Désert médical, manque d'accès aux soins, à Blaye, on tente de tirer la sonnette d'alarme. Le centre de radiologie ferme définitivement et le syndicat CGT appelle à un rassemblement pour les salariés et pour les patients qui s'inquiètent de ce phénomène qui touche un territoire sinistré en matière de couverture médicale.
Au téléphone, ce 17 octobre, le message d'accueil sur fond musical ne précise pas la fermeture du centre de radiologie de Blaye, qui "accueille du lundi au vendredi". Et puis, plus rien, l'appel est rejeté. Sur la page internet, le cabinet Imagir indique laconiquement : "à compter du 19/10/2023, le cabinet de radiologie de Blaye sera fermé définitivement", invitant les patients à se diriger vers un autre cabinet du groupe, celui de Saint-André de Cubzac à 26 kilomètres de là, une demi-heure de route.
La fermeture de ce cabinet de radiologie privé ne semble d'ailleurs pas avoir encore fait le tour de la ville. Certains, comme cette préparatrice à la pharmacie de l'Alliance à Blaye, en sont encore estomaqués : "je l'ai appris juste hier sur les réseaux sociaux !", s'étonne-t-elle, soulignant la multiplication des désertions médicales récentes.
On avait des médecins, des ophtalmos, des ORL.... Tout ferme ! Et on ne sait pas pourquoi...
Fannie Gourdon, préparatrice à la pharmacie de BlayeRédaction web France 3 Aquitaine
Fannie Gourdon fait ce métier depuis 20 ans. Elle est blayaise et vit ici, dit-elle, depuis 45 ans. Elle égrène les derniers départs et aujourd'hui ce cabinet de radiologie, anciennement "la radiologie de M. Dop" qu'elle connaissait bien avant qu'il ne soit racheté. C'est sûr, certains médecins "sont partis à la retraite" et les jeunes ne veulent "peut-être pas s'installer à la campagne", souffle-t-elle comme une fatalité.
Les clients et patients de la pharmacie, "sont inquiets", assure-t-elle. Ils ne savent pas s'ils vont trouver un médecin, car du côté de la maison de santé, c'est un peu le même refrain : " ils étaient sept" et il y en aurait, là aussi, sur le départ. Et puis, beaucoup ne peuvent pas se déplacer. "Ils sont à scooter, parfois en voiturette..." conclut-elle, désabusée.
Du côté de la mairie, aucun commentaire ne sera fait. Denis Baldès, maire de Blaye depuis 2008, n'a pas souhaité réagir, ni répondre à nos questions concernant cette fermeture.
"Halte aux déserts médicaux"
Dans ce contexte, la fermeture du cabinet de radiologie fait bondir l'union locale de la CGT de la Haute Gironde qui dénonce le silence autour de cette fermeture qui prive tout un territoire à un accès aux soins. "Pourtant, le cabinet ne semblait pas manquer d'activité", assure le syndicat, "avec une activité permanente à Blaye qui suppléait celle surchargée de l’hôpital et de ses urgences." On parle de plus de 60 patients par jour, soit près de 300 par semaine.
Se reporter sur les cabinets de Saint-André-de-Cubzac et Lormont, ce n'est pas aussi simple. Car les rendez-vous s'accumulent à Saint André-de-Cubzac comme au centre hospitalier de Lormont, repoussant les délais à plusieurs semaines. En pleine campagne d'Octobre Rose, il est difficile de trouver un rendez-vous pour une mammographie avant le mois d'avril, au cabinet de Saint-André de Cubzac censé accueillir les patients du Blayais. Alors que, quand il était ouvert, le centre d'imagerie de Blaye absorbait déjà les urgences orientées par le centre hospitalier.
Adaptation d'urgence
Avec cette fermeture, les patients vont devoir aller chercher leurs soins en imagerie plus loin. Et devront sans doute faire appel aux véhicules sanitaires quand il s'agit de femmes enceintes, de personnes en situation de handicap ou âgées. Alors que les campagnes de prévention des cancers battent leur plein, ajoutées aux complications de grossesses et traitement des urgences, il est difficile de considérer que ces habitants du nord Gironde disposent d'un accès aux soins similaire au reste du département.
Du côté des salariés, à part les dix médecins (parmi les 54 du groupe Imagir) qui se relayaient sur le site, six personnes vont devoir s'adapter à cette fermeture surprise : trois secrétaires, une manipulatrice, une lingère et une femme de ménage. Certaines d'entre elles devraient s'organiser pour rejoindre le centre de Saint-André-de-Cubzac.
