Ce vendredi 22 mars, Hugo*, ancien militaire, comparaîtra devant le tribunal militaire de Bordeaux pour désertion. L'occasion pour lui de porter un message, celui de la désillusion d'un milieu en deçà de la hauteur de son engagement.
S'il y a bien une chose qu'Hugo* (son prénom a été modifié) n'avait pas anticipée le jour de son engagement, c'est l'amertume qu'il ressentirait au moment où celui-ci prendrait fin. Pourtant, après une première expérience de trois années en tant que réserviste, ce jeune militaire désireux de s'engager pour de bon n'avait aucun doute : il se sentait préparé à la dureté du milieu dans lequel il mettait les pieds.
En 2021, il rejoint l'armée comme parachutiste militaire dans le régiment de Tarbes, en Hautes-Pyrénées, "pour servir la population" et se "sentir utile". Mais au fil des missions, la flamme s'estompe. La réalité outrepasse la rigueur et la discipline que lui-même s'était imposée. "Il s'est passé beaucoup de choses qui seraient inenvisageables dans n'importe quel corps de métier"', raconte-t-il aujourd'hui indigné, quelques jours avant son procès pour désertion.
Des punitions à répétition
Hugo s'engage le 5 janvier 2021 après trois ans de réserve dans le 48ᵉ régiment de transmission, à Agen, en Lot-et-Garonne. Il est par la suite intégré à une brigade d'urgence du régiment de Tarbes, "censée être déployée fréquemment en extérieur". Première désillusion. "La plupart du temps, il s'agissait de missions de surveillance", déchante l'ancien militaire. Comme lors de ce déplacement en extérieur à Djibouti, en Afrique. "On restait toute la journée devant d'importantes villas de généraux, pour surveiller tout ce qui se passait", même si "on avait des préparations et des entraînements, donc ça allait" tempère-t-il. Plus globalement, Hugo regrette la fausse publicité qui entoure les campagnes de recrutement de l'armée. "On nous dit beaucoup de nous engager pour partir faire de l'opérationnel, mais certains, en cinq ans, ne sont jamais partis en mission", pointe-t-il.
Mais si aujourd'hui l'ancien parachutiste souhaite prendre la parole, c'est surtout pour des comportements qu'il juge inadaptés au milieu professionnel. Il se souvient précisément de chacun des dérapages auxquels il a assisté, qu'il énonce aujourd'hui de façon presque mécanique. D'abord, les "punitions" dont il fait l'objet à plusieurs reprises : coups de poing dans l'abdomen "qui varient selon l'humeur des gradés", coups de matraque télescopique dans les jambes et des "burpees", soit des exercices de musculation et de cardio-training, à répétition, jusqu'à provoquer des vomissements.
"De l'humiliation"
Dans le régiment, une dizaine de personnes appartiennent au même peloton et partagent la même "salle de vie". "Nous, les premières classes, qui sommes tout en bas de l'échelle, il fallait qu'on fasse des tractions chaque fois qu'on entrait et sortait de cette salle et les chefs nous donnaient des coups de poing dans le ventre quand on relâchait les bras", se souvient-il. Des évènements dont il garde les traces, des hématomes violacés, pendant plusieurs jours.
Les militaires se trouvent régulièrement infantilisés. "Pour nous punir d'une bêtise, on avait 500 lignes à faire pour le lendemain. On devait commencer après notre journée de travail et on finissait vers 4-5 heures du matin puis on retournait bosser. Si ce n'était pas fait, c'était doublé", détaille Hugo."Je me mettais à la place de ceux qui étaient plus âgés, qui étaient déjà pères de famille..."
Au début, ça ne me faisait ni chaud ni froid, ça faisait partie du jeu. Mais au fil du temps, je me suis rendu compte que c'était de l'humiliation, au-delà du faisable.
HugoAncien militaire poursuivi pour désertion
Blagues antisémites, alcool et rails de cocaïne
"Chaque semaine, je découvrais le visage de ceux avec qui je travaillais", déplore l'ancien parachutiste. Entre militaires, les blagues racistes, misogynes ou antisémites sont légion. "J'ai demandé à un de mes cadres de me couper les cheveux. Lui, pour rigoler, il m'a dessiné une croix gammée avec la tondeuse, explique Hugo, incrédule. Moi, j'ai ri bêtement au début, c'était un rire nerveux, mais ce n'est pas normal."
On vit une époque où l'armée est beaucoup pointée du doigt sur des faits d'antisémitisme, on nous a toujours dit de faire attention vis à vis de ça.
HugoAncien militaire poursuivi pour désertion
L'alcool et la drogue font aussi partie du quotidien des militaires. Hugo raconte avoir assisté plusieurs fois à la prise de substances de ses collègues. "Des rails de cocaïne" dans les chambres ou "des joints de cannabis" lors de missions en extérieur. "Le cannabis se répand de plus en plus, mais dans notre métier et dans le cadre de la mission, on prend le volant tous les jours pour faire des patrouilles. En fumant chaque soir, ils ne sont pas dans leur état normal."
"L'alcool aussi était très répandu dans mon escadron", souligne-t-il. Pendant une formation, il assure que l'un de ses cadres "s'arrête dans un supermarché et s'achète une bouteille de rhum" qu'il commence à boire dans la voiture. "Il y avait une bonne heure de route et elle n'était pas réservée aux militaires."
