Témoignage. SPATIAL. "Le jour du décollage, on est conscient du danger" : un astronaute raconte la vie dans l'espace

Publié le Écrit par Alicia Girardeau

Sophie Adenot va devenir la deuxième femme française à voyager dans l'espace, trente ans après Claudie Haigneré. Elle va s'envoler pour la Station spatiale internationale (ISS) en 2026. Entraînement, vie en apesanteur et transit perturbé... l'astronaute et président d'honneur de Mérignac-Novespace, Jean-François Clervoy raconte ce qui l'attend.

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Un billet pour l'espace.  Sophie Adenot, ancienne pilote d'essai en Gironde, a été sélectionnée par l'Agence spatiale européenne pour rejoindre l'équipage qui s'envolera vers l'ISS en 2026. Trente ans après Claudie Haigneré, elle sera donc la deuxième femme française à voyager dans l'espace, aux côtés de Raphaël Liégeois. Une "évidence" pour Jean-François Clervoy. L'astronaute et président de Mérignac-Novespace a, lui aussi, côtoyé les étoiles à trois reprises et a participé aux processus de sélection de l'ESA en 2009. Il revient, parfois avec nostalgie, sur les épreuves de sélection et sur son parcours.

L'astronaute Sophie Adenot sera donc la deuxième femme française à rejoindre l'ISS en 2026...

Jean-François Clervoy : "Au fond de moi, je m'y attendais, je la connais depuis qu'elle était candidate. Je suis très heureux pour elle, elle a une personnalité et un parcours exceptionnels. Elle cumule des expériences techniques et opérationnelles, comme Thomas Pesquet. On a besoin de ces profils. 

Justement, quels sont les profils recherchés pour ce type de mission ? 

On ne cherche pas des surhumains ou des superhéros, mais des personnes multiqualifiées, qui sont faites pour ça. Sophie, par exemple, disait depuis toute petite qu'elle voulait devenir astronaute. Lors des tests de sélection, on cherche à voir la passion. On cherche aussi des personnes qui savent travailler en équipe multiculturelle, pas claustrophobes, stables émotionnellement et qui aiment se challenger. Ça peut être des personnes qui ont des métiers exigeants sur la maîtrise, ou qui ont l'habitude d'être dans des environnements extrêmes, comme des plongeurs, des pilotes ou des sous-mariniers. Puis surtout, on cherche des profils qui sont directement liés à la nature du job, comme dans tous les métiers. 

En quoi consistent les épreuves de sélection pour pouvoir rejoindre l'ISS ?

Les sélections se font en six étapes. D'abord un dossier de motivation où 10 % des candidats sont gardés. Puis une étape psychologique avec des tests de personnalités sous forme de QCM avec des questions très simples du type "quand je me lève, est-ce-que je suis de bonne humeur ?". Il n'y a pas de meilleure personnalité que d'autres, mais on veut des personnes qui répondent vrai. Puis des tests psychotechniques pour évaluer la capacité du cerveau à réfléchir, et psychomoteurs sous forme de jeux vidéos.

Les candidats font ensuite une épreuve collective par petits groupes où ils doivent faire face à une situation de crise et y répondre ensemble. Cette fois-ci, on évalue leur capacité à s'écouter, se faire entendre et à raisonner. Les candidats sélectionnés passent ensuite une visite médicale assez complète, la seule épreuve vraiment physique de la sélection. Une quarantaine d'entre eux sont reçus par le directeur général en entretien et une petite dizaine sont déclarés aptes au job. C'est au directeur général que revient ensuite la tâche de répartir les candidats selon s'ils deviennent réservistes ou actifs.

Les candidats s'entraînent pendant un an pour apprendre ce qu'est le métier d'astronaute, comment fonctionne un vaisseau, à quoi s'attendre sur les vols de courte ou longue durée. À l'issue de cet entrainement, vous pouvez être déclaré affectable en vol, comme Sophie l'a été. Les deux ans avant de partir sur l'ISS, elle va apprendre comment fonctionne la station, comment sortir dans l'espace, faire de la maintenance, gérer les vaisseaux de ravitaillement. 70 % du temps, il s'agit de s'entraîner à prendre conscience du matériel scientifique qui leur sera confié.

Quel est concrètement le job d'un astronaute ?

C'est un opérateur de machine. Il est constamment du matin au soir en train d'agir sur des interrupteurs, faire fonctionner des vaisseaux, des robots, des scaphandres. Dans le cadre de l'ISS, il met en œuvre des matériels scientifiques pour des équipes de recherche.

Cela semble particulièrement difficile…

D'un point de vue intellectuel, technique, ils vont se régaler. Tous les jours, ils vont aller s'entraîner avec la banane aux oreilles. Ce sont des passionnés, ils ne diront jamais que c'est difficile même quand vous êtes dans le simulateur et qu'on vous simule une panne complexe avec des scénarios compliqués.

