Depuis quatre mois, une quarantaine d'avocats se sont regroupés dans un pôle dédié à la prise en charge juridique de jeunes immigrés. Objectif : la saisie rapide d'un juge pour enfants afin de les aider à trouver des conditions de vie décentes et lancer le processus d'intégration.
Un pôle unique en France
On l'appelle le "pôle MNA" du barreau de Bordeaux. Pour "MNA", entendez des mineurs non-accompagnés ou mineurs isolés étrangers. Ces jeunes ont en commun d'avoir moins de 18 ans et d'être "privés temporairement de la protection de leur famille". Cette structure a été créée à Bordeaux il y a quatre mois.
Si elle a pu voir le jour à Bordeaux, c'est bien sûr grâce à l'engagement d'une quarantaine d'avocats ayant fait la démarche de se regrouper au sein de ce pôle. "On ne peut qu'en être fier" explique Jérôme Dirou, bâtonnier de l'Ordre qui avait décidé de "la mise en place d'un travail de concertation et de partenariat afin d'organiser au sein du barreau de Bordeaux un pôle MNA venant en aide aux mineurs isolés. "
Mais Jérôme Dirou attribue cette réussite à une femme, une avocate, Me Christine Maze. "Il m'a falu un an pour mettre en place ce pôle", explique-t-elle. "L'hiver dernier, je me suis rendu compte du nombre de MNA arrivant sur le territoire. Alors j'ai fait le tour des foyers et des squats, j'ai rencontré des éducateurs pour me rendre compte de la réalité".
Elle a pu s'appuyer sur une structure qui existait depuis une trentaine d'années, le CRIC (le Centre de Recherche d’Information et de Consultation sur les droits de l’enfant). C'est ainsi qu'a pu se former ce pôle unique en France.
Il réunit donc des avocats ayant une double spécialisation : immigration et enfance. Quand jusque-là on avait plus souvent affaire à des avocats spécialisés dans l'une ou l'autre de ces compétences mais rarement les deux.
A Bobigny en Seine-St-Denis par exemple, il existe bien une structure dédiée aux mineurs mais rien de spécifique pour les mineurs étrangers isolés comme c'est le cas à Bordeaux. Ce pôle est unique car il souhaite également mettre en place une prise en charge globale de ces jeunes : les aspects judiciaires, mais aussi médicaux, scolaires, et plus globalement l'insertion sociale.
"Tant qu'on est pas dans du militantisme... il y a en effet des débats juridiques que l'on peut mener ensemble" précise Laurent Gebler président du tribunal pour enfants de Bordeaux. "Moi je me situe sur le droit, pas sur le militantisme". Militante, Christine Maze ? A cette question suivent quelques secondes de silence. Puis la réponse fuse, comme une évidence :
C'est un acte humaniste sûrement, mais il n'y a aucun militantisme, ce n'est pas ma philosophie" dit l'avocate. "C'est une action menée pour la défense des plus faibles et plus démunis, un acte qui va dans le sens des priorités de la vie.
Lancer rapidement une prise en charge de ces jeunes
On a depuis quelques années, une arrivée importante de ces mineurs à Bordeaux après avoir voyagé dans des conditions très difficiles et souvent accompagnées de violences terribles" explique Jérôme Dirou. "Ces jeunes voyagent seuls, mais il y a parfois derrière des réseaux mafieux qui les dirigent vers certaines villes.
En clair, il s'agit de les prendre en charge rapidement pour leur éviter de vivre dans la rue ou d'être pris dans les griffes d'un réseau. La première urgence pour les avocats est de faire la preuve de la minorité de ces enfants, pour cela des analyses osseuses sont réalisées. Rapidement, un juge pour enfants peut être saisi pour que l'enfant soit "placé" et pour l'aider à "trouver des conditions de vie décentes".
L'initiative des avocats est donc à la fois juridique et humaine.
Tout un travail qui sort du travail classique d'un avocat.
précise le bâtonnier.
L'objectif est donc de faire en sorte que ces mineurs étrangers soient pris en charge par l'Aide Sociale à l'Enfance (ASE), compétence du Conseil départemental.
En cas d'admissibilité, une place en foyer lui est trouvée avant de faire valoir son "droit à l'assaurance maladie, son droit à l'éducation et à être scolarisé ou suivre des formations professionnelles" (compétence de la région Nouvelle-Aquitaine).
Rien que sur l'année 2018, 361 mineurs ont ainsi été pris en charge en Gironde par l'ASE.
"En cas de refus d'admission à l'ASE, le MNA peut saisir (avec son avocat), dans un délai de deux mois, soit le président du Conseil départemental, dans le cadre d'un recours gracieux, soit saisir le Tribunal administratif de Bordeaux, dans le cadre d'un recours contentieux" eplique le pôle.
