Quarante ans de vie politique au fil des pages, Alain Juppé se livre dans son ouvrage "Une histoire française". Regrets, bons souvenirs à Matignon, attachement à Bordeaux, il revient sur son parcours, et porte un regard sur l'action des partis politiques aujourd'hui lors d'un entretien dans " Dimanche en politique" en Aquitaine, interviewé par Nicolas Morin, journaliste et Jean Petaux, politologue .
Le temps est venu d'écrire ses mémoires. Alain Juppé, 78 ans, est aujourd'hui un "Sage", membre du Conseil constitutionnel.
Il a marqué bien sûr Bordeaux par une présence de 25 ans en qualité de maire et une transformation majeure de la ville, pour la sortir de sa réputation de "Belle endormie". Il a marqué la vie politique française depuis 1976 lorsqu'un certain Jacques Chirac l'appelle à ses côtés.
L'échec de la dernière marche
La vie politique d'Alain Juppé aurait pu être couronnée par le poste suprême, celui de président de la République. Logique dans son parcours après le poste de Premier ministre, plusieurs fois ministres et une aura politique au-delà de son parti, l'UMP. Il a eu de l'ambition, rien de plus normal, explique-t-il.
Mais il a manqué la marche lors des primaires organisées en novembre 2016 alors que tous les feux étaient au vert depuis plusieurs mois. C'est François Fillon qui a été désigné par les militants.
Sur le plateau de France 3 Aquitaine, Alain Juppé n'exprime pas de regret de n'être pas allé jusqu'à s'installer à l'Élysée. Non, il a fait ce qu'il fallait en parcourant l'hexagone, en campagne avant la primaire, appuie-t-il. "Je voulais franchir la dernière marche, ça n'a pas marché" Je suis passé à autre chose. "
Et puis il livre cette explication.
Pour peut-être arriver jusqu'au bout, jusqu'à la Présidence, il faut être obsédé par cet objectif. Certains ont dit qu'ils y pensaient en se rasant le matin...
Alain JuppéDimanche en politique Aquitaine
"Moi, je n'étais pas à ce stade-là et peut-être n'ai-je pas été habité de cette volonté farouche" poursuit l'ancien candidat à la primaire de son parti.
Matignon et ses bains de foule organisés
Avant d'être le maire des Bordelais pendant un quart de siècle, Alain Juppé a connu Matignon et la fonction de Premier Ministre de mai 1995 à juin 1997. "C'est dur.", rapporte-t-il de cette fonction. Alain Juppé décrit une tension permanente, des décisions à prendre tous les quarts d'heure, des moments intenses qu'il a goûtés avec plaisir. Tellement éloigné de son mandat de maire.
"On vit, il faut bien le dire et c'est très important, dans une sorte de bulle, pas comme quand on est maire."
Quand on est maire, on est au contact quotidien de ses concitoyens et concitoyennes. À Matignon, quand on fait des bains de foule, ils sont un peu organisés...
Alain JuppéDimanche en politique Aquitaine
Le monde d'aujourd'hui
Acteur de ces quatre décennies politiques, Alain Juppé n'a pas changé de cap. Gaulliste, homme de droite. Alors que les lignes ont beaucoup bougé ces dernières années, il maintient dans son livre que le clivage droite-gauche existe toujours.
Et pour ceux qui prétendent que le clivage n'existe plus, il y voit une explication.
"Les partis politiques de gouvernement de droite comme de gauche ne sont pas en bonne forme, ça on peut le dire" affirme-t-il dans un sourire.
Et pour appuyer cette différence entre la pensée de droite et celle de gauche, il fait réfétence l'histoire, "ce ne sont pas les mêmes hommes."
Marx ou Jaurès d'un côté, à Gauche. Lui, ses références sont à trouver du côté de Montaigne et Montesquieu, les deux Bordelais. Mais aussi Tocqueville ou Aron.
Pour moi, la droite, c'est l'amour viscéral de la liberté.
Alain JuppéDimanche en politique Aquitaine
Et l'Europe, et ses fragilités ? Alain Juppé se dit inquiet et déterminé. Il énumère les défis qui attendent les Européens : défi climatique, migratoire, et le "défi numérique, majeur sur nos libertés."
Plus que jamais, je suis convaincu que l'Europe est la réponse à nos problèmes.
Alain JuppéDimanche en politique Aquitaine
Alain Juppé observe les évolutions à l'échelle de la planète, les dénis de démocratie qui s'installent. "Les pays où l'on peut vivre en démocratie sont de moins en moins nombreux".
La démocratie, c'est très simple. Ça consiste à pouvoir dire du mal de son chef d'Etat le matin sans être en prison le soir.
Alain JuppéDimanche en politique Aquitaine
Maire, un métier d'action
Que reste-t-il de ces années à la tête de la ville ? Un lien affectif fort avec les Bordelais, une fierté. La métamorphose de la ville, métamorphose physique avec le tram, les quais, les façades, mais ce n'est pas qu'une question de façade pour l'ancien édile qui retient ce compliment d'un administré entendue un jour et qu'il retient favorablement. "Vous avez changé le moral des Bordelais, vous leur avez donné confiance en leur ville." Il énumère avec fierté les nouveaux quartiers Ginko, Bassins à flots, Euratlantique.
Mais un jour, il a passé la main, contre toute attente.
"J'avais décidé depuis longtemps de ne pas faire un mandat de plus, j'étais obsédé par cette idée du mandat de trop." Il ne voulait pas faire comme son prédécesseur, Jacques Chaban Delmas. "Il a été maire pendant 48 ans, c'est un mandat de trop, je pense."
Mais il ne s'en était pas encore ouvert publiquement avant ce jour où il annonce son départ pour le Conseil constitutionnel en plein mandat, à un peu plus d'un an du prochain scrutin. "Je ne le regrette pas" conclut-il.
