"On déprime tellement la douleur est intense" : handicapées par leurs bandelettes urinaires, 75 femmes portent plainte

Soixante-quinze femmes ont décidé de porter plainte contre X face suite à une intervention en urologie contre l'incontinence précoce. La pose de bandelettes dans leur urètre a engendré chez elles de violentes douleurs et des invalidités. Elles souhaitent alerter les autorités et aussi le grand public : une femme sur trois est concernée par des problèmes d'incontinence après quarante ans.

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La vie de Géraldine a basculé brutalement. Active, dynamique et sportive, cette mère quadragénaire de trois enfants n'a jamais imaginé vivre un tel cauchemar après avoir accepté de se faire poser des bandelettes sous-urétrales.

Une opération chirurgicale fréquente

Souffrant d'allergies chroniques, ses éternuements à répétition provoquaient chez elles des fuites urinaires gênantes et désagréables. Après plusieurs séances de rééducation périnéales, peu concluantes, elle accepte la proposition de son urologue.

Elle m'a parlé de la pose de bandelettes synthétiques, un traitement chirurgical courant et efficace. L'opération dure vingt minutes. Malgré mon âge relativement jeune, elle m'a assuré que cela me ferait gagner du temps, car mes fuites allaient s'aggraver avec les années. J'ai fait confiance.

Géraldine H.

victime girondine

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durée de la vidéo : 00h03mn22s
Bandelettes urinaires : quand l'opération tourne au cauchemar ©France 3 Aquitaine

Vivre avec les anti-douleurs

Ce jour d'avril 2022, son réveil de l'opération signe le début d'un cauchemar. "J’étais en bonne santé, je me suis réveillée douloureuse, jour et nuit, incapable de faire pipi, car la bandelette était trop serrée, avec des pertes de sang, ne pouvant pas marcher sans souffrir aux cuisses et à l’aine, il m'était impossible de rester assise à cause de brûlures vaginales".

Géraldine se voit expliquer dans un premier temps que son état est normal, que son corps doit s'habituer. Puis son urologue lui propose d'effectuer un retrait partiel de la bandelette. "Lorsque je l'ai revue, elle m'a dit « on ne peut pas l'enlever, c'est une vraie boucherie. Donc, il faut vivre avec, prendre des anti-douleurs ». Ce n'était pas acceptable, on ne m'avait jamais prévenue de ça."  

J'étais choquée quand j'ai compris que j'allais devoir vivre avec, que je n'aurais pas de perspectives d'amélioration. Et j'ai sombré.

Géraldine H.

victime girondine

Combat de femmes

Géraldine s'aperçoit qu'elle n'est pas la seule à souffrir. Elle rejoint un groupe sur les réseaux sociaux où plus de quatre cents femmes se plaignent d'effets secondaires insupportables après la pose de traitements similaires.

"Je ne peux pas vivre sans antalgiques, et par période, sans antiinflammatoires. Je dois anticiper tout effort et prendre un antalgique supplémentaire. Sinon, je mets plus d'une semaine à m'en remettre, confie Patricia, aussi membre du groupe de soutien.

On est toutes passées par des stades comme ça, de déprime - d'envies suicidaires, il faut dire ce qui est - tellement des douleurs sont parfois intenses.

Patricia

victime

"On a commencé à huit, fin 2017, on est 430 aujourd'hui, toutes victimes de ces procédés" indique Marie-Christine Siaudeau, présidente du collectif Bandelette périnéale. "On milite pour faire remonter ces problèmes au gouvernement. Avant la création du groupe, il n'y avait presque pas de déclarations d'effets indésirables."

"Les retours des patientes n'étaient pas pris en compte, les médecins disaient que les problèmes n'étaient pas dus aux bandelettes, que c'était lié à la ménopause ou autre. Et les patientes les croyaient", ajoute-t-elle.

Un premier pas

En 2020, le groupe, qui réussit à échanger avec les autorités, arrive à convaincre l'Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM) d'imposer un cadre à ces pratiques. Les victimes sont incitées à se déclarer sur un site spécialement dédié de l'ANSM.

"On recense plus de deux cents déclarations à ce jour," affirme Marie-Christine Siaudeau qui regrette que cet acte ne puisse se faire qu'avec "un dossier médical complet qu'il n'est pas toujours facile à récupérer". En octobre 2020, un arrêté impose des conditions d'exercice précises.

Depuis un arrêté ministériel de novembre 2020, les médecins sont dans l'obligation de prévenir leurs patientes des risques encourus de la pose de bandelettes, et celle-ci doit être prescrite en dernier recours après un traitement ou de la rééducation avec un kinésithérapeute. Mais pour l'ANSM, la pose de bandelettes reste le "traitement chirurgical de référence ", preuve en est de l'opération de Géraldine d'avril 2022.

30 000 à 40 000 bandelettes posées chaque année

Selon l'agence de sécurité du médicament, l'incontinence urinaire à l'effort touche 25 à 40% des femmes et a un réel impact sur "la qualité de vie, le sommeil et la vie sexuelle". "Elle est caractérisée par une fuite involontaire d’urine qui survient à l’occasion d’un effort tel que toux, rire, éternuement, saut, une course, soulèvement de charges ou toute autre activité physique augmentant la pression intra-abdominale".

Le professeur Xavier Gamé, chirurgien urologue et membre actif de l'association française d'urologie, assure que la méthode des bandelettes "a montré son efficacité dans de nombreuses études".

