Violences urbaines dans les quartiers. "Personne ne les écoute. On passe du silence à la violence"

Les violences urbaines qui ont suivi la mort du jeune Nahel à Nanterre ne sont qu'une énième répétition d'un mécanisme rodé depuis quarante ans, estime le sociologue bordelais François Dubet, qui plaide pour plus de mixité sociale dans les quartiers.

François Dubet, sociologue et professeur émérite de l'université de Bordeaux, est revenu pour France 3 Aquitaine sur les violences qui ont suivi la mort du jeune Nahel, tué par un tir policier à Nanterre. L'universitaire a commencé à s'intéresser aux phénomènes d'émeutes dans les années 80 et notamment sur les violences survenues dans le quartier des Minguettes. Nous sommes alors en 1981, à Lyon, et pour la première fois en France, des quartiers s'embrasent dans des émeutes urbaines. "Depuis, on doit être à la quarantième émeute. Des grosses comme ça, on n'en a pas tous les jours, mais on oublie que ce sont des événements extrêmement réguliers, qui se déroulent toujours de la même manière", note-t-il.

Un mécanisme immuable

"Un jeune est tué par la police. Les gens sont indignés, les jeunes sont révoltés.  Il y a des violences… Les élus et les associations appellent au calme, mais personne n'entend.  Puis le calme revient…  jusqu'à la prochaine fois", résume-t-il. Si l'universitaire concède une évolution avec l'arrivée des réseaux sociaux, qui créent de la concurrence, il souligne toutefois que les réactions politiques restent immuables. " Les uns appellent à l'ordre, les autres appellent à des politiques urbaines. Je suis frappé par la répétition de ces mêmes mécanismes depuis quatre décennies".

Les mêmes causes, les mêmes effets

Le diagnostic est pourtant établi depuis longtemps.  "Les gens raisonnables savent que, si vous mettez ensemble des gens qui ont des taux de chômage trois fois supérieur à la moyenne et des revenus considérablement plus faibles, des jeunes sans boulot, d'origine étrangère, avec des trafics… Il n'y a plus qu'à attendre que ça explose. Il n'y a pas de débat là-dessus", poursuit-il.

Quand il y a des émeutes aux Etats-Unis, c'est exactement la même chose.

François Dubet, sociologue

à France 3 Aquitaine

Entre silence et violence

Le sociologue déplore un "vide politique", qu'il estime spécifique à notre pays. " En France, on a eu des politiques urbaines, avec beaucoup de moyens sur le bâti. Mais, les habitants, eux, on ne les entend que le jour de l'émeute. Dans quinze jours, on ne les entendra plus. Le maire, les enseignants, l'imam... Personne ne les écoute !  On est dans une situation sans médiation ni action sociale. Et c'est comme ça qu'on passe du silence à la violence".  

"Les gamins brûlent l'école, parce que ce n'est pas leur école"

Autre notion relevée par le sociologue, l'évolution entre les banlieues "rouges" des années 80, et les quartiers populaires d'aujourd'hui. " Dans les années 80, dans ces quartiers populaires, il y avait une petite classe moyenne. Les enseignants, les travailleurs sociaux travaillaient dans le quartier. C'était à la fois très populaire et très mixte"

Aujourd'hui, les intervenants sociaux, les enseignants ne sont pas du quartier. Les gamins brûlent l'école parce que ce n'est pas leur école. C'est l'école de la mairie, de l'Etat. 

François Dubet

à France 3 Aquitaine

La réaction qui voit la jeunesse s'affronter avec les forces de l'ordre n'est pourtant pas, selon lui, propre aux jeunes des quartiers. François Dubet en veut pour exemple les gilets jaunes, qu'il définit comme "sociologiquement le contraire des gamins de banlieues". " Ce sont des Français "de souche" comme on dit, enracinés dans leurs territoires, assez conservateurs, qui souvent n'aiment pas les gamins de banlieues. Pourtant, là aussi, on a retrouvé d'un côté les gilets jaunes, et de l'autre la police, face à face". 

"On a l'impression que le mécanisme démocratique, les syndicats, les élus locaux, qui transformait les colères en mouvement sociaux, s'est cassé, note l'universitaire. Aujourd'hui, il faut le reconstruire, sinon on va vivre dans des cycles de silence et de violence. Et ces cycles font monter les demandes autoritaires", prévient le sociologue. 

Retour de la mixité

Pour l'universitaire, la solution passe par un retour à la mixité. " Il faut que des classes moyennes vivent dans ces quartiers, que des associations soient aidées et soutenues, et ce même si elles ne sont pas politiquement correctes", poursuit-il. Doit-on pour autant glisser vers le modèle anglo saxon ? François Dubet refuse l'antagonisme entre communautarisme et universalisme républicain, mais balaie le "fantasme" qui veut "qu'on soit tous pareils". "Ce n'est pas vrai", assène-t-il. "Mais si on veut que les établissements scolaires fonctionnent, il faut bien admettre que le métier d'enseignant n'est pas le même partout, que les conditions de travail ne sont pas les mêmes, et que les pédagogies ne doivent pas être les mêmes. La France aime à penser que c'est un pays égalitaire parce qu'on fait la même partout

Pourtant, la France est un des pays scolairement les plus inégalitaires qui soit. Il y a bien un moment où il va falloir regarder les choses ensemble.

François Dubet,

à France 3 Aquitaine 

Entre les banlieues, les travailleurs qui ne se sentent pas représentés, la question des retraites, les gilets jaunes... "la situation est grave", reconnaît le sociologue. "Il est parfaitement clair que politiquement ça va se payer par une montée de l'extrême-droite. Et cela ne règlera pas le problème du déficit démocratique dans lequel nous vivons aujourd'hui, analyse-t-il. 

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