Déjà une cinquantaine d'enfants accompagnés
"Il y a toujours un avocat de permanence dans ce pôle". "Il ouvre chaque jour un à deux nouveaux dossiers, ce qui veut dire que depuis la création du pôle, une cinquantaine de jeunes migrants a été prise en charge par le pôle" explique Jérôme Dirou.
En mars 2017, des chiffres éloquents paraissaient : en Gironde, le nombre de jeunes migrants arrivés dans le département avait doublé en 3 ans. Près de 60 % venaient d'Afrique subsaharienne. Actuellement on estime que près 1000 MNA sont pris en charge en Gironde, 18 000 au niveau national. Une hausse confirmée par le Conseil départemental en charge de l'ASE.
Dans la region, une problématique spécifique a émergé. Le passage de plus en plusfréquent des immigrés par la frontière espagnole. Pour autant cette tendance ne serait pas à mettre en lien avec la hausse du nombre de MNA en Gironde. Ceux-ci, à leur arrivée dans les Pyrénées-Atlantiques, auraient tendance à rester dans ce département ou à le quitter mais pour aller dans une autre région.
La plupart est hébergée dans des foyers. Rares sont ceux, même s'ils existent, à trouver refuge dans une famille d'accueil, car les places sont rares et généralement réservées aux jeunes enfants.
Par ailleurs, depuis le 30 janvier, ils ne peuvent plus bénéficier du centre de Martillac. Suite à un contrôle, l'établissement Géré par Emmaüs, est en cours d'évacuation, nous a précisé Emmanuel Ajon. Un collectif d'associations humanitaires avaient accusé Emmaüs de maltraitance sur des mineurs migrants isolés dans ce foyer.
Travail de liaison avec le département
Pour faire face à ces chiffres en augmentation, le Conseil départemental a créé 1 100 places supplémentaires en foyer ces trois dernières années, dont 300 dédiées aux mineurs étrangers. Soit les foyers ont augmenté leur capacité d'accueil, soit de nouveaux sites ont été créés (comme celui de Saint-Macaire, ou encore ceux d'Andernos et Langon gérés par le Prado).
"Le conseil départemental a été un déclencheur", précise le bâtonnier, grâce à des moyens financiers et grâce aussi à des places supplémentaires dans les centres".
Tous les ans, le Conseil départemental verse une subvention de 25 000 euros en moyenne au barreau de Bordeaux dans le cadre de l'accompagnement des mineurs devant la justice. Le département travaillait déjà depuis longtemps avec le CRIC, ce partenariat n'est donc pas nouveau.
Le barreau est un partenaire de longue date, c'est très bien et on ne peut que s'en féliciter. A chaque fois qu'on a un nouveau partenaire on est ravis. C'est le cas avec le CFA de la Chambre des métiers, c'est le cas avec le barreau, à chaque nouveau partenariat, c'est une grande nouvelle... explique Emmanuelle Ajon vice-présidente du Conseil départemental en charge de la protection de l'enfance.
Parfois, ils font appel d'une décision, c'est aussi normal. Et nous, nous ne sommes pas des professionnels du droit, donc c'est un vrai échange pour accompagner les jeunes dans leur parcours.
Le département et le pôle ont ainsi travaillé main dans la main pour la création le 10 décembre dernier d'un DIMA (Dispositif d'Initiation aux Métiers de l'Alternance) à Bordeaux. Une douzaine de jeunes migrants l'a intégré. Ce dispositif "permet d'acquérir les bases pour avoir un BEP ou un CAP dans le cadre du CFA", explique Emmanuelle Ajon. Un projet auquel a aussi participé la direction du CFA, des enseignants, et la région (compétente en matière de formation).
Des représentants du Conseil départemental et du pôle MNA du barreau vont ainsi se rencontrer régulièrement. Il s'agit de travailler sur un référentiel de base sur le droit des MNA (études, travail, santé, etc.). Seront entre autres évoquées les questions juridiques liées au droit du travail et au statut particulier des étrangers et des mineurs.
La difficile lutte contre l'explosion de la délinquance
La délinquance des mineurs non accompagnés (MNA) est en augmentation. Les magistrats du parquet et du siège tirent la sonnette d'alarme. "Les déferrements de ces mineurs, venus principalement du Maroc ou d'Algérie, ont augmenté de 406% passant de 32 MNA en 2017 à 162 l'année dernière", selon Marie-Madeleine Alliot, procureur de la République de Bordeaux. "Pour la seule journée d'hier (le 22 janvier) nous avons eu 6 gardes à vue, 4 déjà aujourd'hui (il est 11 h au moment où elle parle.), c'est un phénomène essentiellement urbain".