C'est ce qu'il y a de mieux dans le cas de l'incontinence urinaire à l'effort

Pr Xavier Gamé

chirurgien urologue - association française d'urologie

Si le chirurgien ne nie pas les complications - "certaines graves qui ont laissé des séquelles" - il souligne qu'elles sont largement minoritaires dans le rapport bénéfice-risque. "Le taux de réintervention sur les cinq dernières années est de 3 %", affirme le spécialiste. "C'est catastrophique pour les femmes concernées, mais sur le volume global, c'est très faible".

Une centaine de plaintes

En novembre 2020, 21 plaintes contre X sont déposées auprès du parquet de Paris, 22 autres en novembre 2021 et des dizaines de nouvelles sont en cours de constitution. Les quatre avocates parisiennes en charge de l'affaire - Hélène Patte, Laure Heinich, Dorothée Bisaccia-Bernstein et Amandine Sbidian - demandent que des poursuites soient engagées pour "tromperie aggravée" et "blessures involontaires".

C'est l'enquête qui devra déterminer les responsabilités, si ce sont les laboratoires qui ont mis sur le marché ces dispositifs ou les médecins qui n'ont pas alerté les patientes sur les risques encourus. Ces femmes doivent avoir droit à une indemnité : leur vie a été bouleversée, certaines ont perdu leur emploi et sont handicapées à vie.

Me Hélène Patte

avocate des victimes

"Nous devrions porter très prochainement au parquet le dernier complément, ce qui devrait porter à 75 le nombre de plaintes, issues de toute la France, poursuit l'avocate parisienne. Son cabinet reçoit régulièrement de nouvelles demandes.

Pratique interdite dans certains pays

Au Canada, le gouvernement a reconnu un défaut d'équipement et a accepté de rembourser 155 femmes qui ont dû aller faire retirer leurs bandelettes aux États-Unis où un chirurgien s'est spécialisé dans le domaine.

"On nous installe ça en dix minutes et personne n'est capable de nous les enlever sans séquelles" dénonce la Canadienne Cynthia Gagné, l'une des premières à avoir médiatisé le combat.

Si les femmes savaient ça, aucune n'accepterait l'opération.

Cynthia Gagné

victime et animatrice d'un groupe de support aux femmes victimes au Québec

Ce remboursement n'est aujourd'hui plus possible après l'ouverture de plusieurs centres d'expertises canadiens en 2021. En Écosse et en Nouvelle-Zélande la technique a été interdite. Géraldine, qui avoue n'avoir "plus confiance dans notre système de santé" a finalement décidé de se faire opérer à ses frais aux États-Unis à Saint-Louis (Missouri). Elle a investi 20 000 euros pour sa guérison.

Géraldine s'est aussi jointe à la plainte contre X. "On nous laisse payer pour trouver une solution. Les médecins en France ne sont pas formés à retirer les bandes, l'opération est trop risquée".

Marie-Christine Siaudeau explique que "les crochets placés aux extrémités des bandelettes sont comme plantés dans le corps et les tissus se reconstituent très vite autour. Les retirer peut provoquer beaucoup de dégâts, ça peut être une véritable boucherie" assure-t-elle.

Faux, selon le professeur Xavier Gamé. "Il y a des gynécologues et des urologues en France capables d'enlever ces bandelettes en totalité," affirme-t-il. Le médecin dit toutefois "comprendre" le recours en justice, mais souligne qu'il "serait dommage d'arriver à interdire un procédé qui fonctionne à 97 %".

Il préconise deux solutions à mettre en œuvre : "il faut d'abord arriver à déterminer très clairement les facteurs de risque en amont pour éviter de poser des bandelettes à des patientes qui ne les supporteraient pas. Et puis on doit établir une liste de médecins aptes à prendre en charge les femmes rapidement en cas de complications. Seulement ce dernier point est interdit par le conseil de l'ordre, ce n'est pas déontologique".

Enquête ouverte

Deux ans après le premier dépôt de plainte, les avocates parisiennes n'ont vu aucune avancée. "Le parquet nous a seulement indiqué qu'une enquête était en cours du côté de l'Office central de lutte contre les atteintes à l'environnement et à la santé publique (Oclaesp), mais rien n'indique que des auditions ont été menées depuis notre premier dépôt de plaintes," glisse, amère, Me Hélène Patte.

Ça traîne depuis deux ans, personne n'a été convoqué, entendu ou avisé.

Marie-Christine Siaudeau

Présidente du collectif Bandelette périnéale

Le parquet de Paris confirme qu'une enquête pour des chefs de tromperie aggravée et blessures involontaires a bien été ouverte le 21 avril 2021 et les investigations confiées à l'Oclaesp. "Cette enquête est au point mort et pendant ce temps les femmes continuent de se faire poser le dispositif sans information" dénonce Marie-Christine Siaudeau.

Géraldine, pour sa part, a repris son travail dans le cadre d'un mi-temps thérapeutique, en distanciel à 80 %. Quatre mois après le retrait de ses bandelettes aux États-Unis, elle a encore du mal à se déplacer. Elle espère retrouver ses capacités petit à petit, semaine après semaine. Elle aimerait que son témoignage puisse servir à faire "cesser ces opérations à tout va" et que les victimes obtiennent le droit se faire retirer ces bandelettes "en toute sécurité, sans plus de mutilation".

Article initialement publié le 24 novembre 2022, mis à jour le 4 avril 2023

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