La réouverture progressive des salles de spectacles est prévue à partir du 19 mai. Dans les faits, la jauge limitée et la distanciation réclamées risquent de rendre ce rendez-vous avec le public peu rentable et les mesures compliquées à appliquer. Réactions en métropole bordelaise.
Dans un premier temps, ils étaient nombreux à se réjouir de cette date, le 19 mai, qui marquerait sans doute symboliquement la lumière au bout du tunnel. La perspective d'un retour devant le public, d'un partage culture, redonnait le sourire à ces acteurs du monde culturel.
Nous avons choisi d'interroger quelques responsables de salles de spectacles, de concerts comme de théâtre de la métropole bordelais. Car, à y voir de plus près, ce n'est pas si simple.
Ce mardi matin, Michel Goudard, le producteur bordelais (Euterpe Promotions) qui produit des spectacles en Aquitaine (notamment au Rocher de Palmer, au Fémina, à l'Arena Arkea) depuis près de 40 ans, réagissait sur l'antenne de France Bleu Gironde.
Il expliquait avec humour être "convaincu de pas grand chose" notamment parce qu'il avait reçu, le matin même, un message du syndicat National des Entrepreneurs du spectacles (SNES) qui "précise les choses" et qui l'avait, semble-t-il, laissé perplexe.
Chaque salle, chaque événement, production doit évaluer selon la jauge. Et cette phase de reprise s'annonçait pour lui "avec 800 personnes maximum, c'est à dire 35 %, une place sur trois... MAIS on n'enlève pas le couvre-feu ! Alors, en pleine période de printemps, faire des spectacles qui s'arrêtent à 20h30 pour que les gens puissent rentrer chez eux avant... Je ne vois pas comment c'est possible..."
Il rappelle donc les trois phases prévues
- dès le 19 mai, en places assises d'abord, à 35% de la jauge (environ un siège sur trois), avec un couvre-feu à 21heures
- puis dans une deuxième phase le 9 juin, 65% (un sur deux) toujours avec un public assis, tout en gardant un couvre-feu à 23h
- puis debout mais avec "quatre personnes au mètre carré"
"Et le 1er juillet, c'est magnifique, avec tous les festivals qui vont pouvoir ouvrir... Vous allez m'expliquez comment on va mettre quatre personnes au mètre carré? (...) comment on délimite les distances de sécurité, avec des barrières ? Je sais pas faire moi ..."
A l'entendre, dès le 19 mai, ces mesures sont incompatibles avec cette activité de concert. "Je ne vois pas du tout comment économiquement ceci est possible. D 'autant plus que la mise en place des fonds de compensation est toujours en discussion..."
Tenir ensemble. Pour nous retrouver. pic.twitter.com/AQms1lcqRY
— Élysée (@Elysee) April 29, 2021
Au Grand théâtre, "on va reprendre le programme tel que prévu"...
enfin presque! L'Opéra de Bordeaux, l'administrateur Olivier Lombardie, le rappelle, n'est pas soumis au même besoin de rentabilité, grâce à aux subventions. Ici, "on a la chance d'avoir 180 artistes à demeure "et l'enjeu c'était, essentiellement cet hiver, de maintenir le travail, les représentations même sans public, pour maintenir ce niveau"... Même si ce pouvait être étrange parfois et démoralisant.
"On va reprendre le programme tel que prévu (...) On commence d'ailleurs à répéter "Carmen". Enfin -tel quel- j'exagère"... Et l'administrateur d'expliquer qu'ils ont quand même réduit les coûts en proposant une version concert plutôt qu'un opéra et à l'Auditorium plutôt qu'au Grand Théâtre, plus adaptable aux contraintes sanitaires.
On doit jongler entre les jauges et le couvre-feu à 21 heures
"Rien ne remplace le fait de retrouver le public : on est ravi". Mais il explique également le casse-tête : "on est obligé de jongler avec les jauges et en l'occurrence ce qui pose le plus de problème c'est le couvre-feu à 21heures..."
Carmen en version courte
Dans sa version classique prévue initialement au programme Carmen dure 2h45, il a fallu prévoir "une version courte de 1h15, une sorte de best-of-Carmen, pour les soirs de semaine", et la version longue (2h45) pour le week-end en matinée (17h). Et ce n'est qu'à partir du 9 juin, que les représentations pourront se faire à 19h30...
