L’hôpital privé Saint-Martin à Pessac, surnommé "la clinique de la main", est renommé bien au-delà de Bordeaux. Spécialisé dans les urgences et les opérations rares, il réalise des chirurgies qui transforment des vies.
Dans l'atelier qu'il a aménagé au rez-de-chaussée de sa maison, Francis Berruyer se prépare à scier des planches. Son accident n'a pas eu raison de sa passion. "Je n'ai plus aucune appréhension", assure-t-il.
Il y a plus de deux ans, la vie de cet architecte à la retraite bascule. Alors qu'il bricole, son index gauche passe sous la lame d'une disqueuse. Une faute d'inattention, et derrière, la douleur est fulgurante. "J'ai eu l'impression qu'on me donnait un coup de barre de fer derrière les jambes", se souvient-il. Son doigt pend. L'os a été entièrement sectionné. L'homme craint de perdre son pouce à jamais. Pourtant, dès le lendemain, Francis Berruyer est opéré de la main par le Docteur Elias Sawaya. Une des centaines d'opérations que réalise le chirurgien chaque année, avec succès.
Interventions programmées
À la clinique, les journées d'Elias Sawaya sont chronométrées. Ce matin encore, le chirurgien plasticien est en charge d'une vingtaine d'opérations programmées, sans parler des urgences qui viennent s'ajouter. Une musique de fond l'accompagne toujours lorsqu'il opère.
C'est vrai que mes week-ends sont plus passés à réparer qu'à lire des bouquins.
Elias SawayaChirurgien plasticien à la clinique Saint-Martin
Loupes grossissantes sur le nez, il intervient cette fois sur un patient touché par la maladie de Depuytrin. "Ce sont des sortes de cordes qui se développent dans la main, tirent sur la main, et l'empêchent de l'étendre", explique le médecin. Ces tissus fibrosés, le chirurgien va les retirer un à un. Un travail long et précis durant lequel le patient est conscient grâce à une simple anesthésie locale. "Dans ce métier, réparateur et manuel, tout est très palpable, analyse-t-il. On touche, on agit sur les choses."
Venue de Suisse, le docteur Calmels a, elle, décidé de passer un an à la clinique pessacaise pour perfectionner ses connaissances. "Des cas comme cela, en Suisse, je vais en voir deux sur la semaine, là, on est à dix, constate la chirurgienne. Chacun a aussi sa façon de faire. Je suis là pour leur expertise, mais aussi pour la patientèle et la quantité d'opérations réalisées ici".
Chaque année, plus de 4 000 opérations de la main ou du poignet sont en effet programmées à la clinique. Parmi elles, des opérations rares ont fait le tour des médias.
Un orteil pour un pouce
En septembre dernier, la clinique réalise une prouesse : greffer un orteil à la place du pouce de la main d'un patient. Cette chirurgie n'est pas une première. Réalisé depuis une trentaine d'années, son protocole a cependant beaucoup évolué au fil du temps.
Au départ, les précurseurs prélevaient le gros orteil, mais les patients étaient ensuite gênés pour marcher. "Du coup, ils se sont mis à prendre le deuxième orteil qui est moins important pour la statique et la marche, explique le docteur Sawaya. Ses fonctions, sa longueur et même son aspect sont cependant beaucoup moins satisfaisants que le gros orteil". En 1980, Guy Foucher, un médecin strasbourgeois, règle définitivement le problème avec une idée ambitieuse : "prendre le squelette du deuxième orteil et l'enrober de la peau du gros orteil". Un succès.
Des résultats spectaculaires
À Bordeaux, cette chirurgie a été réalisée cet été. Un travail de plusieurs heures : près de dix heures au total. Prélever l'os et les vaisseaux du deuxième orteil, préparer le pouce de la main pour pouvoir connecter les deux : l'opération, synthèse de toutes les chirurgies appliquées à la main, le docteur Sawaya l'a effectuée avec docteur Benjamin Sommier. "On n'a pas besoin d'échanger pour savoir si l'un ou l'autre est fatigué, détaille Benjamin Sommier. On travaille en équipe et cela apporte de la souplesse, du confort, et de la fiabilité".
Pour obtenir ce résultat spectaculaire, très médiatisé, le patient doit ensuite réaliser un très gros travail de kinésithérapie. Des mois durant, il va devoir apprendre à ce nouveau doigt à trouver sa mobilité. "Quelques mois plus tard, les mouvements du pouce se mesurent par opposition aux autres doigts", montre, vidéo à l'appui, le chirurgien. Les images sont impressionnantes, la main a retrouvé ses fonctionnalités.
Cette chirurgie, de pouvoir la proposer, c'est se dire que tout le reste n'est pas vain.
Docteur Benjamin Sommier,Chirurgien de la main à la clinique Saint-Martin
Prouesse pour le grand public, cette opération symbolise aussi l'aboutissement de toute une formation pour ces deux médecins, qui ont fait leurs études ensemble au CHU de Bordeaux. "C'est l'opération un peu "reine" en reconstruction", glisse le Docteur Elias Sawaya.
Il faut en effet prendre en compte les risques et prendre une décision avec le patient. "On passe énormément de temps avec lui pour expliquer la balance entre les bénéfices et les risques, enchaîne le docteur Sommier. Quand le patient a compris les enjeux, qu'il a accepté le défi, on le met en œuvre. Notre challenge, c'est de pouvoir proposer ce type de technique et le répertoire le plus complet possible de techniques de reconstruction le plus longtemps possible."
"En pelant du chorizo"
Les docteurs Sommier et Sawaya sont ultra-spécialisés pourtant, en parallèle des opérations programmées, ils travaillent aussi aux urgences. Ici, défilent les accidents domestiques ou survenus sur le lieu de travail. Chaque année, plus de 13 000 personnes s'y présentent. Une affluence qui pousse d'ailleurs la direction à se pencher sur l'agrandissement des locaux.
Les urgences, cela me permet d'avoir une variété de cas.
Benjamin SommierChirurgien
Parmi elles, ce père de famille, au regard légèrement perdu. "Comment vous avez fait ça ?", interroge le docteur Sommier. "En pelant du chorizo", répond ce patient inquiet de savoir s'il pourra continuer de porter son nouveau-né.
L'intervention est immédiate, sans passage au bloc : le tendon de son pouce, largement entaillé sera suturé quelques minutes plus tard. Une chirurgie simple, réalisée en ambulatoire, par le docteur Sommier pour qui officier aux urgences est incontournable. "C'est une chance d'avoir pu s'installer dans un centre SOS main, dit-il. Cela me permet d'avoir les deux activités. C'est un choix aussi".
Francis Berruyer a aussi arpenté les couloirs des urgences il y a deux ans. Aujourd'hui, il a repris "le contrôle" de son doigt même si une certaine raideur persiste. "J'ai un doigt qui me gêne, mais c'est un peu dérisoire. Ça ne me fait perdre que quelques dixièmes de seconde sur mes gestes", sourit le retraité.
De ce handicap, et de ce doigt trop tendu, il préfère aujourd'hui rire. "Un jour à table, ma fille était en face de moi, raconte le retraité, sourire aux lèvres. On parle et puis d'un seul coup, elle me passe la carafe d'eau. Je ne comprenais pas, mais en fait, elle pensait que je lui montrais du doigt la carafe". L'humour pour reconstruire l'esprit, après la main. À ses yeux, la page est belle et bien tournée.