“On nourrit la France et on est en bas de l’échelle” : éleveur en Gironde, Anthony ne croit plus à la politique

À tout juste un mois du premier tour de l'élection présidentielle le 10 avril 2022, France 3 donne la parole aux citoyens. Nous avons rencontré un éleveur de bovins à Parempuyre (Gironde). S’il rêve d’une législation plus juste pour rémunérer les agriculteurs, il a perdu espoir dans la politique.

“Il faut avoir la passion. Ce que vous donnez à vos bêtes, elles vous le rendent !” Anthony Coustaud est éleveur de vaches à viandes. Il est la quatrième génération d’une famille de paysans à Parempuyre, au nord de Bordeaux. 

Son cheptel compte 340 bêtes dont 120 blondes d’Aquitaine. Elles sont nourries quasiment entièrement avec les fourrages et céréales de l’exploitation. Mais il n’échappe pas à l'augmentation de la matière première. “Avant le maïs était cher, mais aujourd’hui c’est exorbitant ! On est passé de 150 euros la tonne il y a un an à 250 euros.”

“Je veux vendre mon produit au juste prix”

Sur une terre de 175 hectares, Anthony doit aussi tenir compte du coût du carburant pour ses tracteurs. Il en commande entre 15 et 17.000 litres par an. “Là aujourd’hui, le litre est à un euro si je dois en commander !”
Son tracteur, il l’utilise notamment pour désherber mécaniquement ses céréales. Car sur son exploitation, pas question d’utiliser de produits chimiques. Du moins, pour le moment. “Quand on fait le calcul, entre le coût du gasoil et l’usure des machines, on se demande s’il ne vaut pas mieux désherber chimiquement.”


Pour venir en aide aux agriculteurs comme Anthony, il existe des aides de la Politique Agricole Commune. S’il avait le choix, Anthony n’en voudrait pas. “Aujourd’hui, moi je veux surtout vendre mon produit au juste prix et m’en sortir. Sans être un mendiant.” Anthony le reconnaît, “sans la PAC, l’agriculture n’existerait plus, il faudrait que je fasse autre chose.” 

La consommation de viande de boucherie en baisse

Dans son élevage, les jeunes femelles sont engraissées jusqu’à leur premier veau. Elles ne rapportent rien pendant trois ans, puis sont vendues à l’abattoir de Bazas, unique lieu d’abattage dans le sud de la Gironde. Habituellement, Anthony en vend 40 chaque année. “L'année dernière, on est tombé à 30. Cette année, on ne sait pas, peut-être 25… Les ventes ne sont pas géniales.”

En cause selon l’éleveur : la baisse de consommation dans les boucheries. Selon les derniers chiffres du ministère de l’Agriculture, la consommation de viande de boucherie a reculé de 2,1 % entre 2019 et 2020.
Ce net repli, qui s’inscrit dans le contexte particulier de la crise sanitaire, confirme la tendance à la baisse enregistrée ces dix dernières années : entre 2010 et 2018, la consommation a baissé de 0,4 % en moyenne par an.


Les exportations, elles, se portent bien pour Anthony. “Mais pour combien de temps ?” , se questionne-t-il. Pour lui, la France “se dirige vers une crise agricole.”  Avant de poursuivre.

Nous, on nourrit la France et on est en bas de l’échelle. On ne vit plus.

Anthony Coustaud - éleveur bovin à Parempuyre en Gironde -

France 3 Aquitaine

Malgré la hausse des matières premières, le prix de sa viande n’a pas augmenté pour autant. Alors, il doit faire un choix. “J’avais un SMIC avant, mais aujourd’hui je ne l’ai pas. Je préfère privilégier mon salarié. Et moi, on verra plus tard.” 

“Ce sont des gens qui sont dans leur bulle”

Anthony ne place plus aucun espoir dans les dirigeants politiques. “Il faudrait qu’ils viennent passer du temps avec nous”, soupire-t-il. “Pas juste en visite comme ça, avec les gens qui leur soufflent dans l’oreille.”

