La pouponnière d’Eysines, près de Bordeaux, est une structure qui prend en charge les enfants confiés par l’aide sociale à l’enfance ou nés sous X. Depuis deux ans, elle est saturée : si le nombre d’enfants confiés augmentent, les assistants familiaux, eux, sont en baisse.
Dans leurs appartements miniatures, c'est l'heure du repas pour les cinq petites têtes blondes qui y sont logées. Autour des enfants, deux auxiliaires de puériculture échangent avec eux et les aident à manger. Ici, chaque enfant est soit pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) après une “défaillance parentale”, soit né sous X.
Dans l'antenne girondine, 40 enfants, jusqu'à trois ans maximum, sont normalement accueillis pour un séjour moyen entre six et neuf mois. “En juillet, leur nombre est monté à 47”, reconnaît Céline Goeury, vice-présidente du département en charge de l’enfance qui reconnaît une saturation de la structure.
Garder la distance "juste"
Depuis un an et demi, Laurie Le Goff travaille auprès de ces jeunes enfants. “Le plus important, c'est d’accompagner l’enfant dans ces émotions liées à son histoire de vie. Il faut leur donner des repères, des règles aussi”, explique l’auxiliaire de puériculture.
Pour autant, cette ancienne assistante maternelle, le constate, “ces enfants ont des demandes affectives importantes”. Pour y répondre, au sein des petits groupes de cinq enfants, chacun a un référent dédié. “Petit à petit, on devient une forme de figure d’attachement pour ces enfants qui voudraient notre attention unique. Mais il faut savoir garder la distance juste”, explique Laurie Le Goff.
On va être la personne qui rassure et comble les besoins le temps que les parents sortent de leurs difficultés.
Laurie Le Goff,Auxiliaire de puériculture
Pour conserver cette distance, Agnès Luçon privilégie les regards et la parole. “Il ne faut pas qu’ils soient forcément sur nos genoux ou dans les bras. Un visage familier aide à grandir et représente la confiance en l’adulte, mais il faut qu’ils puissent aussi vivre leur vie”, explique l’auxiliaire de puériculture.
Sureffectif régulier
Ces apprentissages sont généralement réalisés dans un cadre stable instauré dans ces pouponnières. Une stabilité mise à mal par l'augmentation croissante des demandes. “On est en sureffectif régulier. On a souvent six enfants au lieu de cinq dans les appartements”, indique Stéphanie Charnolé, responsable de la pouponnière de Gironde et des 90 professionnels qui y évoluent quotidiennement.
C’est le pendant des urgences hospitalières. On ne prévoit pas les arrivées, elles se font la nuit, le jour, les jours feriés et les week-end.
Stéphanie Charnolé,Responsable de la pouponnière de Gironde
Dans cette structure où les enfants sont déjà fragilisés, cette saturation inquiète les responsables. “Ça change la dynamique du groupe et peut désorganiser certaines activités du quotidien”, indique Stéphanie Charnolé.
Des petits changements que les professionnels tentent de dissimuler au mieux aux enfants, pour ne pas les perturber. “On garde une forme de continuité en leur expliquant ce qu’ils vont faire, comment la journée est organisée. On fait en sorte qu’il n’y ait jamais d'impact sur les enfants”, explique la responsable de la pouponnière de Gironde.
Pour autant, le plus difficile reste les “moments seuls” avec les enfants. "On essaie de faire des repas à l'extérieur, de trouver un moment de la journée comme le bain où on n'est qu'à deux, sans avoir à partager avec les autres enfants", explique Laurie Le Goff, auxiliaire de puériculture.
Pousser les murs
Pour le directeur du Centre départemental de l’enfance et de la famille (Cedef), la question du sureffectif s’explique par un effet de ciseaux. “Nous avons des durées de séjour qui s’allongent et des magistrats plus sensibles aujourd'hui à ces sujets de violences intrafamiliales qui font augmenter le nombre d’enfants placés. À côté, il y a moins de possibilité de sortie avec un nombre d’assistants familiaux en baisse”, constate Franck Bottin, directeur du Cedef de la Gironde.
► Reportage d'E. Bach et L. Bignalet
À l’instar de la députée Isabelle Santiago, qui alertait en mai sur ces sureffectifs constatés partout en France, le directeur du Cedef demande à “repenser la protection de l’enfance”. “On arrive au bout d’un système initié depuis de nombreuses années. Il faut notamment s’inspirer de ce que fait le Canada par exemple. Et voir quels sont les moyens alloués à ce pôle”, précise Franck Bottin.
Dans le département, cette pouponnière a réalisé des travaux, en 2020, pour augmenter sa capacité d’accueil à 41 places, contre 35 précédemment. Des aménagements insuffisants face à la demande croissante, qui pousse aujourd’hui ses responsables à rénover un autre bâtiment. “On réfléchit à mettre en place un accueil en dehors du bâtiment pour nous permettre de créer deux unités identiques, soit un petit appartement avec une salle de bain, un lieu de repas, un lieu de vie et des chambres”, liste Stéphanie Charnolé.
En dix ans, le nombre d’assistants familiaux, le nouveau terme pour désigner les familles d’accueil, a été réduit de moitié. Pour “inciter de nouvelles vocations”, le département ainsi que les associations ont mené une campagne de communication, “On a revalorisé les salaires et tenté de casser les représentations qu’on pouvait se faire de ces métiers, qui n’en restent pas moins difficiles”, explique Céline Goeury, vice-présidente du Département en charge de la protection de l’enfance.
Dans le département, la protection de l’enfance représente en effet un budget de 325 millions d’euros. Il s'agit du premier budget départemental. Face aux coupes budgétaires annoncées par le gouvernement Barnier, les instances craignent une réduction de leur enveloppe, qui mettrait d’autant plus en péril ces structures d’urgence. En Gironde, 5 000 enfants sont actuellement placés par la justice.