Nous avons lancé un appel sur les réseaux sociaux pour recueillir la parole de ceux dont l'activité professionnelle n'a pas repris, ou presque pas, depuis six longs mois à cause de la crise de la Covid-19. De nombreuses personnes nous ont répondu en Gironde, voici cinq de leurs témoignages.
La plupart des personnes qui nous ont contacté travaillent dans le secteur de l'événementiel, notamment autour du mariage. Traiteurs, fleuristes, animateurs, photographes... ils et elles font les frais de l'annulation de la majorité des cérémonies ces derniers mois.
D'autres indépendants, qui travaillent dans des secteurs de niche, ont aussi répondu à notre appel. Si certains, comme Yann le photographe ou Bassner le DJ, bénéficient des aides exceptionnelles de l'Etat (le fonds de solidarité de 1500 euros pour les auto-entrepreneurs), tous n'ont pas le statut adéquat pour y avoir accès.
C'est le cas de Stéphanie, maître d'hôtel en extra, qui passe entre les mailles du filet social, et n'a pu compter que sur quelques mois d'allocation chômage.
→ Stéphanie, maître d'hôtel en extra :"le 2 janvier, ce sera RSA"
Depuis début mars, Stéphanie Xavier Carlos n'a travaillé "que quatre jours, en tout". Extra dans la restauration, elle enchaîne habituellement les CDD d'usage auprès d'un important traiteur de Bordeaux. Pour l'instant, elle bénéficie du chômage, "mais le 2 janvier, ce sera RSA", confie cette mère de deux enfants, séparée de leur père.Depuis le confinement, Stéphanie n'a bénéficié d'aucune aide financière particulière : "je n'ai que le chômage, pour lequel j'ai cotisé, donc je gagne moins bien ma vie. En plus, comme je ne travaille pas, j'utilise tous mes droits et ne peux pas les recharger dans le même temps", explique-t-elle, qualifiant la situation de "triple sanction".Il y a le stress lié à l'argent, je me demande comment je vais faire en janvier. Et ça m'affecte aussi moralement, parce que j'ai l'impression d'être en bas de l'échelle sociale du monde du travail.
Alors que les extras étaient affiliés aux intermittents jusqu'en 2014, ils n'y sont plus rattachés, ce qui ne leur permet pas de prétendre à l'année "blanche" décrétée pour ce secteur.
Malgré la situation, Stéphanie veut rester positive :"c'est mon devoir de maman, je ne peux pas me laisser abattre devant mes deux enfants".
Avant le confinement, elle avait prévu de se reconvertir comme formatrice en restauration, et avait presque terminé son dossier de VAE, validation des acquis de l'expérience : "Je devais passer un oral le 22 mars, il a été annulé".
Mais ce projet est lui aussi remis en question avec la crise : "étant donné l'état du secteur de la restauration, je ne pense pas que les écoles embaucheront".
→ Yann, photographe de mariage : "Noël ne s'annonce pas vraiment comme une fête"
Yann Texier, photographe de mariages en Gironde, n'a couvert que 4 cérémonies "et demi", depuis la fin du confinement, "le demi, c'est un mariage où je n'ai suivi les mariés qu'à l'église et pas à la mairie comme c'était prévu au départ", précise-t-il.En activité depuis onze ans, il travaille normalement beaucoup d'avril à octobre, et devait couvrir 25 mariages en 2020.
Les dernières mesures préfectorales pour éviter la circulation du virus en Gironde ont entraîné l'annulation de la plupart des mariages d'automne qui étaient encore maintenus.Le plus difficile, ça a été de reprendre en juillet pour mieux s'arrêter en septembre.
Depuis avril, il bénéficie d'une aide de 1500 euros de la part de l'Etat, qui doit pour l'instant être versée jusqu'à fin septembre. Et pour la suite ? "On ne sait pas encore si cette aide sera prolongée", répond-il, dans l'incertitude.
Les prochains mois seront difficiles. "À Noël, je ne pense pas que ce sera vraiment la fête..." Mais Yann a au moins la perspective d'un calendrier 2021 déjà bien rempli, la plupart des futurs mariés ayant choisi de décaler la cérémonie plutôt que de l'annuler.
