Trois ans après, "le mouvement des Gilets jaunes existe encore"

Une mobilisation qui aurait pu être prévue, des manifestations marquées par une très forte répression policière... Trois ans après la toute première manifestation des Gilets jaunes, quels enseignements tirer de ce mouvement historique ? Eléments de réponse avec la chercheuse Magali Della Sudda,

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Il y a trois ans, la France découvrait le mouvement des Gilets jaunes. Après plusieurs semaines de contestation sur les réseaux sociaux, basée sur des revendications variées, comme le coût du carburant, la limitation des routes à 80 km/heures, la baisse du pouvoir d'achat, ou plus largement les inégalités sociales, des milliers de Français ont revêtu leur gilet pour la première fois.  Direction : les ronds-points, les péages, les centres-villes… Un mouvement durable, était né.

Magali Della Sudda est chargée de recherche CNRS à Sciences Po Bordeaux. Elle a longuement recueilli la parole des Gilets jaunes et étudié ce mouvement. Trous ans après les premières manifestations, elle décrypte pour France 3 Aquitaine Les enseignements de ce mouvement qualifié "d'historique".

Un mouvement prévisible

Alors que, à l'automne 2018, beaucoup se sont montrés surpris de voir émerger ainsi au grand jour la colère de dizaines de milliers de citoyens français, Magali Della Sudda l'affirme, ce mouvement était prévisible.

"Ce mouvement est parti de réseaux préexistants. L'illusion de la spontanéité était beaucoup entretenue par des commentateurs très surpris, qu'ils soient médiatiques, politiques ou scientifiques, assure la chercheuse. En réalité, de nombreux secteurs étaient mobilisés et la contestation sociale était très marquée à ce moment-là".

Les conditions structurelles favorables à l'émergence un mouvement social étaient réunies, même si on ne sait jamais quand ça va arriver, ni quelle forme ça va prendre.

Magali Della Sudda, chargée de recherche CNRS

France 3 Aquitaine

Une violence en question

À Bordeaux, place forte de rassemblement des Gilets jaunes, les manifestations se sont poursuivies pendant des mois, sur un schéma devenu rituel : un début de manifestation pacifique, des débordements et une très forte répression policière en fin d'après-midi. Plusieurs manifestants ont été très grièvement blessés par des tirs de LBD, ou encore l'explosion de grenades de désencerclement.

"La violence est une question complexe, estime Magali Della Sudda. Elle est d'abord liée à la transformation de la doctrine du maintien de l'ordre, au recours à de nouvelles tactiques interpellations, ou à l'usage d'armes dites à létalité réduites". Pour la chercheuse, les manifestants, qui découvraient, pour beaucoup, le monde de la contestation, n'étaient pas préparés à la répression des forces de l'ordre.

"En réponse à cette violence, les manifestants ont parfois commis des dégradations matérielles, pas physiques et c'est important de le souligner, commises par certains manifestants", reconnaît-elle, alors qu'en Gironde, l'incendie de la barrière de péage de Virsac avait marqué les esprits.

"Dans nos enquêtes, il y a un refus très clair, exprimé massivement, de la violence, matérielle et physique. La violence est d'abord subie par les manifestants, et les dégradations n'ont pas toutes été commises par des Gilets jaunes. Quand on veut faire baisser la tension et désescalader la violence, c'est aux autorités de trouver des dispositifs. Cela n'a pas été le cas ", note Magalli Della Sudda.

Voir le reportage de France 3 Aquitaine

La chercheuse soulève également le traitement judiciaire réservé aux manifestants. "Les interpellations avaient lieu en amont des manifestations, des personnes se sont retrouvées en garde à vue alors que ça ne se justifiait pas. On était dans l'anticipation", rappelle-t-elle.

Un mouvement historique ?

Peut-on qualifier, comme cela a beaucoup été fait, le mouvement d'historique ? Oui, répond Magali Della Sudda, dans la mesure  "les protagonistes ont eu l'impression de faire l'histoire. Il y a une dimension subjective qui est très importante. Et les médias et les observateurs le qualifient de tels parce qu'ils y voient des éléments nouveaux, des manières de faire et d'agir collectivement qui ne s'étaient pas observées de manière concomitante auparavant". 

Autre facteur à rendre en compte : sa longévité. Seule la crise sanitaire a pu mettre fin aux rassemblements hebdomadaires des Gilets jaunes, ou du moins à en limiter très fortement son intensité. Pour autant, sur des ronds-points spécifiques, comme dans la commune de Sainte-Eulalie en Gironde, la mobilisation est de retour. "Même s'il peut faire l'objet de débats, même si on peut le retrouver sous différentes formes et recomposé autour d'autres enjeux, le mouvement des Gilets jaunes existe encore", assure Magali Della Sudda.

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