Quatre cents citoyens de la Gironde démarrent le 1ᵉʳ avril l'expérimentation d'une caisse commune de l'alimentation. Tous vont cotiser selon leurs moyens et se répartir une allocation financière dédiée à leur alimentation. Quelque 200 000 personnes sont en situation de précarité alimentaire dans le département.
Dans quelques jours, Christelle, son mari et sa fille vont bénéficier de nouveaux revenus. Pas des euros, des MonA, de la Monnaie Alimentaire. 300 par mois exactement, sachant que 1 MonA = 1€. Aujourd'hui, cette habitante du quartier La Benauge à Bordeaux vit avec sa famille avec 1.500 euros par mois. Alors quand elle a eu la possibilité de participer à l'expérimentation d'une caisse commune de l'alimentation dans le département de la Gironde, Christelle "n'a pas hésité".
"Aujourd'hui, on se limite. On achète trop de produits transformés, parce que c'est moins cher. Alors, s'inscrire dans un tel projet, pour mieux manger, avoir plus d'argent à consacrer à mon alimentation, fabriquer mes propres plats et aider les agriculteurs, c'était obligatoire", résume la mère de famille.
Nous, le pain ce n'est pas tous les jours. Quand ma fille en mange, elle est ravie.
ChristelleParticipante à la Caisse commune de l'alimentation
Comme elle, ils sont 400 Girondines et Girondins, issus de 193 foyers. Tous vivent sur l'un des quatre territoires choisis pour l'expérimentation : deux urbains : Bègles et Bordeaux, et deux ruraux : le Pays Foyen et le Sud Gironde. "Le côté urbain et rural, ça nous distingue d'autres expérimentations lancées en France. Nous aurons un regard différent selon la nature du territoire et pourrons voir comment on s'y organise", rapporte Jean-Luc Gleyze, président du département de la Gironde. À chaque territoire correspond une caisse communale, composée de 100 personnes.
Un panel représentatif de la population
Parmi les participants, on retrouve des profils variés. Des personnes en situation précaire, comme d'autres ayant de meilleurs revenus. Il y a à la fois des personnes seules et des familles avec un, deux ou trois enfants. Certains citoyens et citoyennes sont issus des parcours d'engagement vers une démocratie alimentaire, ils ont participé à des réunions pendant un an pour préparer cette expérimentation. C'est le cas d'Estelle à Bordeaux Nord ou encore d'Evelyne, habitante de Captieux en Sud Gironde.
Ancienne bénéficiaire des Resto du Cœur, interdit bancaire, cette dernière s'est de suite inscrite dans le projet, et suivi les réunions préparatoires, au rythme de deux par mois. "Ça permet de se réapproprier son alimentation et d'en parler, en dehors des aides alimentaires classiques". Bénévole depuis plus d'un an, elle participe aux conventionnements d'établissements ou de producteurs. "En campagne, nous avons des réseaux incroyables. C'est un engagement citoyen, l'inclusivité est primordiale", reconnaît Evelyne.
Une grande partie des participants a été déterminée par tirage au sort, selon des critères de représentativité incluant les revenus et la composition du foyer. "C'est pour être conforme avec l'ambition universelle du projet", rapporte une chercheuse présente ce mardi lors de la présentation de cette expérimentation à la Fabrique Pola de Bordeaux. Avec elle, ils seront cinq chercheurs à suivre le projet.
Cette caisse de l'alimentation sera expérimentée pendant un an. Gérée par les citoyens, elle doit permettre de lutter contre l'insécurité alimentaire. Aujourd'hui, 200.000 personnes sont en situation de précarité alimentaire en Gironde, soit 12% de la population. Cette initiative vise également à réduire la paupérisation agricole. Les agriculteurs girondins vivent en moyenne avec 600 euros par mois.
Une allocation mensuelle en Monnaie Alimentaire
Chaque participant percevra une allocation mensuelle de 150 Monnaies Alimentaires (MonA) + 75 MonA par personne supplémentaire. Le foyer, composé d'Evelyne et de son compagnon, touchera alors 225 MonA. Leur cotisation est, elle, auto-déterminée, en se basant sur le "reste à vivre" et le revenu. Un minimum de 10 euros pour une personne seule, et 5 euros pour chaque membre supplémentaire de la famille a été décidé démocratiquement. "Sur les trois premiers mois, nous avons décidé de cotiser 80 euros mensuels", souligne Evelyne.
Après, si nous sommes dans la difficulté peut-être qu'on devra ajuster.
EvelyneParticipante à la Caisse commune de l'alimentation
Ces MonA seront disponibles sur un compte numérique pour les cotisants, qui pourront les dépenser et s'approvisionner dans les lieux conventionnés. Chaque caisse locale de l'alimentation conventionne des points de vente (épicerie, magasins) ou directement des producteurs. "Ils débattent et décident ensemble de leur alimentation. Ils sont dans les conditions d'une réelle démocratie alimentaire, c'est une réponse locale", admet David Fimat, coordinateur d'accès à l'alimentation au sein du collectif Acclimat'Action, l'un des porteurs du projet de Sécurité Sociale de l'Alimentation en Gironde.