"Partouze" lors de missions sentinelles
À la fin de l'année 2022, Hugo participe à une nouvelle opération sentinelle dans la capitale. Sa dernière avant de prendre la décision de déserter. "J'ai vu des choses et entendu des choses qui sont allées trop loin", insiste-t-il. Pendant ma mission, mes collègues ont décidé,"en accord" avec une fille, d'aller la voir chez elle pour pratiquer des relations sexuelles à plusieurs, presque le peloton en entier. Je sais que la relation s'est passée : ils m'ont montré une vidéo le lendemain. Je suppose que c'était consenti."
Je pense qu'il y a une volonté d'oublier certaines choses. Ce n'est pas anodin qu'il y ait autant d'alcool et de drogues dans l'armée.
Hugoancien militaire poursuivi pour désertion
Hugo enchaîne les déconvenues. "Ça faisait seulement deux ans que j'étais engagé et j'ai vu tout ça, je me suis demandé pourquoi ils faisaient tout ça." L'ancien militaire, rigoureux et discipliné, se dit consterné par l'image de l'armée qui se dévoile petit à petit à lui, "loin de l'exemplarité" pour laquelle il s'était engagé. Il prend la décision de partir au début de l'année 2023. "Je ne voulais pas continuer à grandir dans ce monde-là, car je ne fais pas que travailler, on vit vraiment pour l'armée."
Engagé jusqu'à 2026
Comme lui, des centaines de recrues se retrouvent chaque année devant la justice pour désertion. Selon les derniers chiffres obtenus par Le Monde en 2018, les désertions pèsent pour 74 % des infractions commises par les militaires, "principalement des jeunes engagés déçus par la réalité du métier".
Une fois sa décision réfléchie, Hugo décide d'en parler autour de lui, à sa famille d'abord, puis à ses cadres. Tous approuvent son choix. "Mes supérieurs m'ont dit qu'ils pensaient la même chose que moi, mais que malheureusement, ils avaient un engagement à tenir." Lui aussi est engagé jusqu'à 2026. Deux possibilités s'offrent alors au jeune militaire. Se mettre en arrêt de travail "pour dépression ou raisons psychologiques", comme l'ont fait de nombreux collègues à lui, et ne jamais revenir. "Mais lorsqu'on est en arrêt, ça peut durer longtemps avant d'être jugé inapte au service militaire et moi j'avais des projets de vie, je voulais reprendre mes études, explique le jeune militaire. La seule solution, c'était de déserter."
"Par décence", Hugo prévient alors son lieutenant de son arrêt de travail d'une semaine et l'informe de tout son ressenti. Il ne reviendra pas dans les rangs de l'armée. "À mon grand étonnement, il a très bien réagi, m'a dit qu'il comprenait ma décision, mais que j'étais un bon élément qu'il allait regretter."
Un procès pour raconter
Par la suite, il est convoqué par le procureur. Une décision incompréhensible selon lui. "J'ai toujours été exemplaire", clame-t-il. Sa désertion sera actée par un courrier du ministère des Armées le 2 mai 2023. Vendredi 22 mars, Hugo se présentera à la barre pour son premier procès, avec appréhension, mais aussi avec la détermination de vouloir faire bouger les lignes. "Même si j'ai des sanctions, au moins, j'aurais passé un message : j'aurais montré à tous ceux qui sont dans l'armée qu'on peut parler de ce qu'il s'y passe", argue l'ancien militaire.
L'évolution là-bas, ce n'est pas quelque chose de bénéfique. Pour passer en grade, j'allais devoir commander comme je l'avais été moi-même.
HugoAncien militaire poursuivi pour désertion
Pour son avocat bordelais, Maître Thibault Laforcade, ce procès aura irrévocablement quelque chose d'historique. "Des déserteurs, il y en a un paquet, mais aucun ne parle, précise-t-il. Nous, on va arrêter le temps pour qu'il puisse dire ce qu'il a à dire."
Pour désertion en temps de paix, les militaires encourent jusqu'à trois ans de prison ferme. "Dans la pratique, c'est surtout du sursis et une amende", indique l'avocat. Une peine qui peut monter à cinq ans d'emprisonnement en temps de paix et hors du territoire national, et jusqu'à dix ans en temps de guerre.
"Retrouver sa liberté"
"L'idée n'est pas de contester la rigueur absolument nécessaire dans l'armée et la discipline qu'il y est demandé, pointe Maître Thibault Laforcade. Mais plutôt de pointer les humiliations, les coups, les insultes, la partouze en mission sentinelle. L'armée 2024 ne doit pas ressembler à ça et je trouve encore plus fort et légitime que ce soit un première classe qui en parle, alors qu'il a beaucoup de choses à perdre." Ainsi, par cette prise de parole, Hugo comme son avocat, ne visent pas la réduction de peine, mais espèrent plutôt "l'ouverture d'une enquête".
Cette audience, c'est une tribune pour contraindre un parquet à aller voir ce qu'il se passe.
Thibault LaforcadeAvocat
Hugo, quant à lui, a depuis repris ses études en mécanique avec la certitude d'obtenir un CDI à l'issue de sa formation. "J'ai retrouvé une grande liberté aujourd'hui. Je regrette d'avoir cru pouvoir évoluer dans l'armée. J'ai littéralement gâché deux ans de ma vie, confie-t-il.
* Son prénom a été modifié