Violences sexistes et sexuelles. L'université de Bordeaux Montaigne dans la tourmente : "on a l’impression que toutes les paroles ne se valent pas"

Une dizaine d’étudiantes et d'enseignants de l'université de Bordeaux Montaigne, dont la philosophe Barbara Stiegler, dénoncent des violences sexistes et sexuelles, perpétrées par un professeur. Une commission disciplinaire a été saisie, “sans prendre en compte les témoignages des étudiantes”, selon les plaignants.

Les faits remontent sur une période s'étendant de 2006 à 2020. Un enseignant de l’université de Bordeaux Montaigne est accusé, par plusieurs étudiantes et professeurs, de violences sexistes et sexuelles. Parmi eux, Barbara Stiegler, enseignante-chercheuse en philosophie, qui l’accuse de l’avoir violée, en 2020.

"Il s’est collé au corps de certaines étudiantes"

Harcèlement sexuel, gestes et propos sexualisés déplacés, humiliation publique, selon plusieurs témoins, la gravité des faits est sans équivoque. “Cela pouvait se passer à l'université ou lors de séances au domicile du professeur, une pratique courante dans l’enseignement supérieur”, explique Annie Carraretto, la présidente du Planning familial de Gironde, qui a recueilli les témoignages de plusieurs victimes. " Et il y a toujours la même méthode : si la victime manifeste son désaccord, elle est au mieux complètement ignorée, voire humiliée en public”, poursuit Annie Carraretto qui détaille le procédé.

Ce sont des regards fixes, il s’est collé au corps de certaines étudiantes, des passages au tableau qui créent des malaises.

Annie Carraretto, co-présidente du Planning Familial

rédaction web de France 3 Aquitaine

Ces scènes, ce sont les victimes elles-mêmes, une dizaine au total, qui les ont décrites à la Maison d’Ella/Cacis puis au Planning familial, se disant “abandonnées par l’université”. “Elles ont fait des signalements à la cellule spécialisée ainsi qu’au président entre mars et septembre 2022”, explique Annie Carraretto. “Elles n’ont reçu, jusqu’à ce jour, aucun accompagnement judiciaire ou psychologique.”

Libération de la parole

“L'affaire Barbara Stiegler a permis la libération de la parole des étudiantes”, confie un professeur de l’université. L'enseignante signale les faits en décembre 2021. “Le président était au courant, mais il n’y a eu aucun soutien de la part de l’université, regrette Barbara Stiegler. Pire, l’enseignante dépeint une cabale contre elle.

J’ai vécu un enfer, à tous les échelons, de la direction aux collègues. Il y avait ceux qui le défendaient et ceux qui me croyaient.

Barbara Stiegler, enseignante-chercheuse à l'université de Bordeaux

rédaction web France 3 Aquitaine

“Le département s’est divisé en deux : entre ceux qui voulaient une procédure disciplinaire et ceux qui disaient qu'il était urgent d’attendre”, détaille un collègue, qui confie que “plusieurs membres du corps enseignant subissent des pressions de la part de l’université”.

Lui a aussi recueilli des témoignages, de trois étudiantes victimes. “Elles m’ont raconté des faits de harcèlements sexuel, du chantage aux notes, de l’abus de pouvoir”, liste cet enseignant.

Témoignages en question

En mars 2023, soit près d’un an après les premiers signalements, le président de l’université, Lionel Larré décide d’engager des poursuites disciplinaires. Une enquête administrative est ouverte par le rectorat. Il conclura que "l’ensemble des témoignages montre à la fois la cohérence des témoignages sur les propos déplacés tenus par l’enseignant, mais aussi l’absence de remise en question de l’intéressé quand ses collègues lui soulignaient le caractère inapproprié de ses propos et attitudes", selon une information révélée par Sud-Ouest.

