"On se fait insulter sur les réseaux sociaux" : ces artistes qui prennent position contre l'extrême droite

Par la création d’oeuvres engagées, la signature de tribunes politiques ou les appels au barrage, artistes, fédérations et syndicats culturels néo-aquitains se mobilisent face à la progression historique de l’extrême-droite dans la région. Un choix engagé, qui n'est pas sans conséquences.

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Ils s’en souviennent comme si c’était hier. " En 2002, quand Jean-Marie Le Pen a accédé au second tour de l’élection présidentielle, on avait vingt ans, raconte Mathieu Dassieu, membre fondateur du groupe de reggae Danakil. On était déjà conscients du danger que l’extrême droite représentait pour la société et la culture à l’époque." Aujourd’hui, ils en ont quarante et sont devenus pères. " Les temps ont changé, reconnaît-il, mais les dangers sont les mêmes : il faut combattre l’extrême droite. "

En partie originaires de Nouvelle-Aquitaine, une région marquée par une progression du Rassemblement national à l’occasion des élections législatives, les membres du groupe de reggae se sont mobilisés en créant une œuvre : La démocratie balbutie, avec Rike du groupe Sinsemilia. " On a pensé qu’on serait plus efficaces à transmettre notre message par la musique, explique le membre de Danakil, dont le titre est paru le 27 juin. Et le reggae s’y prête bien puisque, comme le rap, c’est un art engagé ".

Convaincre les derniers hésitants


Dans leur opposition à l'extrême droite, les membres de Danakil ont signé la tribune " Le rock emmerde le Rassemblement national ". Publiée le 26 juin dans la version française du magazine Rolling Stone, elle réunit 308 groupes dont deux bordelais : Les Hurlements d’Léo et Dätcha Mandala. Pour ces derniers, cette signature est une première prise de position contre l’extrême droite. Ces rockeurs ont un espoir : " le fait de s’engager publiquement permettra peut-être de convaincre les derniers hésitants."


Ce travail de persuasion, le groupe Shaka Ponk s'y emploie depuis des années. Sur scène et devant des milliers de spectateurs, ils délivrent fréquemment des messages politiques : " On essaie de nous dresser les uns contre les autres, se sont-ils insurgés au festival aquitain Garorock, le 27 juin à Marmande dans le Lot-et-Garonne. Mais ce que je vois ici, ce sont des gens ensemble, unis. Quelle que soit ta religion, quelle que soit la couleur de ta peau. Ensemble, unis, contre ce putain de Rassemblement national ".

"Ce qui ouvre l'avenir plutôt que ce qui l’obscurcit"

Dans cette lutte, certains se prêtent au jeu de l'écriture. Le Creusois Gauvain Sers, auteur notamment de la chanson devenue tube "Les Oubliés", a publié un poème avant le premier tour des élections législatives : " Si tu voyais grand-mère, de ton ciel, tout là-haut, ton pays qui se perd, t'en aurais des sanglots. " Rien que sur Instagram, le texte cumule plus de 5 millions de vues.

Plus largement, les acteurs du milieu littéraire se sont mobilisés en signant une tribune nationale, parue le 17 juin. Parmi le millier de noms, ceux de la Girondine Séverine Vidal et la Deux-Sévrienne Catherine Meurisse. Tous défendaient " la nuance face à l'outrance, ce qui rassemble plutôt que ce qui divise, ce qui ouvre l'avenir plutôt que ce qui l’obscurcit. "

Voir cette publication sur Instagram

Une publication partagée par Gauvain Sers (@gauvainsers)

Toutes ces prises de position, dans l'espace public, ont des répercussions importantes pour leurs auteurs. " On se fait régulièrement insulter sur les réseaux sociaux, rapporte Mathieu Dassieu du groupe Danakil. Et parfois de manière très violente. On constate aussi la perte de plusieurs centaines d’abonnés sur nos pages publiques", peine-t-il encore à y croire.

Il y a encore quinze ans, on n'aurait jamais pensé avoir un public d’extrême droite.

Mathieu Dassieu

Membre du groupe Danakil

"Les artistes sont trop silencieux"

" Dans la région, ce sont surtout les fédérations professionnelles et les syndicats culturels qui s’engagent et appellent à faire barrage ", remarque Frédéric Vilcocq, conseiller culture et économie créative en Nouvelle-Aquitaine. Parmi eux : le réseau des indépendants de la musique (RIM), la Fédération nationale des labels indépendants (FELIN), la direction de l’opéra de Bordeaux, le syndicat du spectacle vivant (Syndeac) et l’association des sociétés de production cinématographique (PEÑA).

" Les artistes sont trop silencieux, on aimerait entendre plus de voix régionales", souhaite Frédéric Vilcocq. L’élu avoue ne pas comprendre leur absence, alors même que, selon lui, les dangers sont déjà présents : " à chaque commission permanente ou plénière, l’extrême droite attaque la création et la liberté fondamentale de programmer. Elle censure les initiatives culturelles liées au genre, à l’immigration et aux orientations sexuelles, liste l’élu. Sans compter leur volonté de supprimer les nombreuses subventions aux acteurs politisés. "

L'extrême-droite est une menace pour la culture.

Frédéric Vilcocq

Conseiller Culture et Economie créative à la Région Nouvelle-Aquitaine

L’art : pur ou politique ? 


Si l’intervention des artistes dans le champ politique suscite fréquemment des controverses, note la sociologue de l’art Clara Lévy, c’est parce qu’il existe deux visions radicalement opposées : " soit on considère que l’art est pur, donc il ne doit pas prendre position. Soit, on considère que tout art est politique et délivre dans ce cas un message. " Quoi qu’il en soit, rappelle la spécialiste, " les artistes et le politique sont liés depuis longtemps. Cela remonte à l’affaire Dreyfus, moment où les artistes ont investi le débat public. "


Aujourd’hui, Clara Lévy remarque, elle aussi, une certaine " prudence chez les artistes ". Elle oppose ce constat à celui de l’élection présidentielle de 2002, où " un discours unanime " s’était tenu face à l’arrivée de Jean-Marie Le Pen au second tour. Concerts, manifestations monstres, à l'époque, acteurs, cinéastes, rappeurs ou encore humoristes prennent position contre le Front national. Une mobilisation du monde de la culture, rappelée par nos confrères de France Culture dans cette vidéo. 

Vingt-deux ans, plus tard, le silence du milieu questionne. " Peut-être est-ce lié à une forme d’autocensure, à une peur de ne plus pouvoir exercer son métier, se questionne Clara Lévy, étant donné que les enjeux sont importants et les répercussions souvent violentes. "

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