julie souffre de troubles autistiques sévères. Elle ne peut ni lire, ni écrire. Elle est sujette à des accès de violence.
Les premiers jours du confinement ont donc été particulièrement difficiles. D'autant qu'il fallait aussi faire école à la maison, pour son jeune frère en classe de CE2.
Le père et la mère de famille se sont donc démultipliés .
Au départ nous pensions que les visites à domicile de l'auxiliaire de vie, ou des éducateurs pourraient être maintenus. Mais avec mon mari nous sommes tombés malades. Suspicion de COVID. Donc, nous ne pouvions pas prendre le risque de les exposer. Tout s'est arrêté.
Heureusement, la famille est pleine de ressources. Fondatrice de l'association "Différences et Partages", qui permet à des personnes valides de partager des activités avec des adolescents en situation de handicap, Stéphanie a lancé un appel sur les réseaux sociaux.
Depuis, à tour de rôle, une trentaine de volontaires appelle Julie par visioconférence. Des amis de la famille, de simples relations, des professionnels du monde du handicap passent du temps, deux fois par jour avec Julie.
Une présence virtuelle qui a permis de surmonter cette longue période de confinement.
Avec l'association, nous avons aussi réussi à organiser des ateliers cuisines en vidéo, ainsi qu'un atelier de magie, et même un concert dimanche dernier.
Une routine s'est installée. Et la famille de Julie préfère continuer ainsi pour l'instant. Avec le déconfinement et le retour des auxiliaires de vies, et des éducateurs à domicile, la famille de Julie devrait pouvoir souffler.
Service minimum
De nombreuses familles font ce choix.
À Saint-Émilion, en Gironde, l’IME "Les Papillons Blancs" accueille 95 déficients intellectuels, profonds ou moyens, en temps normal. Des jeunes, dont Julie, âgés de 6 à 20 ans.
Nous avons fermé le centre uniquement les 15 premiers jours, car nous avions plusieurs cas présumés de COVID 19, explique la directrice Emilie Baron.
Le centre a fonctionné ensuite en service minimum.
Nous avons accueilli une dizaine de jeunes, pour qui le maintien à domicile est impossible.
Six professionnels ont assuré cet accompagnement à Saint-Émilion. Le reste du personnel a maintenu un lien avec les enfants, les adolescents et les jeunes adultes par visioconférence. Des visites à domicile ont aussi été menées par des équipes mobiles en cas de besoin.
La reprise réelle d’activité est prévue ce jeudi avec les familles qui acceptent de confier leurs enfants, et qui, surtout, ont la possibilité de les amener à Saint-Emilion
C’est la dernière nouvelle. Nous venons d’apprendre qu’une paroi vitrée ou plastifiée doit séparer le chauffeur des passagers. Sinon le minibus de neuf places ne peut prendre qu’une personne.
En attendant que le transporteur installe une séparation, la direction de l’établissement demande donc aux parents d’accompagner eux-mêmes, exceptionnellement, leurs enfants.
Nous devrions avoir une vingtaine d’enfants seulement cette semaine. Ils devraient être une cinquantaine à partir de lundi, quand le transporteur pourra reprendre son activité, assure Emilie Baron.
Encadrement renforcé
Vingt-six professionnels seront prêts à les accueillir.
Nous aurons un accompagnateur par enfant pour les cas les plus déficients. Un pour deux, pour les troubles moins sévères. Un pour trois pour les jeunes les plus autonomes.
Du gel, des masques, des visières sont prévus pour le personnel, et pour les enfants si nécessaire.
L’institut a dû se réorganiser. L’internat n’est plus assuré en cette période, et le réfectoire a été repensé.Le masque n’est pas préconisé pour les jeunes de moins de 12 ans, mais nous sommes un établissement avec beaucoup d’espace, nous n’aurons pas de difficulté à faire respecter les distances de sécurité, assure la directrice.
Habituellement, les jeunes participent, mettent le couvert. Le but, c’est de travailler leur autonomie. Là, le cuisinier et le personnel mettront le couvert et assureront le service. Un éducateur sera placé à chaque table pour éviter les déplacements et les manipulations inutiles.
Visites à domicile
Les établissements ont reçu et suivent les recommandations de l'Agence régionale de Santé. Pour l'ADAPEI 33, l'une des plus grosses structures d'accueil en Gironde, le constat est le même.
