Débaptiser l'amphithéâtre Roger Bonnard, doyen de la Faculté de droit de Bordeaux sous Vichy ? La question se pose et sera tranchée par le conseil d'administration de la Nouvelle Université de Bordeaux.
Doyen de la Faculté de droit de Bordeaux sous Vichy, juriste éminent, Roger Bonnard affichait son soutien au maréchal Pétain, ce qui alimente aujourd'hui un débat sur l'opportunité de débaptiser un amphithéâtre portant son nom. "C'est un vieux dossier qui traîne depuis des années", soupire Loïc Grard, directeur du collège droit, science politique, économie et gestion, ex-Université Bordeaux IV depuis la fusion, en janvier, de trois des quatre universités bordelaises. A la fin des années 90, au moment du procès de l'ancien secrétaire général de la préfecture de Gironde sous Vichy, Maurice Papon, "on s'est mis à chercher des collabos à Bordeaux", rappelle-t-il. "Tout le monde s'est focalisé sur Bonnard" et le fait qu'un amphi de 300 places porte son nom a suscité l'indignation. L'affaire s'était ensuite tassée avant qu'une association étudiante, l'organisation socio-culturelle Bordeaux IV (OSB), classée à gauche, ne ravive les braises.
Qui était Roger Bonnard (1878-1944)? Juriste toujours étudié, il a été doyen de la Faculté de droit de Bordeaux de septembre 1940 à sa mort, le 18 janvier 1944. Peu de temps après, un amphithéâtre a été baptisé de son nom, "hommage à son apport doctrinal considérable", souligne l'avocat Bernard Noyer, auteur d'une thèse sur Bonnard.
"Maréchaliste", "pas collabo", "pas antisémite"
"Homme de droite, conservateur, catholique", Roger Bonnard a été, "comme beaucoup d'autres", profondément marqué par le "traumatisme collectif" de la Débâcle de 1940 et a considéré que "la Providence" avait envoyé Philippe Pétain, résume Me Noyer, indigné par le "procès pipé" fait à l'auteur du Contrôle juridictionnel de l'administration. Roger Bonnard était "maréchaliste", "pas collabo", "pas antisémite". Uniquement attaché à la "personne" du vainqueur de Verdun, il a, c'est vrai, écrit des "niaiseries" sur Pétain, concède toutefois l'avocat. "Vision édulcorée", tempère Yann Delbrel, professeur d'histoire du droit à Bordeaux, qui a dirigé, en 2013, la rédaction d'un rapport sur le décanat de Roger Bonnard. Le texte aurait dû être examiné fin 2013, lors du dernier conseil d'administration de Bordeaux IV, annulé en raison d'un conflit social. Depuis, les partisans de la débaptisation réclament que cette question soit évoquée en conseil de collège.Une liste des étudiants juifs
Le rapport pointe un "adversaire de la démocratie parlementaire", "ardent pétainiste, pourfendeur militant de l'esprit des Lumières", mais ne relève rien sur l'antisémitisme. Yann Delbrel évoque cependant "un document, signé de la main de Bonnard: la liste des étudiants juifs inscrits en droit en 41/42 à Bordeaux. On ignore l'usage qui en a été fait". Au débit aussi du juriste: ses deux discours devant les étudiants lors des rentrées universitaires de 1940 et 1941 ou encore la Revue du droit public, qu'il dirige au début des années 40 et met "au service de la propagande de Vichy", explique Nader Hakim, professeur d'histoire du droit à Bordeaux. Il a "laissé passer" des articles "purement techniques", donc "non critiques", sur les lois antijuives de Vichy, ainsi qu'un article, "clairement favorable" à ces lois, de Maurice Duverger, juriste réputé et futur homme politique de gauche, poursuit Nader Hakim.Un enseignant en sciences politiques qui prépare un livre sur Roger Bonnard, Michel Bergès, ne mâche pas ses mots sur le doyen, entre son appartenance à l'association des Amis du Maréchal et la création d'une école régionale d'administration, destinée à fabriquer des fonctionnaires "adaptés à l'idéologie" vichyste. "Un collabo, non; un nazi, encore moins". Mais "certains éléments", comme des écrits, "sont là", estime Nader Hakim, rejoint par l'OSB pour qui "les documents existent" et suffisent pour que le nom de Roger Bonnard disparaisse de l'amphi.
L'OSB s'étonne également qu'un autre amphithéâtre porte le nom de Henri Vizioz, juriste lui aussi favorable à la "Révolution nationale"... Le cas Bonnard suscite "l'indifférence" de la plupart des étudiants et des collègues, minimise Loïc Grard, qui veut mettre cette question à l'ordre du jour d'un prochain conseil de collège. "Mais je veux un autre rapport avec des auteurs indépendants. Là, je ferai voter". La décision finale reviendra au conseil d'administration de la Nouvelle Université de Bordeaux.