"Nos moyens d'action procéduraux ne sont pas adaptés à cette nouvelle forme de délinquance" poursuit-elle. "Il y a trois problématiques" : la définition de leur âge, celle de leur identité, et leur opposition à une prise en charge.
En effet selon Marie-Madeleine Alliot, "beaucoup se disent mineurs mais manifestement, ils ne le sont pas systématiquement". "Ils refusent toute signalisation (empreintes digitales, ADN, expertise osseuse) et on ne peut pas légalement les y obliger".
"Mais, il faut bien faire la différence entre les MNA et les MNA délinquants. Il ne faut surtout pas résumer la globalité de ces jeunes à des délinquants", dit le procureur de la République de Bordeaux.
"Il faut apporter une perspective aux non-délinquants, et c'est là que l'intervention du pôle est une très grande chance". "Pour les délinquants, c'est nettement plus compliqué, car ils refusent toute prise en charge, ils sont réfractaires à tout" confie le procureur.
Reste à savoir si cette opposition aux institutions est le fait d'un réseau dont ils dépendent. "L'année dernière, nous avons ouvert une information judiciaire pour traite d'êtres humains, car nous avons découvert que des délinquants seraient exploités par des chefs de réseau". "C'est un phénomène récent que l'on essaie de comprendre, on ne peut pas à ce stade faire de généralité" explique Marie-Madeleine Alliot.
Une affaire de tentative d'homicide (rue Permentade à Bordeaux) est d'ailleurs en cours d'instruction, elle fait parallèlement l'objet d'investigations supplémetaires dans le cadre de cette information judiciaire ouverte pour traite d'êtres humains pour savoir si ces jeunes étaient exploités par un réseau.
Alors le pôle MNA du barreau peut-il aussi intervenir pour ces MNA délinquants pour qu'ils soient pris en charge ? Marie-Madeleine Alliot est plus "dubitative" mais elle compte bien continuer à travailler avec Maîte Maze avec qui elle s'est déjà entretenue à de nombreuses reprises, pour mettre en place un travail en commun spécifique au sujet ces délinquants.
"Le mineur est le parent pauvre de la justice"
L'objectif de ce pôle est que le juge soit "plus souvent saisi et qu'on arrive à des jurisprudences pour voir ce qu'on peut vraiment soulever en matière de protection des droits pour faire avancer la loi pour les minorités" dit Christine Maze. "Devant l'impossible nul n'est tenu, il y a notamment des mesures scientifiques qu'il faut faire valoir".
On est sur un droit naissant. Il faut s'adapter, réfléchir et faire parler de droit.
"La loi de 2016 fait état de "mise à l'abri" mais il n'y a pas de logement pour tout le monde. On voudrait prendre part à ces enjeux de demain" explique l'avocate, "parce qu'aujourd'hui le mineur est le parent pauvre de la justice". "On travaillera avec ces avocats du pôle comme d'habitude" précise Laurent Gebler président du tribunal pour enfants de Bordeaux, "on peut envisager s'ils le souhaitent de se rencontrer pour discuter du fonctionnement, des procédures, de la jurisprudence, bref de toutes ces questions qui posent difficulté à tout le monde (...), d'ailleurs on le faisait déjà avec le CRIC".
Bientôt une "hot-line" et une application ?
Pour que ce pôle puisse venir en aide à ces jeunes migrants, il faut que ceux-ci connaissent son existence. Selon le bâtonnier de Bordeaux, certains MNA commettent des délits dans l'espoir de passer devant un juge pour bénéficier d'une protection.
Le pôle a donc à cœur de se faire connaître auprès des institutions et des travailleurs sociaux pour que ces jeunes soient guidés vers cette nouvelle équipe d'avocats.
Les MNA confiés au service de la protection de l'enfance du Département de la Gironde, ont le plus souvent entre 15 et 17 ans. Les opérateurs de la protection de l'enfance ont donc environ deux ans (avant qu'ils ne soient majeurs) pour les accompagner dans la construction d'un parcours pérenne, explique le Barreau de Bordeaux.
Se faire connaître vite pour pouvoir agir rapidement tant que ces mineurs peuvent bénéficier d'une protection. Le "pôle MNA" envisage donc de créer une hot-line ainsi qu'une application pour faciliter la prise de contact.
En attendant, une permanence...
Cette prise de contact peut se faire par téléphone au 05 56 44 20 76. Elle peut aussi se faire en se rendant à la Maison de l'Avocat située au 1, rue de Cursol à Bordeaux, près du Palais de justice. Les horaires d'accueil sont les suivants : du lundi au vendredi de 8h45 à 12h45 et de 13h45 à 17h30.