L'interdiction des terrasses chauffées incite les restaurateurs de Bordeaux à se réinventer

Après un report d'un an, l'interdiction sera effective dès ce 1er avril. Une mesure issue de la Loi Climat pour limiter le gaspillage énergétique. Pour les cafetiers et restaurateurs bordelais, il s'agit de faire preuve d'inventivité pour continuer à accueillir en terrasse alors que l'incertitude épidémique se poursuit et que les températures restent basses.

A Bordeaux, en temps normal, allumer les appareils de chauffage était devenu une pratique courante pour le printemps ou l'été. Mais la pandémie est passée par là et beaucoup avaient déjà réorganisé leur terrasse pour accueillir du monde, en extérieur, tout au long de l'année. Une façon également de s'adapter aux multiples variations des contraintes sanitaires, ces deux dernières années.

La plupart des personnes interrogées semblent convenir de l'enjeu climatique de ce gaspillage énergétique, même si cela va changer leurs habitudes.

Il faut dire que, selon le ministère de la Transition écologique, "le bilan carbone des dispositifs de chauffage extérieur est évalué à 500 000 tonnes de CO2 chaque année à l'échelle nationale", soit l'équivalent des émissions moyennes de 300 000 voitures.

"On est mieux près du chauffage"

Sur cette terrasse, en fin de service, juste deux tables sont occupées. Deux jeunes femmes semblent s'être approchées au plus près d'un des systèmes de chauffage en forme de cône. Il vient de pleuvoir et un vent frais parcours la terrasse. "C'est sûr on est mieux près du chauffage. C'est sympa, ça nous permet de papoter plus longtemps entre copines sans renter à l'intérieur forcément. C'est vrai que c'est pas très bon pour la planète, mais bon".

Samuel Haggege, responsable du Simeone Dell'arte, en pleine centre-ville de Bordeaux, explique "vu qu'il faisait froid en ce moment, c'était bien de les avoir je pense. Pour la planète, ce n'est pas bien. Mais pour nous, en tant que restaurant, ça nous fait plus de clients"

"Quand on les met, ça fait 80 couverts. Quand on ne les met pas, une vingtaine, une trentaine". Il a remarqué ces derniers temps que ses voisins sur la même place n'en utilisent plus : "nous, ça nous faisait plus de monde". Mais il semble résolu face à cette nouvelle mesure nationale : "à partir de demain, on enlève tout". "Mais après, on arrive vers les jours chauds. Tant mieux..."

 

Sortez les plaids

C'est le dernier jour pour les radiateurs accrochés à la façade du "Michel's". Pour "Mimi", la responsable (en photo ci-dessus), cela faisait partie de l'ambiance de l'établissement.

"Fumeurs ou non-fumeurs, les gens depuis quelques années préfèrent être dehors. Même avant la période de Covid. On a pas mal de clients qui travaillent enfermés toute la journée, à la FNAC, chez Camaïeu,... Le soir, ils débauchent et ont envie de prendre l'air. Ça va être un gros changement !"
"Avec le Covid, c'est les gens d'un certain âge qui ont voulu être à l'extérieur avec un sentiment de sécurité
Mais nous, on pense que les gens vont s'adapter, ils vont plus se couvrir peut-être. Dans un premier temps, il y aura moins de monde, ils annoncent un week-end assez froid. On prévient les gens de se couvrir..." 

Ce qui va se passer, peut-être, c'est qu'ils feront moins durer l'apéro. Quand ils restaient deux heures, ils resteront un demi-heure...

Mimi - restaurant "Michel's"

France 3 Aquitaine

En tout cas, cela semble difficile selon elle d'adapter sa terrasse qui fait un angle "les paravents, on n'a pas le droit".
Quant aux plaids, elle estime qu'il y a trop de passage "ça ne serait pas hygiénique"... Mais, philosophe, elle conclut en plaisantant : "c'est comme la cigarette, y'a 20 ans. Finalement, c'était une bonne décision !"

On va essayer de remplacer le chauffage par les plaids et... la chaleur humaine

Davide Da Maria

France 3 Aquitaine

Sur la petite terrasse d'une trattoria, le vent fait bouger les bâches qui abritent latéralement les quelques tables. La terrasse est vide mais des plaids gris sont posés sur le dossier des chaises. Ici, on essaie de s'adapter à la nouvelle règlementation.
Davide Da Maria, responsable du Da Luigi, explique dans un sourire : "on va essayer de remplacer le chauffage par les plaids et... la chaleur humaine". Pourtant, sur un établissement de cette taille, avec sept salariés, cela pourrait avoir des conséquences. Car avec 6 tables dehors et 10 dedans, les gens pourraient préférer manger à l'intérieur désormais, ou aller voir ailleurs. "Avoir un petit chauffage, ça aide à garder les gens. Même pour un petit apéritif, parce que la table n'est pas prête..."

