Après l'agression d'une grand-mère et de sa petite-fille à Bordeaux le 19 juin, le débat sur l'insécurité a ressurgi dans la sphère politique. Tandis que la droite et l'extrême-droite alertent sur une dégradation de la situation dans la métropole, les chiffres tendent plutôt à montrer que la délinquance sur la voie publique se stabilise, voire recule.
"Angélisme", "fatalisme", "manque de volontarisme"... Depuis qu'une grand-mère et sa petite-fille ont été violemment agressées le 19 juin à Bordeaux, les critiques fusent à l'encontre du maire écologiste de la ville, Pierre Hurmic. Le fait divers a en effet lancé le débat sur l'insécurité dans la métropole.
Un rebond politique opérée par la droite et l'extrême-droite, que le maire a qualifiée "d'indigne et d'indécente". Un avis partagé par la famille des victimes.
Selon Nicolas Florian, ancien maire de Bordeaux par intérim, qui a relayé la vidéo de l'agression sur le réseau social Twitter avant de la supprimer, "ce n'est pas de la récupération, c'est la réalité. Il ne faut pas se voiler la face. [...] La situation sécuritaire s'est dégradée depuis quatre ans", estime-t-il, constatant "une accélération à la fin du confinement, avec une hausse d'agressions et d'attaques aux personnes, liée aussi au trafic de drogue."
Une délinquance à nuancer selon les chiffres de la DDSP
Une augmentation de 12% des violences faites aux personnes à Bordeaux, durant l'année 2022. C'est le chiffre que brandissent à la fois Nicolas Florian, du parti des Républicains (LR), et Jimmy Bourlieux, secrétaire général du Rassemblement national (RN) de la Nouvelle-Aquitaine, pour démontrer l'insécurité grandissante.
Interviewé mardi 20 juin, au lendemain de l'agression, le responsable RN, également secrétaire départemental du parti de Marine Le Pen en Gironde, a déclaré sur France 3 : "À Bordeaux, et c'est d'ailleurs les forces de police qui le disent quotidiennement, c'est très loin d'être un cas isolé, parce qu'à Bordeaux il y a une augmentation de 12 % des violences faites aux personnes au cours de la dernière année, et cette violence, elle est en train de devenir systématique."
Les chiffres sont néanmoins à manipuler avec précaution : la direction départementale de la sécurité publique (DDSP) de la Gironde a certes fait état d'une hausse de 12% des agressions à Bordeaux en 2022, selon un communiqué de la préfecture, mais celle-ci est en réalité liée à une augmentation de 21% des violences intra-familiales.
Le commissaire général et directeur de la DDSP, Emmanuel Morin, l'explique bien et confirme cette tendance sur les cinq premiers mois de l'année 2023 :
Concernant l'évolution de la délinquance à Bordeaux depuis le début de l'année, on constate une relative stabilité, avec des violences qui ont tendance à augmenter, mais plutôt dans la sphère privée que dans la sphère publique, liée à la hausse des violences intra-familiales, commises notamment au sein du couple.
Emmanuel Morin - directeur de la DDSPFrance 3 Aquitaine
Sur la voie publique, le commissaire général affirme même qu'il y a plutôt une baisse des violences : "On assiste à un recul de 1,5% sur les vols avec violences, un recul de 4,5% sur les violences commis dans les transports en commun, et un recul de 17% sur les cambriolages."
"Un sentiment d'insécurité et d'angoisse"
Malgré les chiffres, "un sentiment d'insécurité et d'angoisse existe au sein de la population, auquel il faut répondre", insiste Nicolas Thierry, député écologiste de la seconde circonscription de la Gironde. Comme l'ancien maire LR Nicolas Florian, le député Nicolas Thierry affirme qu'il y a "une montée de la violence dans toutes les métropoles françaises, exacerbée depuis la fin de la crise sanitaire."
Selon lui, le manque d'effectifs policiers constitue l'une des causes de cette insécurité : "Bordeaux a changé de dimension en dix ans. C'est devenu une métropole et nous avons désormais des problèmes de grandes métropoles. Mais, nous sommes clairement en deçà des besoins en termes de sécurité. Il faut plus de bleus dans les rues", martèle-t-il, reprenant ainsi une promesse électorale de Pierre Hurmic en 2020.
Davantage de policiers sur la voie publique depuis 2021
C'est pourtant ce que le maire écologiste a fait. Il revendique avoir "augmenté considérablement" le nombre de policiers et d'agents de surveillance de la voie publique (ASVP), "alors qu'il avait chuté sous la précédente mandature" et d'avoir "obtenu de l'État une augmentation des effectifs, 120 policiers supplémentaires", lors d'une interview pour France Bleu Gironde.
Une augmentation d'effectifs confirmée par le directeur de la DDSP, Emmanuel Morin : "À l'automne 2022, des unités de police secours nous ont permis d’avoir beaucoup plus de patrouilles de police sur la voie publique qu’auparavant, conjugués aux apports des effectifs arrivés à Bordeaux en septembre 2021 puis en septembre 2022. [...] Ainsi, les patrouilles pédestres ont augmenté de 137%", a-t-il précisé.
Des chiffres que nuance néanmoins le député M. Thierry : "C'est très satisfaisant, mais ce n'est pas suffisant. Les 120 policiers ne travaillent pas qu'à Bordeaux, ils ont aussi été envoyés pour couvrir dix-sept communes autour de Bordeaux", affirme-t-il.
Nous devons repenser les missions de la police nationale. Aujourd'hui, on parle des forces de l'ordre, mais nous devons revenir au concept du gardien de la paix. L’État doit notamment investir beaucoup plus dans la police de proximité.
Nicolas Thierry - député écologiste de la seconde circonscription de la GirondeFrance 3 Aquitaine, rédaction WEB
Coïncidence du calendrier : au lendemain de l'agression et après deux ans et demi d'hésitation, Pierre Hurmic s'apprête à signer un contrat de sécurité intégrée avec l'Etat (CSI). Cela permettrait d'apporter des moyens supplémentaires pour lutter contre la délinquance et d'assurer la sécurité sur le territoire, comme cela a déjà été fait dans le Libournais en 2021. Pour l'heure, la mairie n'a pas souhaité communiquer à ce sujet, précisant seulement que "le contrat est en cours d'élaboration". Un engagement important de la municipalité écologiste pour garantir la sécurité des Bordelais, de quoi, peut-être, faire taire ses opposants.