Une commission disciplinaire est alors saisie, par le président de l’université. Elle peut aboutir à une sanction disciplinaire allant jusqu’au renvoi du mis en cause. Problème, selon plusieurs témoins qui ont été auditionnés, cette commission leur a assuré qu'elle ne pouvait statuer que sur le témoignage de Barbara Stiegler.

Le Cneser (conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche) fait ainsi mention de la lettre de saisine rédigée par le président, dont l’extrait mentionne des “faits allégués d’agression sexuelle, de harcèlement sexuel, de comportements déplacés vis-à-vis d’une enseignante-chercheuse de l’Université”’.

Les témoins, pour certains également victimes, convoqués à cette commission qui se tient en ce mois d'octobre à Toulouse, confirment cette situation. “Ils m’ont précisé que mon témoignage sert à éclairer la personnalité du mis en cause et qu’ils ne pourront pas statuer sur les agissements qu’il a eus à mon encontre”, explique une des victimes présumées, témoin dans l'affaire. “C’est difficile et injuste pour les étudiantes qui ont eu le courage de témoigner. On leur dit que leurs témoignages resteront indirects, ça donne l’impression que toutes les paroles ne se valent pas. Ça me met hors de moi."

"Il faut que l'université protège ses étudiants"

“Lorsqu’une commission disciplinaire est saisie, elle ne peut pas outrepasser le périmètre de la saisine défini par l’université. Pour prendre en compte les autres témoignages, il faudrait une nouvelle saisine”, précise Me Clémence Radé, l’avocate de Barbara Stiegler. “Cette décision affaiblit indubitablement le dossier.”

Dans ce cadre, la section Snesup-FSU demande au président de l’université “de s’assurer que les poursuites disciplinaires portent sur la totalité des signalements, enseignantes et étudiantes, et sur l’entièreté des faits”, selon un communiqué paru mercredi 25 octobre. Leur crainte : que la décision disciplinaire ne soit pas à la hauteur des témoignages. “Il faut que l’université protège ses étudiants. Il avait été suspendu pendant la procédure, mais il est de retour depuis le mois d’octobre”, lâche Annie Carraretto, inquiète.

Secouée depuis la parution de deux articles qui ont révélé l’affaire dans Sud-Ouest, l’université réfute avoir exclu certains témoignages. “L'université a explicitement et formellement attiré l’attention de la section disciplinaire sur tous les signalements portant sur le mis en cause, le rapport d'enquête administrative constituant ainsi, dans son intégralité, la pièce justificative de l'engagement des poursuites disciplinaires ”, martèle le président, Lionel Larré dans un communiqué.

En mai 2023, il avait détaillé, dans les pages de Sud-ouest, sa politique de soutien à toutes les victimes. Une prise de parole qui avait indigné ces dernières : il y qualifiait les faits dénoncés de "comportement inapproprié en 2020". “C'est une guerre de communication”, selon Me Clémence Radé. “Il joue sur les mots”, fulmine un témoin. Au sein de l’université, certains professeurs envisageraient même de demander la démission du président, “s’il n’agit pas pour inclure tous les témoignages dans le périmètre défini par la lettre de saisine”. 

Procédure pénale

En parallèle, deux plaintes, dont une de Barbara Stiegler, ont été déposées, le Planning familial s’étant porté partie civile. Une information judiciaire est ouverte. “Une première enquête a été ouverte au commissariat de Bordeaux, subitement classée sans suite après la confrontation de ma cliente et de l’auteur présumé. Nous avons donc décidé de saisir le doyen des juges d’instruction”, détaille Me Decima, l’avocate de Barbara Stiegler sur le volet pénal. Cette demande vient d’être d’acceptée. Un nouveau volet de l’enquête pénale s’ouvre donc. 

L’avocate confirme qu'une dizaine de témoignages sont également inclus dans le dossier. Une procédure "entièrement distincte" de celle menée sur le volet administratif. Contactés, les avocats du mis en cause n'ont pas encore répondu à nos sollicitations.

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