"Ce sera sans doute l'occasion d'accueillir d'autres publics" et peut-être également de "recevoir le personnel du CHU de Bordeaux".
Ici, on se dits "ravis bien-sûr mais épuisés" par ce drôle d'hiver sans public, "très pénible". Mais on semble se tourner avec avidité vers la préparation de ces rendez-vous, tout en maintenant des protocoles de tests des artistes de plateau, de masques pour les choristes et de distanciation dans la fosse... Ils sont rodés. Le spectacle peut (re-)commencer !
Pour les représentations de Carmen voici les nouveaux horaires (qui tiennent compte du couvre feu à 21h puis23h) :
Dimanche 30 mai. 2021 à 17h (version longue)
Mercredi 2 et Jeudi 3 juin à 19h en version courte
Samedi 5 et dimanche 6 juin à 17h (en version longue)
Avec la deuxième phase (couvre-feu à 23h):
Mercredi 9 et Jeudi 10, vendredi 11 et samedi 12 juin à 19h30 en version longue.
Au Pin galant de Mérignac
Au Pin Galant de Mérignac, on ne pourra pas accueillir de public avant la rentrée de septembre. Sur le site, seuls les concerts de Benjamin Biolay le 7 octobre ou de Claudio Capéo 16 décembre 2021 sont déjà à l'affiche. Mais, il s'agit ici de repartir avec une programmation dense comme la salle de spectacle en a l'habitude. Pour Philippe Prost, le directeur du Pin Galant, "artistiquement on est prêts !", même s'il reste assez amer sur la façon dont on a malmené, selon lui pendant 13 mois, le monde culturel en France, .
Le directeur précise qu'"actuellement, le Pin galant est un vaccinodrome (dans son activité d'accueil de congrés, NDLR). On y vaccine près de 1000 personnes par jour, au moins on est utile"... Mais il y compte bien dè septembre, prendra vie la nouvelle programmation, 80 spectacles, comme à son habitude "pluridisciplinaires, intergénérationnels", dont une quarantaine qui ont pu être reportés de cette saison avortée. Cinq spectacles par semaine : du concert au théâtre en passant par le récital jazz ou des performances circassiennes.
Mais il le rappelle, le Pin galant, c'est 100 000 spectateurs par an, un budget de six millions d'euros, "on s'autofinance à plus de 70 %" et "derrière, il y a l'embauche d'intermittents, la location de matériel et autour, le logement, la restauration"... bref un écosystème Pin galant qu'il espère, que tous espèrent revenir à la normale.
C'est pourquoi, ils ont également lancé un questionnaire à 35000 personnes pour connaître leur mode de consommation de leurs spectateurs assidus et occasionnels, pour essayer d'adapter leurs abonnements et tarifs. Ainsi, près de 2500 personnes ont répondu et, raconte Philippe Prost, "ce qui nous fait chaud au coeur malgré tout , c'est qu'ils disent tous vouloir revenir au plus vite, maintenant" !
Au Krakatoa, "on attend qu'on nous précise les choses"
Pour la salle de spectacle mérignacaise, il ne s'agit pas de faire les choses dans la précipitation. Didier Estève, le directeur du Krakatoa explique :"pour la phase du 19 mai, on va pas y aller. On ne comprend pas. On peut accueillir 800 personnes au maximum à l'intérieur, mais assises, debout ? Et puis avec le couvre-feu à 21h c'est raide et c'est court". "On ne sait pas non plus si, comme la dernière fois, les billets font foi", et que les gens ont le temps de rentrer après 21 heures.
Pour le Krakatoa, il n'y aura pas de concert avant le mois de juin "aussi parce qu'il nous faut le temps d'annoncer ces concerts" et avec le couvre-feu de 23 h ce devrait être plus gérable même si, là-aussi, "on ne connaît pas encore le mode opérationnel des jauges"...
Quant la rentabilité? Ça, c'est encore autre chose mais, "il y a normalement les fonds de compensation" pour éviter de perdre de l'argent.
En attendant, au Krakatoa, on veut des précisons : "on ne peut pas se permettre de faire venir du public en dehors de la légalité", avec des recommandations écrites : "on est des professionnels".
Didier Estève devrait peut-être en savoir plus après une réunion prévue avec la préfecture ce 4 mai en soirée.