Elles s’appellent Pauline, Sylvie, Mariam et Anne. Certaines se connaissent, d’autres non, mais toutes partagent un lieu commun : l’Institut des Orchidées Rouges situé au cœur de Bordeaux. C’est ici qu’elles viennent se reconstruire d’une mutilation sexuelle nommée excision. Un documentaire leur est consacré.
Rendre visibles les victimes de l'excision, tel est l'objectif de ce film. Les orchidées rouges n'est pas un documentaire ordinaire.
D'abord parce qu'il traite d'un sujet tabou. L'excision est une mutilation du corps des femmes.
Ensuite parce qu'il donne la parole à des femmes qui se livrent d'une manière très sensible et donc touchante au sein de l'association qui a donné son titre au film. Une association créée par une victime de l'excision.
Enfin parce que la réalisatrice, fait un focus sur un lieu unique en région et donc en Nouvelle-Aquitaine : l'institut des orchidées rouges à Bordeaux.
L'excision
Le nombre de femmes ayant subi une excision dans le monde a de quoi effrayer. Elles sont plus de 200 millions. Parmi elles, 125 000 habitent en France. En une décennie, le nombre a presque doublé, même si les observateurs s'accordent pour dire que la pratique a quasiment disparu sur le territoire hexagonal.
Le film de la réalisatrice Clara Gilles s'ouvre sur la définition de l'excision, quelques mots écrits en lettres blanches sur un fond noir.
L'excision est une mutilation génitale féminine consistant en l'ablation totale ou partielle du clitoris et/ou des grandes lèvres.
À cette phrase, il faut ajouter que l'excision est souvent pratiquée dans des milieux dans lequel règne le patriarcat.
Mutilation. Le mot est écrit. Il vient se cogner à l'inadmissible, à la dignité due aux femmes, à leur intégrité.
Le clitoris est un petit organe féminin, uniquement dédié au plaisir. Alors que chez certaines femmes en parler n'est plus du tout tabou, d'autres en sont privées entièrement dans le cas d'une ablation ou partiellement dans le cas d'une mutilation.
Ces mutilations sont majoritairement réalisées dans des conditions sanitaires déplorables. Moins d'une excision sur cinq est réalisée par un médecin. La norme restant "l'exciseuse" avec au choix, une lame de rasoir, un tesson de bouteille ou une paire de ciseaux de cuisine, le tout réalisé sans anesthésie.
Note de la production
Les conséquences sont de deux ordres :
- Physiques : l'excision provoque des saignements abondants, des grossesses compliquées dans certains cas, de l'incontinence, mais aussi des rapports sexuels douloureux.
- Psychologiques : cet acte entraîne aussi des états dépressifs, du stress post-traumatique, de l'anxiété.
L'excision dans le monde et dans l'histoire
Selon certains historiens, les premières victimes de l'excision auraient été les femmes de pharaons, telles que Néfertiti ou Cléopâtre. Aujourd'hui encore, en Égypte, 87% des Égyptiennes auraient été excisées en 2015 alors que la pratique a été officiellement interdite en 2008.
L'excision est pratiquée sur le continent africain comme au Soudan, au Sénégal, en Somalie, en Guinée, au Mali ou encore en Mauritanie ; elle est aussi pratiquée, et cela est moins su, en Indonésie, en Malaisie, en Inde et sur le continent sud-américain, en Colombie ou au Pérou.
Les raisons à la pratique de l'excision
Elles diffèrent considérablement selon les pays, les ethnies, les croyances et les mythes. Cependant, un point commun relie cette pratique sur l'ensemble de la Terre : pouvoir contrôler la sexualité des femmes. Cela sous-entend : perpétuer la domination des hommes sur les femmes.
L'idée est simple chez celles et ceux qui défendent l'excision. En supprimant à la femme l'accès au plaisir sexuel et donc par déduction au désir, l'excision aurait pour conséquences de garantir la virginité des jeunes femmes avant mariage, c'est-à-dire l'honneur de la famille, et par là même la tentation de relations extra-conjugales.
Et en France ?
Elle s'appelait Bobo Traoré. En 1982, cette petite fille de trois mois est morte des suites de son excision. L'opinion publique s'en émeut. L'État n'a d'autre choix que d'agir.
En 1983, l'excision est reconnue en France comme une mutilation et par conséquent comme un crime au regard du Code Pénal français.
1988 est l'année du premier procès pour excision.
Ainsi la pratique disparaît lentement de l'hexagone alors qu'elle était courante jusque dans les années 80.
J’avais entendu parler de l’excision, mais comme beaucoup, j’avais le sentiment que le sujet ne me concernait pas. Je pensais que la France n’était pas touchée. Et puis j’ai découvert le chiffre : 120 000 victimes.
Clara Gilles, réalisatrice
Un problème subsiste. Des petites filles sont excisées lors de voyages dans les pays d'origine de leur famille. Ce n'est qu'en 2006 qu'une loi sera votée pour protéger les ressortissantes françaises à l'étranger.