L'association s'occupe de 2 300 personnes en situation de handicap intellectuel, dans le département, dont 600 enfants.
Seul un tiers des familles a souhaité un retour des enfants sur les sites d'accueil. Nous avons en revanche une forte demande pour une continuité éducative à domicile, comme nous l'avions proposée pendant le confinement, explique Céline Defresne, la directrice du pole enfance au sein de l'ADAPEI 33.
Nous proposions également,des visites à domicile que nous allons renforcer. Un éducateur sportif poura aller dans une famille pour proposer une activité physique au jeune.
Mais l’enjeu dans les établissements spécialisés dans l’accueil de déficients intellectuels reste l'apprentissage des règles sanitaires, le respect des gestes barrières.
À Yvrac, en Gironde, le personnel de l'IMPRO (Institut Médico-Professionnel) du Vieux-Moulin a fait sa rentrée. Pendant toute la semaine, les éducateurs ont peaufiné le protocole d’accueil des enfants.
Retour des enfants dans une semaine
Habituellement, cet établissement girondin reçoit 42 jeunes déficients intellectuels âgés de 14 à 20 ans. Des adolescents et jeunes adultes qui essaient de se former pour intégrer le monde du travail.Le retour des enfants est prévu lundi 18 mai avec un accompagnement renforcé d’un éducateur pour deux jeunes.40 % des familles ont fait savoir qu’elles ne souhaitaient pas renvoyer leurs enfants chez nous avant septembre, explique le directeur Denis Simon.
Nous allons donc accueillir seulement 18 jeunes, à temps partiel, dans la limite de 12 par jour maximum.
Les sens de circulation ont été repensés dans l’établissement. Une visite du site et des nouveaux aménagements ainsi que des exercices de mises en situation seront proposés.La première semaine sera entièrement consacrée à l’apprentissage collectif des règles sanitaires et des gestes barrières pour les jeunes accueillis, comme pour le personnel.
Au réfectoire, le parcours sera fléché pour éviter que les jeunes ne se croisent. Des repères seront placés au sol tous les 1 mètre 50 pour permettre le respect des distances dans les files d’attentes. Les jeunes seront répartis à 2 par table contre 5 habituellement.Nous accueillons les jeunes, parce que certains ont besoin de retrouver un tissu social, mais nous n’allons pas reprendre les apprentissages habituels. Nous allons nous concentrer sur les changements d’habitudes, car pour certains jeunes et particulièrement les autistes, c’est difficile de changer les habitudes.
Pour toute activité collective, les temps de transports, ou les récréations, le port du masque sera obligatoire.
Port du masque obligatoire
" Des éducateurs ont utilisé l’atelier couture de l’établissement pour fabriquer 1 000 masques en tissus réutilisables aux normes AFNOR. Nous les distribuerons aux jeunes. "La vigilance est donc de mise, mais sans inquiétude particulière. D’autant que EDEA, l’association qui gère l’IMPRO du Vieux- Moulin et 13 autres établissements sur la rive droite de Bordeaux (3 Instituts de formation Professionnelle (IMPRO) mais aussi 4 ESAT (Établissement et Service d’Aide par le Travail) et 2 foyers d’hébergement) a pu mesurer la capacité d’adaptation des résidents qu’elle a continué d’héberger pendant le confinement.
La nécessité d’adopter les gestes barrières a rapidement été comprise ici.Nous avons constaté qu’ils étaient globalement conciliants sur le port du masque.
Nous avons dès le 21 mars, eu des malades du Coronavirus dans l’un de nos foyers d’hébergement à Cenon. 20 cas suspects ou avérés sur 60 lits. L’un de nos résidents, un homme de 70 ans, est toujours en réanimation dans un état très préoccupant, explique Philippe Carnero, le directeur général d’EDEA
Une année perdue
La peur du virus. C’est aujourd’hui encore ce qui guide les choix des familles.Sur 122 familles prises en charges par EDEA, près de la moitié ne veut pas que l’enfant revienne. Nous ne pouvons pas aller à l’encontre des familles, mais nous allons perdre une année de socialisation.
Le déconfinement commence à peine. Le retour à la normale sera progressif, dans les centres d’accueil des déficients intellectuels, comme ailleurs. Mais les séquelles de cette crise se feront sentir encore longtemps. Ici, peut-être plus qu’ailleurs.