Pourquoi il ne faut pas diffuser la vidéo de l'agression à Bordeaux : "la loi considère qu'il s'agit d'un acte de complicité"

Les images de l'agression violente d'une grand-mère et sa petite fille à Bordeaux ont largement fait le tour des réseaux sociaux. Pourtant, diffuser de telles images est une infraction et peut entraîner jusqu'à cinq ans de prison et 75 000 euros d'amende. Explications.

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En quelques heures, la vidéo de l'agression, devant leur porte, d'une grand-mère et sa petite-fille à Bordeaux a été vue et reprise partout. Sur les réseaux sociaux comme dans les médias traditionnels, les images de l'agression ont largement été diffusées, parfois sans le moindre respect de l'anonymat des victimes ainsi que de l'agresseur. Par l'intermédiaire de leur avocat, les victimes dénoncent "l'utilisation médiatique des images sans accord explicite et sans le moindre respect pour l'identité des victimes ou leur vie privée". Plus encore, le simple fait d'enregistrer et/ou diffuser une vidéo de violence est pénalement répréhensible. Éclairage avec Maître Camille Mogan, avocate au barreau de Bordeaux, spécialisée en droit de la propriété intellectuelle et en droit pénal.

Après l'agression d'une jeune fille et de sa grand-mère devant le domicile, la vidéo a été partagée et relayée partout sur les réseaux sociaux et dans les médias. Cela est-il problématique ?

Oui, c'est une infraction. Même si l'on n'est pas certain de qui a enregistré la vidéo avec ces personnes dessus, c'est grave, puisque l'infraction concerne aussi la diffusion. Cela concerne les images d'une certaine violence qui sont précisées dans le Code pénal depuis l'article 222-1 à l'article 222-14, c’est-à-dire des violences les plus graves ayant entraîné la mort à celles n'ayant pas entraîné d'ITT.
Quoi qu'il arrive, l'article 222-33-3 du Code pénal condamne le fait d'enregistrer et de diffuser des images relatives à la commission d'infraction de violence. Et ce n'est pas la violence qui caractérise l'infraction. La loi considère qu'il s'agit d'un "acte de complicité".
Toute personne diffusant ou enregistrant des images de violence encourt une peine de cinq ans de prison et de 75 000 euros d'amende. À une exception près : il est précisé que l'on ne punit pas à partir du moment où celui qui a enregistré ou diffusé, le faisait dans un but d'informer le public, soit les journalistes.

Y compris si la vidéo provient de la famille victime elle-même et est diffusée par celle-ci ?

Oui, car en France, le droit pénal est constitué de telle sorte à ce que ce n'est pas la victime qui engage des poursuites, mais le parquet. La philosophie derrière ce principe, c'est que l'on considère qu'à travers la victime qui a subi un préjudice, c'est la société tout entière qui en subit un. C'est ce qui justifie que ce soit l'État, à travers le ministère public, qui poursuive pénalement.
Si l'on suit ce raisonnement, à partir du moment où l'infraction est caractérisée, le parquet peut s'en saisir pour engager des poursuites. Il y a néanmoins le principe de "l'opportunité des poursuites" qui veut que le parquet décide qui il poursuit. Ici, on peut supposer que dans l'hypothèse des victimes qui auraient diffusé elles-mêmes la vidéo, peut-être que le parquet n'engagerait pas des poursuites contre des gens qui ont déjà souffert. Mais, sur le principe, cela ne change rien.

Qu'en est-il du floutage ? Certaines vidéos diffusées préservaient l'anonymat, d'autres non...

Le floutage répond à une autre problématique qui est celle de préserver l'intimité de la personne et la protection de la vie privée. De manière générale, on ne peut diffuser, sans le consentement de la personne, des attraits de sa personnalité, donc le plus souvent son image.
Cependant, cela peut être également la voix, les opinions politiques ou tout ce qui constitue sa personne. C'est pour cela que la pratique veut que, surtout lorsqu'on est un média et que l'on a une grosse audience, on floute la personne pour protéger sa vie privée. Mais, cela s'applique pour tout le monde et sur tout support, y compris les particuliers.

Certaines vidéos floutaient les victimes, mais pas l'agresseur. Pourtant, la protection de la vie privée s'applique à tous. Cela ne pose-t-il pas un autre souci ? 

Effectivement, la protection de la vie privée vaut pour tout le monde. Mais, par ailleurs, cela peut entrainer une atteinte à la présomption d'innocence. Montrer un agresseur qui est identifiable sur une vidéo, tant que la personne n'a pas été jugée et reconnue coupable de manière définitive par un tribunal, c'est porter atteinte à sa présomption d'innocence. Certains médias le font et sont condamnés plus tard, mais se posent simplement la question du rapport entre le coût de la condamnation et le bénéfice lié aux ventes et à l'audimat. S'abstenir de respecter ces règles vient plutôt d'un calcul de rentabilité.  

À présent que la vidéo a été diffusée partout, les victimes, comme l'agresseur, peuvent exercer leur droit à l'effacement. Les autorités ont aussi demandé d'arrêter de diffuser la vidéo. Comment cela va-t-il se passer ? 

Je pense que ça va être très compliqué, parce que c'est long. Quand vous effacez une vidéo, elle réapparaît 30 fois. C'est pour cela qu'ils comptent plutôt sur le bon sens des gens en demandant de ne pas diffuser la vidéo et de la signaler.

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