Selon une étude de Santé Publique France publiée en 2019, le nombre de victimes d'excision qui vivent en France est passé de 60 000 cas en 2004 à 120 000 dix ans plus tard. Plusieurs explications sont avancées. La première étude ne prenait pas en compte les femmes mineures. Une forte féminisation des populations migratoires ayant comme corollaire la décision de la Cour national du droit d'asile de rendre éligibles les jeunes filles menacées d'excision. Ainsi, on considère que ce sont 7 500 fillettes qui ont bénéficié d'une protection grâce à cette mesure.
De la parole à la reconstruction
Des mots pour dire la douleur, l'incompréhension, la peur aussi.
Des mots pour raconter et pour prévenir.
Des mots pour échanger, se sentir moins seule.
Je veux mettre les femmes au centre de ce documentaire. Les victimes d’abord, pour montrer leur existence, leur nombre, leur réalité. Mais aussi celles qui les entourent dans leur reconstruction. Je veux montrer comment les femmes pallient lacunes de notre système dans la prise en charge des victimes et montrer qu’un autre chemin est possible.
Clara Gilles, réalisatrice
En 2017, Marie-Claire Kakpotia créée l'association Les orchidées rouges. Aujourd'hui, ce sont 80 femmes qui sont suivies à Bordeaux dans son institut ouvert en 2020.
L'histoire de celle qui consacre dorénavant tout son temps au sujet de l'excision est à la fois tristement courante et extraordinaire.
Originaire de Côte d'Ivoire, elle a 9 ans lorsqu'elle est excisée par sa famille paternelle. Elle est une enfant qui ne comprend pas ce qui vient de se passer : la douleur, puis le sang. Elle sera suivie par un psychologue et c'est un ami qui lui permettra de comprendre. En 2016, elle souhaite entamer une reconstruction. Les structures sont rares, voire inexistantes. Habitante de Bordeaux, elle fait des allers-retours vers Paris, elle y rencontre des associations qui la dirige vers un homme qui va changer sa vie de femme mutilée. Elle bénéficie en effet d'une reconstruction gynécologique grâce au professeur Pierre Foldès, l'inventeur de la réparation des clitoris mutilés.
Un an plus tard, sa décision est prise. Marie-Claire Kakpotia décide d'accompagner d'autres femmes victimes de l'excision.
J'ai eu la chance d'avoir les moyens de me rendre à Paris, d'être soutenue par mon entourage, de tomber sur des médecins sensibilisés à l'excision. Ce n'est pas le cas de toutes. Beaucoup ne savent pas encore se repérer en France.
Marie-Claire Kakpotia
Des groupes de paroles sont mis en place. Le film documentaire réalisé par Clara Gilles est fidèle à cela comme le montre l'extrait ci-dessous.
Une quinzaine de lieux comme l'institut des Orchidées rouges existent en France, mais la majorité se situent en Île-de-France, beaucoup ne se concentrent que sur la réparation physique et très peu ne se consacrent qu'aux victimes de mutilations sexuelles.
Ici, chaque prise en charge est organisée autour de trois axes pour permettre une reconstruction dans la globalité :
- une prise en charge sur le plan physique
- un encadrement psychologique
- un accompagnement juridique, social et professionnel
Beaucoup pensent qu’une victime d’excision ne peut être guérie qu’à travers par la chirurgie. Mais c’est faux. Certaines en ont besoin, c’est certain. Tandis que d’autres ne le veulent pas, et trouveront la résilience ailleurs. Notre rôle est d’écouter chacune.
Marie-Claire Kakpotia
Chaque parcours est personnalisé car chaque histoire est différente.
Plus qu'un lieu d'écoute, une maison de la reconstruction
Le lieu imaginé par Marie-Claire Kakpotia n'a rien à voir avec la froideur des cliniques et des hôpitaux. Il est situé en ville, près de la basilique Saint-Seurin.
Psychologiquement, c'est important pour les femmes qui viennent nous voir. En venant ici, ça leur montre qu’elles n’ont pas à être reléguées à la marge de la société. Et en même temps, nous sommes situées dans une petite rue au calme. C’est comme un petit cocon dans la ville.
Marie-Claire Kakpotia
Parmi les intervenants, ou plus exactement les intervenantes, car ce sont majoritairement des femmes, on peut compter des psychologues, gynécologues, sexologues, médecins généralistes, infirmières, mais aussi avocates, travailleuses sociales, socio-esthéticiennes, professeures de danses, ostéopathes.
Des ateliers sont organisés pour travailler la confiance en soi, tellement abîmée.
Les corps autrefois meurtris se reconstruisent au fil des jours. Les femmes apprennent à retrouver le sentiment "d'être désirables", à se sentir belles.
Personne ne peut douter de l'efficacité et de la nécessité de l'institut des Orchidées rouges.
En regardant défiler le générique de ce film sensible, après presque une heure partagée avec ces femmes au destin si singulier, personne ne pourra douter non plus de son importance pour témoigner des chemins parfois difficiles, mais souvent magnifiques, de la reconstruction de femmes qui n'ont pas été respectées dans leur intégrité physique et psychologique.
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Diffusion sur France 3 Nouvelle-Aquitaine : jeudi 9 mars à 23.15
À voir ou revoir en replay sur france.tv 30 jours après la diffusion
Documentaire écrit et réalisé par :
Clara Gilles
Coproduction :
Yemaya Productions / France 3 Nouvelle-Aquitaine
Durée : 52 min