De la même façon, la pandémie a changé les habitudes, notamment des personnes âgées qui préfèrent parfois, il a pu le remarquer, manger en terrasse chauffée à l'extérieur. 

Pour lui, c'est encore une nouvelle contrainte qui vient s'ajouter aux autres "on a eu les gilets jaunes, le covid, tout ça ça a un impact sur les affaires". 
Alors, même s'il a déjà opté pour les plaids et fait preuve de bonne volonté, il espère que la mairie fera un geste et "nous laisse bosser cet été". Car après l'arrêt des dérogations, les "terrasses covid*", il a demandé à pouvoir élargir sa terrasse "raisonnablement", sans déranger la boutique voisine, "quand elle a fermé". Cela représenterait quatre tables supplémentaires : une bouffée d'oxygène.

Interdiction au 1er avril, sur le domaine public uniquement

La loi "climat et résilience" a été adoptée le 22 août 2021 et portée par la ministre de la Transition écologique Barbara Pompili. La mesure interdit, dès le 1er avril, "tous systèmes de chauffage ou climatisation consommant de l’énergie et fonctionnant en extérieur sur le domaine public".

Le décret publié ce 31 mars 2022 au Journal officiel précise que l'interdiction s’applique seulement aux terrasses situées sur le domaine public (nécessitant une autorisation de la Mairie). Les terrasses situées sur le domaine privé ne sont pas soumises à cette interdiction.

En revanche, il existe des dérogations à cette interdiction, si la terrasse est (selon autorisation de la mairie), "un lieu couvert, étanche à l'air et fermé par des parois latérales rigides" selon certaines conditions très précises.

En cas de manquement et à compter du 30 juin 2022, les restaurateurs qui continueraient d'utiliser ces appareils risque des sanctions :

  • administratives : le retrait ou la suspension de la terrasse, la réduction des horaires d’ouvertures, ou des avertissements
  • pénale : une contravention de 5ème classe pouvant aller jusqu'à 1 500 € pour les personnes physiques et jusqu’à 7 500 € pour les personnes morales. Et plus en cas de récidive.

Encore un coup dur pour la profession

L'UMIH de Gironde vient d'envoyer à ses adhérents une note expliquant ces mesures d'application du décret.
Pour son président, Franck Chaumès, la profession n'avait pas besoin de ça. "Il y a une inquiétude grandissante. C'est très utilisé (le chauffage en terrasse, NDLR). On n'a pas eu le choix dans la négociation. Ça se passe au niveau national. Le gouvernement avait besoin de séduire les écologistes..."

La mesure va avoir un impact direct sur le chiffre d'affaires, selon lui : "Il y a des établissements qui vont perdre une manne colossale". Il explique qu'il aurait préféré que des contrôles soient effectués pour qu'il y ait des chauffages individuels, qu'on puisse allumer ponctuellement, plutôt que du chauffage pour toute la terrasse. "Mais on n'a pas eu cette alternative". Quant aux plaids ? il n'y pense même pas " on vient de sortir de deux ans de Covid, et on va se passer des plaids, alors que l'épidémie repart ?

Dans la voix du président, on sent beaucoup de lassitude "Et puis, on n'en peut plus !"
Il assure qu'aujourd'hui, malgré la fin des jauges, la perte de pouvoir d'achat se fait sentir "on est à 25-30% de moins! Le moral est au plus bas". Nos adhérents nous disaient (au moment de la fin des terrasses covid, NDLR) : "on va crever!"

Lui aussi, il  détaille : " on a eu les gilets jaunes, le covid une fois deux fois, le télétravail et maintenant l'énergie qui augmente, les produits alimentaires aussi... Pour que notre économie ne soit pas déstabilisée, ça mériterait un report !". "Ça va être un luxe de venir au restaurant. On est en train de pénaliser notre patrimoine de la gastronomie, le tourisme".

*terrasses covid = c'est comme ça que la profession appelle cette permission exceptionnelle que donnait la mairie d'élargir l'espace d'accueil en extérieur, au moment de la réouverture des bars-restaurants.

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