→ Solène, blogueuse voyages : "j'espère que le tourisme va se relever"
Solène est ce qu'on appelle une "slasheuse", elle multiplie les activités et les casquettes : journaliste, blogueuse et communicante, dans le secteur du tourisme.Elle est donc auto-entrepreneure, artiste-auteur et pigiste, trois statuts bien différents... Mais qui ne lui ont pas permis d'être particulièrement soutenue pendant ces longs mois où son activité a été très réduite, hormis une petite aide du fonds de soutien aux indépendants.
Difficile d'estimer ses pertes de revenus, tant son activité est irrégulière et tributaire des commandes de ses clients, mais Solène a "beaucoup moins travaillé". Aujourd'hui, elle tente de rebondir en se diversifiant encore davantage. "Je vais donner quelques cours dans des écoles", explique-t-elle.
"Depuis le confinement, le secteur du tourisme s'est effondré. Et la communication n'est pas la priorité des entreprises actuellement", témoigne Solène, qui espère une reprise complète de son activité.
"Ça marchait très bien avant le confinement, alors je ne me dirige pas vers autre chose pour l'instant. Mais je garde l'idée d'un retour au salariat dans un coin de ma tête quand même."
→ Bassner, artiste D.J. : "je suis frustré de ne plus pouvoir faire danser les gens"
Pour Julien Nasarre, alias Bassner, 2020 devait être un grand cru ! Après sa participation comme DJ au Tomorrowland Winter en 2019, il devait se produire lors de six festivals en France. Mais la Covid-19 est passée par là, et tout a été annulé.Au lieu d'enchaîner les scènes comme prévu, le DJ n'a pu se produire qu'à quelques occasions depuis le 17 mars, comme lors d'un concert caritatif sur le roof top du Grand Hôtel de Bordeaux en mai dernier. En tant qu'auto-entrepreneur, Bassner peut toucher les 1.500 euros d'aides de l'Etat. Mais cette somme est bien inférieure à ce qu'il gagne habituellement. "Par rapport à l'an dernier, mes revenus ont diminué des 3/4", déplore-t-il. "Pour l'instant, l'aide de l'Etat doit se prolonger jusqu'au 31 décembre, mais que se passera-t-il après ?".
Outre ces considérations financières, le D.J. s'avoue aussi "de plus en plus frustré de ne pas pouvoir faire danser les gens autrement qu'à travers des écrans, alors que c'est quand même l'essence de notre travail".
"Pour les discothèques et les bars, je ne crois pas qu'on aura un retour à la normal avant 2022", avance-t-il. Pour aller à la rencontre de son public dans le respect des gestes barrières, il envisage de faire une mini tournée grâce à un van électrique, au printemps prochain.
→ Myriam Madec, guide-conférencière : "nous sommes les oubliés du Covid !"
Depuis 20 ans, Myriam Madec fait découvrir Arcachon aux touristes. Guide-conférencière diplômée, elle multiplie habituellement les CDD en passant par le système du portage salarial."Notre saison se déroule de mars à octobre, et j'ai en général trois visites par semaine pendant cette période" explique-t-elle. Mais cette année, après le déconfinement, les touristes se sont fait très rares à Arcachon, notamment les groupes de personnes âgées : "Je n'ai fait que trois visites depuis mars !".
En dehors des périodes touristiques, Myriam perçoit des allocations chômage, une sorte d'intermittence déguisée, car les guides-conférenciers ne bénéficient plus de ce statut depuis 2014.
Par chance, la guide a pu travailler à l'accueil de l'office de Tourisme d'Arcachon depuis le 1er juillet. "Ils viennent de me prolonger jusqu'à la fin octobre". Mais à cause de la dernière réforme du chômage qui impose désormais de travailler six mois au lieu de quatre auparavant pour ouvrir des droits, elle ne percevra rien quand son emploi temporaire se terminera. "Je n'aurai pas travaillé assez longtemps. Et comme mon mari travaille, même s'il ne touche qu'un petit salaire, je n'aurai pas le droit non plus au RSA", s'inquiète-t-elle.
Alors Myriam Madec cherche un autre emploi stable, "depuis mars", et multiplie les candidatures. "Mais j'ai 52 ans alors personne ne me répond. Je suis dynamique, mais les employeurs ne me reçoivent même pas en entretien, alors ils ne peuvent pas le constater" .
"Nous sommes vraiment les oubliés du Covid", souligne la quinquagénaire, qui espère que sa situation et celle de ses collègues sera prise en compte par l'Etat.