Les craintes d'une dissolution du gouvernement ne concernent pas que les politiques. Après leurs mobilisations, depuis deux semaines, les agriculteurs confient leurs craintes. Faute d'interlocuteur, les maigres résultats des négociations précédentes pourraient de nouveau être ajournés. La détresse nourrit la colère et le désespoir, dans les rangs de vignes comme dans les étables.
Daniel Bruneau est à la fois vigneron et éleveur à Galgon, du côté de Libourne en Gironde. Il possède 7 ha de vignes et 45 têtes de bétail. Ce jour-là, son troupeau est en train de paître au pied des ceps. "Ce sont de très gentilles bêtes", sourit-il en les regardant.
Le décor est bucolique mais la situation l'est moins. Les agriculteurs avaient déjà alerté sur leurs conditions de vie, de travail, difficiles, puis avaient laissé éclater leur colère l'an dernier. Ils ont connu la phase de négociations, peu satisfaisante, puis la dissolution qui a disséminé les accords et efforts consentis de part et d’autre. Un status-quo qui les avaient poussés à redescendre dans la rue mi-novembre 2024 pour rappeler leur situation désespérante.
Ces aides négociées, Daniel Bruneau le rappelle, devaient être versées immédiatement. "C'est une obligation dans le monde viticole, agricole, arboricole. C'est tout de suite. Si on laisse passer le temps, ce sera un agricide volontaire !", insiste-t-il. Et toutes les démonstrations "musclées", toutes les actions menées depuis un an "n'auront servi à rien du tout sinon à caricaturer les uns les autres". Il estime n'avoir fait qu'alerter et alerter. "Et aujourd'hui, toujours rien. On attend inlassablement..."
On n'a rien obtenu à ce jour ! Tout le monde nous entend, tout le monde nous écoute, mais personne ne fait rien !
Daniel BruneauAgriculteur adhérent à la CR 33
Le Mercosur, et ses bêtes "bourrés d'hormones", tout comme les mesures de lutte contre les épizooties : "la tuberculose, la MHE (la maladie hémorragique épizootique, ndlr) qui est en train de décimer toute notre génétique ici dans le département" sont au coeur de ses préoccupations . "On a vraiment très peur de ne plus avoir d'animaux..." Il estime ne pas être défendu sur ce sujet particulièrement ou bien avec des "mesurettes "Y'a qu'a-faut qu'on".
La menace de la motion
Daniel Bruneau est adhérent à la Coordination rurale de Gironde. Assez pessimiste, il prend la menace d’un changement de gouvernement très au sérieux. "Ceux qui sont acculés, en bout de course et qui n’obtiendront rien, n’auront plus rien à perdre". Car même s'ils n'étaient pas tout à fait satisfaits des négociations du printemps, ils n'en peuvent plus de devoir recommencer. "On l'a vécu une première fois avec Gabriel Attal. On va vraisemblablement le revivre une autre fois. On se demande quand ça va s’arrêter."
En cas de chute du gouvernement, leur voix risque encore de se perdre dans les méandres de nouvelles tractations politiques pour échafauder un nouveau gouvernement. "On est à peu près certains que le côté agricole sera encore mis de côté. On sait très bien qu'on est le dernier wagon du train..."
S'il n'y a rien, les derniers résistants vont se battre comme des chiens. On vit un effondrement partout autour de nous !
Daniel BruneauViticulteur et éleveur
Un sentiment de lassitude profonde que partage Xavier de Saint-Léger. Lui cultive 200 ha de céréales à Saint-Louis-de-Montferrand, près du bec d'Ambès, dans le nord de la Gironde. Les négociations actuelles au Parlement ne présagent rien de bon. Il dit ressentir "une immense inquiétude" pour lui comme pour ses collègues.
Nouvelle insécurité
Lui aussi décrit une situation qui a "globalement empiré depuis le début des actions agricoles qui alertaient déjà sur une urgence vitale" quant à la situation dans les champs et fermes de France. Cette énième crise risquerait de condamner tout le secteur.
On est déjà dans l'insécurité économique et climatique depuis des années. À cela, on ajoute l'insécurité politique. On n'en avait pas besoin !
Xavier de Saint-LégerAgriculteur (FNSEA) en Gironde
Pour lui, il faut commencer par "retrouver un souffle agricole, une rentabilité" et, dans un deuxième temps, "avoir plus de liberté dans notre façon d'entreprendre". Il estime faire face à de nombreuses contraintes administratives.
Aussi, les agriculteurs demandent toujours une meilleure application de la loi Egalim, qui garantit une rémunération plus juste, ainsi que la simplification des normes et la réduction des charges. "Si on ne réagit pas, les agriculteurs n'arriveront pas à s'adapter à leur environnement économique et climatique. Il n'y aura plus d'agriculture, regrette le céréalier. Le consommateur français aura le choix d'avoir du poulet brésilien ou autre."
Dans ce contexte encore une fois tendu, alors que tous les Français sont "dans l'expectative" , il estime que dans cette urgence économique, les agriculteurs attendent toujours."Il faudrait qu'on retrouve du bon sens dans ce pays. Et pourquoi pas du bon sens paysan, ce serait mieux" !