Pour quelqu'un comme Sophie qui est pilote d'essai, c'est son dada quotidien.

Jean-François Clervoy

Astronaute

Ce qui est difficile physiquement, c'est l'entraînement aux sorties dans l'espace. Quand j'étais responsable de sorties dans mon deuxième vol, j'ai fait des entraînements et le scaphandre, c'était fatiguant à manipuler. C'est éprouvant, mais vous allez à l'entraînement pour des taches concrètes que vous aurez à faire dans l'espace, c'est jouissif. 

La formation a-t-elle évolué depuis vos trois vols en 1985 et 1992 ?

D'un point de vue technique et opérationnel, c'est toujours le même esprit. Mais aujourd'hui le programme est très international et vous êtes obligés de beaucoup travailler les week-ends au Japon, au Canada et en Europe. Les astronautes doivent faire plus de sacrifices de leur vie privée familiale qu'à l'époque que j'ai connue, car c'est la nature du programme ISS.

    Comment se prépare-t-on à de tels sacrifices ?

    Ils le savent à l'avance, quand ils sont candidats, ils savent déjà à quoi va rassembler leur vie professionnelle. Mais contrairement à mon époque, maintenant, ils ont accès à internet haut débit. Ils peuvent appeler par visio leurs proches quand ils veulent. Ce qui rend l'éloignement moins contraignant, l'astronaute a un lien qui peut être quotidien avec sa famille, car le rythme de travail est proche de celui sur Terre. 

    Est-ce possible de ne pas être assez préparé ?

    Non. Il n'y a aucune incertitude. On a souvent l'impression qu'on nous surentraîne. Le jour J, celui du décollage, on est serein, très excité, conscient du danger, et il y a une certaine peur de mourir et une conscience du risque. Mais on trouve ça normal de faire ça ce jour-là, car on sait que ça fait des mois qu'on le prépare.

    Souvenez-vous de votre premier décollage ?

    Tout s'est passé exactement comme je me l'étais imaginé dans ma tête. La seule chose qui surprend, c'est la vue de la terre, c'est waw, c'est un ouf énorme et des larmes aux yeux. Aussi, je ne m'attendais pas à ce que les moteurs de changement d'attitude de la navette soient aussi bruyants.

    Et en ce qui concerne la vie en apesanteur, aucune surprise ?

    Le pipi/caca (rires). C'est un sujet sur lequel les Américains ne nous disaient rien. Le transit est perturbé et on a du mal à faire nos besoins. Le corps met un certain temps à réapprendre et c'est frustrant. Sinon, on s'habitue très vite à l'apesanteur et on prend plus de temps à se réhabituer à l'apesanteur terrestre que dans l'espace.

    Les femmes et les hommes sont-ils formés de la même façon ?

    Les hommes et les femmes sont traités à égalité. La seule différence est l'entonnoir pour uriner qui n'est pas le même. Les femmes ont également la possibilité d'arrêter leurs menstruations.

    Thomas Pesquet communique beaucoup sur les réseaux sociaux, il est devenu un exemple pour les plus jeunes...

    Il n'y a pas eu de Français pendant une dizaine d'années sur l'ISS, donc beaucoup de jeunes n'ont connu que Thomas Pesquet et c'était important de faire connaître la profession. Sophie aussi va avoir un rôle très important pour faire mieux connaître l'ESA et montrer que c'est un métier qui est autant pour les femmes que pour les hommes.

    Quel regard portez-vous sur vos missions passées ?

    J'ai effectué trois missions en navette spatiale et j'ai été senior advisor pour les astronautes sur les vaisseaux ravitailleurs européens de l'ISS. J'ai volé sur la navette et la station MIR, et j'étais le plus jeune astronaute sélectionné à l'époque.

    J'ai réalisé trois vols spatiaux en cinq ans. La navette spatiale, avec ses capacités incroyables et ses technologies avancées, reste pour moi un vaisseau emblématique de l'histoire de l'exploration spatiale, même si nous sommes revenus aux capsules pour des raisons de sécurité. Je ne regrette rien de cette période.

    J'aurais aimé faire un vol de longue durée comme Thomas et Sophie, qui ont et vont passer environ 200 jours dans l'espace. Vivre et travailler dans l'espace pendant six mois est une expérience unique.

    Jean-François Clarvoy

    astronaute

    Vingt-six ans après le premier équipage en orbite, la diversité des nationalités impliquées dans ce programme est impressionnante. J'attends avec impatience les vols vers la lune et l'arrivée des stations spatiales privées. J'espère toujours être utile et inspirer les générations futures. Nous vivons une nouvelle ère fantastique avec l'ISS et les vols de longue durée, et nous allons bientôt retourner sur la lune et peut-être même envoyer des équipages sur Mars, ce qui fascinera les jeunes générations.

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