"Ouvrir un nouveau marché"
Le conventionnement se fait selon cinq critères démocratiquement définis : l'accessibilité et l'inclusivité, le bien-être au travail, la localité des produits, la durabilité des pratiques agricoles ainsi que la transparence et la juste rémunération des productrices et des producteurs. Les établissements seront conventionnés entre 50 et 100 %. "Prenons un paquet de pâtes à 2 euros. Si l'épicerie est conventionnée à 50 % alors le participant paiera 1 MonA et 1 euro. Par contre si l'établissement est conventionné à 100%, alors il paiera 2 MonA directement", souligne Lucile, membre du collectif Acclimat'Action.
Parmi les producteurs conventionnés à 100%, figure Jacques Beaucé, maraîcher à Lados en Sud Gironde. Membre d'un GAEC (Groupement Agricole d'Exploitation en Commun) de quatre maraîchers qui cultivent sur de petites surfaces en agroécologie et en permaculture, il trouve cette expérimentation "clairement en phase avec ses convictions".
"C'est une réflexion qui date d'avant l'installation. Nous sommes des agriculteurs non-issus du milieu agricole, ancien citoyen qui se pose des questions sur l'alimentation, donc ça fait écho", estime-t-il. Maraîcher depuis 10 ans, il vit avec un revenu juste au-dessus du SMIC, autour de 1.400 euros net par mois. Selon lui, cette nouvelle opportunité peut lui permettre "d'ouvrir un nouveau marché", "à condition que les prix puissent suivre".
Pour les gens qui s'installent, intégrer ce réseau, c'est l'occasion aussi d'écouler de la marchandise et de sécuriser des maraîchers.
Jacques BeaucéMaraîcher à Lados
534.000 euros pour un an
Il aura fallu près de deux ans et demi de réunions, de réflexions pour aboutir au lancement du projet. Cette caisse commune de l'alimentation en Gironde est née de la volonté partagée du collectif Acclimat'Action, de chercheurs, de citoyennes et citoyens, du Conseil Départemental et de la Ville de Bordeaux. "Nous voulons innover, expérimenter une nouvelle forme de protection sociale, qui donnerait un droit à l'alimentation pour tous", se félicite le maire de Bordeaux Pierre Hurmic.
Inflation de 7% des produits alimentaires, pouvoir d'achat, faible revenu des agriculteurs, autant de raisons de se lancer.
David FinatAcclimat'Action
Le budget alloué à l'expérimentation de la caisse commune de l'alimentation est de 534.000 euros d'avril 2024 à avril 2025, financé à 40 % par les cotisations des participants. Le reste provient de subventions publiques et de donations privées.
À cela s'ajoutent 403 054 euros de dépenses prévisionnelles de fonctionnement de juillet 2023 à décembre 2025. Ce montant est issu d'auto-financement du collectif Acclimat'Action, l'un des porteurs du projet, de subventions de l'ADEME, agence de la transition écologique Nouvelle-Aquitaine, et de la fondation Carasso.
L'exemple à Montpellier, une expérimentation lancée début 2023
Cette expérimentation n'est pas une première en France. À Montpellier et sa métropole, une caisse alimentaire commune a été lancée en février 2023. Elle est notamment portée par l'association Vrac & Cocinas et la fédération régionale des CIVAM d'Occitanie, fédération d'éducation populaire. Au total, 400 citoyennes et citoyens cotisent entre 1 et 150 euros.
"Nous ressentons un fort engouement de la population. C'est un levier de mobilisation citoyenne. Les gens s'investissent, participent aux réunions. Nous avons aujourd'hui 50 points de vente, dont une trentaine de producteurs directs, se félicite Marco Locuratolo, animateur accueil éducatif et social à la CIVAM Occitanie, porteur du projet.
A partir de 2025, la caisse communale de l'alimentation devrait s'élargir à 800 personnes dans la Métropole Montpelliéraine.
Les porteurs de l'expérimentation suivent de près ce qui se passe en Gironde. "Nous sommes connectés avec eux, ils utilisent certains de nos outils, on voit émerger d'autres idées, d'autres enjeux. Et puis nous allons avoir un lien avec eux.
L'objectif est de faire des alliances entre territoire, un plaidoyer commun pour une transition démocratique.
Marco LocuratoloCIVAM Occitanie
"Nous souhaitons faire une demande de financement à l'Etat via la Banque des Territoires. La caisse communale est un des objets qui nous permettrait d'être financés", avance Marco Locuratolo.
La première phase d'expérimentation dans la métropole de Montpellier doit se terminer en juin prochain. Celle de Bordeaux démarre dans quelques jours, le 1er avril.