"Si vous vous baladez dans Bordeaux, vous verrez de plus en plus de personnes sous une couverture". Les associations réclament des hébergements d'urgence

En plein épisode de grand froid, 40 places d'hébergement d'urgence supplémentaires viennent d'être ouvertes, par la Préfecture, à destination des personnes sans domicile fixe. Un nombre en deçà des nécessités des associations, qui comptabilisent de plus en plus de demande.

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Tous les mardis et dimanches soir, les maraudes des Gratuits battent le pavé et arpentent les berges du lac de Bordeaux, afin d'apporter une aide alimentaire aux sans-abris. Tout au long de l'année, la présidente de l'association les Gratuits constate l'augmentation du nombre de personnes à la rue. 

"On aurait aimé qu'il y ait 1 000 places pour couvrir les besoins"

Cecilia Fonseca, responsable de l’asso les gratuits Gironde Solidarité ne mâche pas ses mots. "Je pense que, comme chaque année, vous savez comment fonctionne la préfecture. Ils ouvrent des places en hiver et en ferment en été", dit-elle. "Ils font du yoyo". 

Les statistiques de la Préfecture de la Gironde sous les yeux, elle relève le nombre d'hébergements total ouverts cette année sur le département : 2 142 contre"2 100 et quelques l'année dernière, et 1 600 cet été". Pour elle, on est "loin du compte". "On aurait aimé qu’il y ait 1000 places sup pour couvrir les besoins".

Mardi, on avait 96 personnes à la dernière distribution à Bordeaux lac, aucune n’était hébergée.

Cecilia Fonseca

Responsable Les Gratuits Solidarité Gironde

Lors de la maraude effectuée quai Deschamps, sur la rive droite de Bordeaux, elle a compté 49 bénéficiaires, eux aussi, laissés à la rue.

Si vous vous baladez dans Bordeaux, vous verrez de plus en plus de personnes sous une couverture dans un coin de rue

Estelle Fonseca

Responsable Les Gratuits Solidarité Gironde

À Bordeaux : un bateau de croisière reconvertie en lieu d'accueil

Au-delà des 40 places d'urgence ouvertes, depuis le 9 janvier, par la Préfecture, un nouveau lieu d'accueil a ouvert mi-décembre sur les bassins à flots. Un bateau de croisière transformé pour pouvoir héberger 100 personnes sans domicile.

Une "expérience novatrice" se réjouit Karen Brillat, directrice régionale du diaconat de Bordeaux, en charge de la gestion de ce lieu. "C’est une solution assez créative face à des besoins qui sont grandissants. "On essaye d’anticiper, l’hiver revient tous les ans. Ce qui peut être plus complexe, c’est de trouver le lieu d’accueil." explique-t-elle. 

Ce dispositif restera ouvert jusqu'au mois d'avril 2024 pour un accueil mixte d'hommes, femmes et couples. 

De plus en plus d'enfants sans-abri

"On ne peut pas dire que l’état n’a pas investi dans des places, en 2013 il y en avait 500, aujourd’hui, quatre fois plus" déclare Anne Marchand, Directrice régionale de la Fondation Abbé Pierre, elle est à l'origine d'une étude très précise, effectuée en juin 2023, sur l'ensemble de la Gironde et disponible sur le site de la fondation. 

4 850 personnes sont aujourd'hui sans-abri en Gironde.

Anne Marchand

Directrice régionale de la Fondation Abbé Pierre

Autre donnée très éloquente de l'association : "entre 2019 et 2023, on a multiplié par 11 les demandes de mise à l’abri en Gironde." Et avec ces nouvelles demandes, apparait un nouveau public, bien plus jeune, car de nombreux enfants sont touchés par le sans-abrisme. "En 3 mois (d'octobre à décembre), on a mis à l'abri 55 personnes, dont 23 enfants, poursuit la responsable associative.

Si la Fondation Abbé Pierre a pu sortir de la rue ces familles pour les reloger à l'hôtel, c'est souvent grâce à des coups de fils de citoyens effarés par ces situations. "Aujourd'hui, ce sont les écoles, les citoyens qui nous appellent directement. Il y a beaucoup d'enfants qui sont dehors" explique sa directrice.