“Ce sont des gens qui sont dans leur bulle. Ils pensent avoir raison. Ils n’ont pas les pieds dans la merde : moi, je le fais tous les matins et tous les soirs.

Anthony Coustaud - éleveur en Gironde

France 3 Aquitaine

Un rythme de vie difficile, mais qu’importe. Pour lui, les contraintes sont ailleurs.


À commencer par trop de réglementations. Il en appelle à des législations plus justes. Son souhait : que les dirigeants politiques comprennent les pressions qui pèsent sur la profession. “La pression que l’on a tous les jours, par les banquiers, par l’environnement, par les élus qui se croient au-dessus de tout. J’ai de la haine, de la colère.”

Anthony sait de quoi il parle. Son père, paysan avant lui, s’est donné la mort. “Il n’y avait peut-être pas que le métier, mais il ne se reconnaissait plus dans ce métier”, livre-t-il, les larmes coulant sur ses joues. Il souhaite que les politiques comprennent ce que l’on appelle pudiquement “la maladie du paysan”. Les chiffres font froid dans le dos. Selon les données les plus récentes de la sécurité sociale agricole (MSA), 529 personnes se sont suicidées en 2016 parmi les agriculteurs.

“J’ai horreur de parler politique !”

Anthony est un paysan fier de nourrir la France. S’il ne croit plus à la politique, il ira voter à la présidentielle par devoir. “Nos ancêtres se sont battus pour que l’on puisse voter”, dit-il.
En 2017, il a mis un bulletin pour la droite. “L’agriculture, on vote souvent à droite. Je pense que la gauche n’a jamais aimé l’agriculture. De toute façon, j’ai horreur de parler politique !” 


Pour lui, qu’importe le président à la tête du pays, rien ne changera pour les agriculteurs. “On est dans une situation où le chien se mord la queue. Je trouve même que ça s’empire. Je pense que l’on va finir par ne plus être indépendant au niveau nourriture, déjà aujourd’hui, on ne l’est plus !” Mais alors, pour qui ira son bulletin ? “Quand on n’y croit pas, on sait ce qu’on vote”, répond-il, sous-entendant le vote blanc. “Malheureusement, ce n’est pas reconnu.”

“Ils ont toujours un beau programme”

Le salarié d’Anthony, Teddy, lui aussi a perdu toute confiance dans les politiques. “Cela fait plus de dix ans que je ne vote plus”, confie Teddy. En 2007, il avait voté Nicolas Sarkozy. “Ils ont toujours un beau programme, et une fois qu’ils sont dans la grosse maison, il n’y a plus grand chose”, poursuit-il. 


Le profil du candidat qui pourrait lui donner envie de se rendre aux urnes en avril prochain ? “Quelqu’un de sincère, qui ne sorte pas que de belles paroles”, répond Teddy. “Aussi, il faut arrêter de faire du social et encourager les gens qui travaillent. C’est ça que je trouve écœurant.”

Marre d'être diabolisé

Surtout, Anthony et Teddy en ont marre d’être diabolisés. “Les agriculteurs, on est vu comme des gros pollueurs par la strate politique", s’énerve Anthony. “Ça pèse beaucoup sur le moral quand on nous dit qu’on travaille pas dans le bon sens !” Anthony insiste, il travaille raisonnablement. “On dit que mes vaches polluent parce qu’elles rotent et qu’elles pètent, par contre le dernier smartphone qui vient de Chine, ça pollue pas et on applaudit ! Il y a un ras le bol”.

Depuis septembre 2021, Anthony a vendu seulement huit vaches, alors qu’il en vend en moyenne une par semaine. Du jamais vu “à part l’année de la crise de la vache folle, mais les matières premières n’étaient pas aussi chères.”

Anthony garde espoir qu'un jour, ses enfants soient la cinquième génération de paysans à reprendre la ferme...

Le reportage de M. Neuville, T. Gardet et B. Chague

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