"Je cherchais les mots, j'avais du mal à suivre une conversation" : ces effets secondaires de la chimiothérapie dont on ne parle pas

Les chimiothérapies pour traiter les cancers peuvent avoir des conséquences pour les patients, même en rémission : pertes de mémoire, confusion, troubles de l'attention... Atteinte d'un cancer du sein en 2017, Johanna a fait partie d'un projet pilote, avec des ateliers de rééducation cognitive, qui l'ont aidée à retrouver une partie de sa vie d'avant.

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"Personne n'en parle. On vous dit que vous allez perdre vos cheveux, que vous pouvez saigner du nez, avoir des problèmes aux ongles, mais ça, non." "Ça", c'est le chemobrain ; autrement dit, des troubles cognitifs qui peuvent survenir après le traitement d'un cancer par chimiothérapie, une sorte de "brouillard mental" qui crée des troubles de l'attention, de la confusion, des pertes de mémoire.

Ce trouble peut toucher n'importe quel patient sous chimiothérapie, et même après avoir guéri du cancer. Mais bien souvent, l'absence de diagnostic fait que l'on se sent seul face à ce problème. Johanna l'a vécu en 2017 : à 51 ans, on lui découvre un cancer du sein triple négatif. S'ensuit alors presque un an de traitement, avec de "très fortes chimios, très rapprochées au début, puis de la radiothérapie". Puis, très vite, cette Girondine commence à s'apercevoir que sa mémoire lui fait défaut.

Un cerveau fatigué par la chimiothérapie

"Ce brouillard est compliqué à décrire, mais je cherchais des mots, j'avais du mal à suivre une conversation si deux personnes parlaient en même temps, se souvient cette professeure des écoles, pourtant habituée à faire travailler sa mémoire en classe. Mon fils me disait "Maman, tu ne m'écoutes pas !" alors que si, mais des choses me parasitaient ; mon mari m’alertait sur le fait que j'oubliais des choses."

Parfois, on me disait quelque chose et au bout de cinq minutes, je ne me souvenais plus de rien.

Johanna

Atteinte d'un cancer du sein en 2017 et souffrant de chemobrain

Une situation "très anxiogène et difficile à vivre", qui la pousse à en parler à son oncologue. Il l'oriente alors vers un projet pilote, mené par l'institut Bergonié de Bordeaux, le centre régional de lutte contre le cancer en Nouvelle-Aquitaine. Ce projet vise à accompagner les patients avec différents ateliers de rééducation cognitive, menés par Véronique Gerat-Muller, neuropsychologue.

"Avant de lancer les ateliers, on a fait des tests. Alors qu'elle me posait un exercice de maths tout bête dans son bureau, la porte à côté s’est ouverte et j'ai été complètement parasitée par le bruit, j’étais incapable de me concentrer sur ce qu’elle me disait", décrit Johanna.

Réapprendre à mobiliser son cerveau

Interviennent alors les ateliers, qui vont petit à petit lui permettre de retrouver ses capacités cognitives. Johanna et les autres patientes de ces ateliers réapprennent à se servir de leur mémoire, à exercer leur attention. "On devait par exemple placer des mots sur une image et les retenir pour les restituer quelques minutes plus tard, ou bien compter à l’envers de deux en deux, détaille l'enseignante. Ça paraît simple comme ça, mais ça ne l'était pas du tout."

C'était très angoissant pour moi de penser revenir devant une classe. J’ai même cherché à changer de métier, tellement je pensais ne plus jamais pouvoir reprendre.

Johanna

Atteinte d'un cancer en 2017 et souffrant de chemobrain

Finalement, Johanna finit par retrouver le chemin d'une classe trois ans après son cancer, d'abord en mi-temps et en tant que remplaçante. "Au tout début, ça m'est quand même arrivé de me retrouver devant le tableau, avec une élève de CP ou CE1 qui avait mal écrit le mot tournevis, et je savais que ça ne s’écrivait pas comme ça, mais je ne savais plus l’écrire moi-même… Ça fait peur, et c'est très surprenant aussi. On n'est plus comme avant." Mais elle reconnaît que les ateliers l'ont "beaucoup aidée" : "Sans ça, je n'aurais jamais repris."

Généraliser cet accompagnement encore méconnu

Face au succès de ces séances entre patients et neuropsychologues, une association, onCOGITE, est créée en 2019 à Bordeaux, pour ouvrir ces ateliers à un plus grand nombre. Johanna en est la vice-présidente, aux côtés de Véronique Gerat-Muller, la cofondatrice. "De voir que ça m’a aidée, je me suis dit que tout le monde devait avoir droit à cet accompagnement, appuie la vice-présidente, aujourd'hui en rémission de son cancer. C'est important de savoir que non, on n'est pas diminués, on n'est pas seuls dans ce cas."

Après une intervention avec l'association, une dame est venue nous dire merci, car cela faisait cinq ans qu'elle se posait des questions, qu'elle pensait qu'elle n'était pas normale.

Johanna

Vice-présidente de l'association onCOGITE

L'association vient aujourd'hui en aide à 2 800 patients dans toute la France, et plus seulement autour de Bordeaux, grâce à une plateforme lancée en 2021 permettant de suivre des ateliers en distanciel. Avec plus de 5 000 adhérents, onCOGITE "aimerait aider le plus de monde en difficulté possible", et ce, pour des patients atteints de tous types de cancers, pas seulement des cancers du sein.

Ce dimanche 13 octobre, à l'occasion d'Octobre rose, une course est organisée à Saint-Morillon en Gironde par deux associations locales, Les Escargots de Saint-Mo et Les Choeurs de Saint-Mo. Les bénéfices seront reversés à onCOGITE et à une autre association, Jeune et Rose. Des fonds bienvenus pour onCOGITE, pour continuer de mener à bien leurs ateliers. L'association travaille également sur un projet d'accompagnement spécifique aux adolescents et jeunes adultes, qui devrait voir le jour à la fin du mois.

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