 

Le 115 et le suivi de la préfecture 

Selon les directives d'Etat, chaque année, la préfecture met en place un plan spécifique d'accueil. Comme l'explique, Thierry Bergeron, qui l'organise, la Préfecture se met alors en vigilance renforcée : des maraudes ont lieu ; ainsi qu'un élargissement des places d’accueils de jour, pour permettre aux personnes de s'abriter du froid également en journée et enfin l'ouverture de places supplémentaires.

Pour pouvoir organiser l'attribution de ces places, un organisme dédié, le 115. Il y a, rappelle le responsable préfectoral, "un dialogue constant entre les services de l’Etat et le 115". " A travers ces échanges quotidiens, on mesure l’augmentation de l'occupation du nombre de places d’hébergement".

Paradoxalement, au cours des 5-6 jours qui ont précédé ce froid, nous n’avons pas d’augmentation du nombre de demandes de places.

Thierry Bergeron

Directeur départemental de l'Emploi, du travail et de la solidarité-Préfecture de gironde 

"On ne pleure pas devant des chiffres"

"Il y a de plus en plus de personnes qui n'ont même plus recours au 115, par lassitude ou par détresse" rétorque la responsable régionale de la Fondation Abbé Pierre. 

"En fait, on n’est plus dans un système en capacité de gérer cela", explique-t-elle, tant les nécessités de logements face aux possibilités du 115 sont disproportionnées. Avant de citer celui qui a passé une partie de sa vie à combattre le mal logement puis le droit au logement : "Les hommes politiques ne connaissent la misère que par les statistiques. On ne pleure pas devant les chiffres".

Ainsi, l'année dernière, la Fondation Abbé Pierre, ainsi que de nombreuses autres associations d'accompagnement des sans-abris, ont fait appel à un huissier pour constater les délais d'obtention d'un hébergement auprès du 115. Cécilia Fonseca, responsable de Gratuit, explique le schéma classique d’attribution des places : "pour obtenir une place au 115 pour 15 jours, il faut appeler 10 jours sans discontinuité".

Un jour sans téléphone et il faut recommencer. C’est le loto.

Cecilia Fonseca

Responsable Les Gratuits Solidarité Gironde

Observé, vérifié et constaté par constat d’huissier l’année dernière, ces données ont été transmises à la Préfecture, explique-t-elle et pourtant "rien n’a changé".

Anne Marchand, a quant à elle rencontrée une femme qui avait appelé durant 18 jours d'affilée pour une place d'hébergement de 15 jours. Sachant, explique-t-elle, qu'à la sortie, il faut effectuer le même manège. "D’autant que c’est un coût financier très important" appuie-t-elle.

"Tout le système d’hébergement est à revoir. Il faut changer de dogme".

Pour les deux responsables associatives, il ne faut plus attendre et changer radicalement la prise en charge. "Tout le système d’hébergement est à revoir. Il faut changer de dogme" déclare Cécilia Fonseca. Il faut les mettre à l'abri jusqu'à ce qu’ils aient une solution pérenne."

Pour Anne Marchand, la solution existe : "il faut juste mobiliser les logements vacants"

Selon ses chiffres, en 2022 en Gironde, 2 200 logements libres n'étaient pas mis à la location par les bailleurs sociaux. Et "dans le parc privé, plus de 15 374 sont inoccupés depuis plus de trois ans." Avant de donner un chiffre clé :  "7 290 ménages sont exposés au sans-abrisme en Gironde", des ménages, explicite-t-elle, hébergés par des tiers notamment.

Elle espère que verra enfin bientôt le jour un observatoire du sans-abrisme, afin de créer de vraies solutions concrètes, et surtout un plan contre l'inoccupation des logements vacants. En attendant, les maraudes Gratuits distribuent bâches, couvertures et vêtements chauds aux personnes dans le besoin. Si vous souhaitez faire un don de tels biens, tout est indiqué sur leur site 

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