Près de deux ans après le scandale Orpea, plusieurs plaintes ont été déposées pour maltraitances, dont une plainte contre une maison de retraite à Gradignan, près de Bordeaux gérée par le groupe privé Emera. Une jeune femme accuse l'établissement de mauvais traitements sur sa grand-mère, âgée de 96 ans.
Des blessures pas soignées correctement, des toilettes pas faites, un dentier pas installé. Une plainte a été déposée le 3 octobre par Alice B. qui accuse l'établissement de Gradignan, Douceur de France, de défauts de soins quotidiens et de maltraitances sur sa grand-mère. Elle a été entendue par la police au commissariat central de Bordeaux Mériadek une première fois le jour du dépôt de plainte, puis une deuxième fois ce mardi 24 octobre.
Plainte pour maltraitances
Alice B. assure avoir observé à plusieurs reprises des manquements dans les soins de toilette, ou encore dans l'installation des dispositifs médicaux comme le dentier. "J'ai été alertée plusieurs fois sur le fait que ma grand-mère faisait sa toilette toute seule parce que les soignants n'ont pas le temps", indique-t-elle.
Il y a eu des chutes pour lesquelles ni moi, ni les médecins, ni les services d'urgence n'ont été alertés.
Alice B., plaignanteà France 3 Aquitaine
Dans la liste des manquements, Alice B. mentionne également une erreur de médication et une phlébite mal soignée. "Ma grand-mère ne réalise pas l'ampleur du problème, car tout le monde est gentil avec elle et c'est le plus important pour elle, ce que je comprends. Mais, c'est elle qui me rapporte certains faits, donc elle s'en rend compte".
"Des choses sans gravité"
La directrice de l'Ehpad Douceur de France, Sophie Aubouin, a accepté de rencontrer notre équipe ce mardi. Elle se dit "terriblement choquée et surprise". "Nous sommes aujourd'hui éclaboussés quand vous voyez ce qui a été mis en avant dans la presse sur cet établissement dans lequel je suis depuis vingt ans. Je connais le travail de mes équipes, et là tout le monde est extrêmement choqué de ce qu'il se passe et des propos tenus dans la presse, qui sont d'une violence inouïe par rapport à tout ce que nous faisons dans la maison".
Les personnes avec lesquelles je travaille depuis longtemps sont extrêmement blessées de voir leur travail sali comme ça, dans la presse, de manière diffamatoire.
Sophie Aubouin, directrice de l'Ehpad Douceur de France à Gradignan (33)à france 3 Aquitaine
Selon nos informations, des personnels ont à plusieurs reprises signalé des problèmes de dysfonctionnement dans l'établissement à la directrice. "On a effectivement des dysfonctionnements, mais c'est le quotidien de l'établissement. On a des difficultés de recrutement à certains moments, mais voilà, je veux bien savoir qui sont ces personnes qui vous ont alerté", se défend la directrice.
"Dans le cas de cette dame, dont la petite-fille a porté plainte et tient des propos diffamatoires dans la presse", Sophie Aubouin minimise les faits reprochés.
Dans ce que j'ai lu et ce qu'elle signale, il s'agit d'un dentier mal posé, un lit qui a été souillé, ce sont des faits assez mineurs pour l'établissement.
Sophie Aubouin, directrice Ehpad Douceur de France à Gradignan (33)à France 3 Aquitaine
La directrice assure "avoir rencontré à plusieurs reprises la petite-fille de cette dame pour certains dysfonctionnements". "Je les ai écoutés et je les ai traités instantanément, mais ce sont des choses sans gravité, qui arrivent de manière ponctuelle, et qui ont été réglées avec l'infirmière coordinatrice".
Une ex-salariée dénonce
Une ancienne salariée, qui a travaillé plusieurs années dans l'Ehpad Douceur de France, égratigne pourtant l'image de l'établissement. Elle a souhaité témoigner au micro de France 3 Aquitaine, mais préfère garder l'anonymat. Elle dénonce "le manque de moyens pour les soignants qui a des conséquences sur les résidents, et aussi le manque de personnel formé. Ce sont des gens qui sont non qualifiés et qui n'ont pas les valeurs nécessaires pour bien prendre en charge un résident ou un patient dans la globalité".
Oui, j'ai vu de la maltraitance. Des personnes grabataires se retrouvaient avec des fractures qui ne sont pas expliquées.
Une ancienne salariée de l'Ehpad Douceur de france à Gradignan (33)à France 3 Aquitaine
Cette ex-salariée décrit aussi de mauvaises manipulations des résidents pour les installer dans les fauteuils roulants, des sondes urinaires arrachées dans le lit, car elles ont mal été posées, des faits quotidiens. "Nous, déjà, on est mal traité, donc comment voulez-vous qu'on prenne bien en charge les patients ? Quand il manque une personne, on nous demande de revenir ou de décaler les horaires, mais c'est bon au bout d'un moment", déplore-t-elle.
Interrogée sur le manque de personnel, la directrice de l'Ehpad reconnaît effectivement le manque de personnel et "avoir du mal" à trouver des personnes diplômées et qualifiées. "Les gens arrivent de plus en plus tard et de plus en plus dépendants et donc avec des cas plus complexes, et donc il nous faut du monde. En plus de nos effectifs, je dois souvent faire appel à plus de monde en intérim, pour conserver la qualité de service à laquelle je tiens."
Similitudes avec Orpea
Pour Maître Pierre Farge, avocat au barreau de Paris, qui défend la Girondine, l'histoire se répète. Il estime que l'alerte de sa cliente a révélé qu'il y a des plaintes partout en France, et pas qu'à Gradignan et Bordeaux.
L'intérêt de cette plainte et de cette alerte, c'est qu'on apprend tous les jours qu'il y a des dizaines de plaintes dans la France entière.
Me Pierre Farge, avocatà France 3 Aquitaine
"Ce sont des victimes et des familles de victimes qui se manifestent, ce sont d'anciens dirigeants du groupe qui décident de témoigner", poursuit-il.
"La question que je me pose, c'est depuis le scandale Orpea, comment se fait-il qu'il y ait un nouveau scandale comparable aujourd'hui ? Comment rien n'a été fait depuis les investigations de Victor Castanet ? (auteur de "Les fossoyeurs", une enquête sur le groupe Orpea, NDLR)"
Il y a des similitudes avec le scandale Orpea qui sont désarmantes.
Me Pierre Farge, avocatà France 3 Aquitaine
"Vous avez un groupe qui est financiarisé, qui est coté en Bourse, un dirigeant qui a fait fortune, et vous avez des dizaines de plaintes de familles de victimes. Vous avez un groupe qui profite du fonctionnement des ARS (Agences régionales de santé, NDLR) et qui touche des subventions. Comment peut-il bénéficier d'autant de subventions alors que le coût journalier d'alimentation pour un résident est ramené à 4,5 euros ? C'est ça qui est honteux."
Autre regret de l'avocat, c'est le retard pris par le gouvernement pour traiter en profondeur les problèmes dans les maisons de retraite et les Ehpad. "En attendant, ce sont les victimes qui souffrent". Plusieurs fois retardé, le projet de loi "bien vieillir" sur le grand âge, porté par la majorité, doit être présenté à l'Assemblée nationale en novembre.
Fondé en 1987, le groupe Emera compte plus de 7000 collaborateurs et une centaine d'établissements en France et en Europe.
Le parquet de Bordeaux a confirmé à France 3 Aquitaine "qu'une enquête est ouverte suite à la plainte d’un enfant d’une résidente. Les investigations sont en cours. L’audition des responsables de l’établissement doit intervenir très prochaine", sans plus d'information à ce stade.