L'union syndicale CGT dénonce un scénario que les habitants du Blayais connaissent que trop bien. C'est pourquoi, elle appelle "la population, les élus, les praticiens médicaux", à un rassemblement, à 15 heures ce jeudi 19 octobre, devant le Centre, place des Cônes à Blaye.
Pénurie de manipulateurs
"C'est vraiment la pénurie de manipulateurs qui a eu raison de ce site-là", justifie le Dr Thibault Carteret, médecin radiologue et cogérant du groupe bordelais Imagir. Pour lui, la fermeture du cabinet est le concours de plusieurs causes, mais la principale étant, depuis plusieurs années, le problème d'effectif, après le départ de nombreux médecins radiologues à la retraite.
"Le cabinet de Blaye était rentable, mais on a juste une manipulatrice", alors qu'il y en avait encore trois, il n'y a pas si longtemps. Dès lors, et parce qu'elle a voulu se déplacer à Saint-André-de-Cubzac et qu'il était également plus facile d'y faire venir les radiologues, il a été envisagé de fermer le site de Blaye. "Ça fait deux ans qu'on cherche. On recrute des gens mais sur cette partie-là, à Blaye, on n'a jamais eu de candidat". Le manque de manipulateurs serait généralisé en Nouvelle-Aquitaine, bien que "l'école de manipulateur soit vraiment saturée". On ne formerait pas assez de personnel et le groupe prévoit même de monter une école privée pour en former.
L'Agence régionale de Santé, de son côté, rappelle que le cabinet, avait précédemment connu des difficultés et avait failli fermer en raison d'un manque de personnel médical. Le Dr Nguyen, responsable du Pôle médical à la délégation départementale de Gironde, confirme que, aujourd'hui, c'est "le manque de manipulateurs radio et non de médecins qui les pousse à fermer".
Il n'y a pas de numerus clausus, des écoles, des manipulations radio sont accessibles après Parcoursup. Mais cette profession-là vit une véritable crise.
Dr Mathieu Nguyen, responsable du Pôle médical à l'ARS de Gironderédaction web France 3 Aquitaine
Se réunir pour se maintenir
Imagir naît en 2020 de la fusion de deux anciens groupes bordelais, "Imagerie Thiers" et du "Groupe radiologues associés". Il fusionne ensuite en 2022 avec le groupe Radiologie 4 Pavillons et dernièrement avec le groupe Valgaronne. Ce nouveau groupe réunit ainsi 58 radiologues et 300 salariés sur 7 cliniques et 12 cabinets de radiologie à Bordeaux et aux alentours en Gironde.
D'après le Dr Carteret, les regroupements de cabinets de radiologues comme Imagir viennent résoudre ces problèmes. On explique à des jeunes confrères qui s'associent qu'ils peuvent faire deux jours par semaine à un endroit excentré, puis deux jours près de chez eux, avec un autre médecin pour faire tourner un cabinet. "Ce raisonnement, on l'a eu à d'autres endroits puisqu'on est présent à Pauillac, à Castelnau, à Lesparre, à Langon, à Marmande et ça marche très bien". À Blaye, ça marchait aussi, assure-t-il, "on avait mutualisé la présence des médecins".
"On n'aime pas fermer les cabinets" mais le médecin relativise, le site de Blaye n'était ouvert que quelques jours, quelques consultations, alors que le cabinet de Saint-André-de-Cubzac va, selon lui, "absorber l'activité et augmenter sa cadence". Il devrait voir ses consultations augmenter "de près de 60%", grâce à ce renforcement de personnel, et essentiellement en sénologie. À l'avenir, Imagir ne serait pas contre une réflexion public-privé en matière de radiologie sur ces territoires moins dotés. Ce qui a d'ailleurs été le cas, en matière d'IRM au centre hospitalier de Blaye.
L'ARS juste informée
À l'Agence régionale de santé, on dit n'être au courant de cette fermeture que depuis quelques jours. En tant que responsable du Pôle médical à la délégation départementale de Gironde à l'ARS, le Dr Mathieu Nguyen est pourtant l'interlocuteur privilégié. "Je n'étais pas informé".
À l'ARS, le Dr Nguyen dit être particulièrement attentif à ces territoires désertés et qu'il souhaite très prochainement "mettre autour de la table, la direction de l'hôpital de Libourne, l'hôpital de Blaye et le groupe Imagir."Voir s'il y a des possibilités de mise à disposition de personnel. "Il y a sept personnes de l'hôpital public qui pourraient, peut-être, passer quelques vacations sur de la radiologie conventionnelle".