Agriculture : face au manque de main d'oeuvre, des réfugiés et jeunes précaires embauchés dans les champs

Le besoin de main d'oeuvre dans les champs et les vignes va aller crescendo jusqu'au mois de juillet. Et les bras manquent cruellement.  Une association a proposé de recruter des réfugiés et des jeunes en situation de précarité pour prêter main forte aux agriculteurs qui ont répondu favorablement. 

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Pluie, bourrasques de vent, des conditions météorologiques dantesques. Pour leur premier jour de formation les volontaires ont été servis. Et pourtant. « Je suis très content qu’ils m’aient donné une chance de travailler », sourit Zamir jeune albanais qui vient d’obtenir son récépissé de demande de titre de séjour. Comme lui ils sont 70 à s’être présentés au château Pedesclaux à Pauillac ce mardi. Parmi eux on trouve des jeunes en grande précarité ou venant de quartiers dits sensibles et des réfugiés « statutaires », c'est à dire ayant obtenu le statut de réfugié.

"Ca s’est bien passé, ça m’a bien plu le travail dans les vignes, je ne connaissais pas", raconte Mancef, 18 ans, habitant du quartier des Aubiers à Bordeaux.

Mancef vit avec son père et ses deux petits frères aux Aubiers. Il a participé lui aussi à cette formation. « Ca s’est bien passé, ça m’a bien plu le travail dans les vignes, je ne connaissais pas. On nous a appris l’épamprage, comment enlever les nouvelles branches qui consomment de l’énergie pour faire en sorte que le vin soit fort en concentration. On est tout le temps baissé, ça fait mal au dos, mais je suis sportif alors ça ne me dérange pas». Mancef est en terminale S et veut devenir coach sportif. En ce moment il tourne en rond dans sa cité et dit souffrir de l’isolement. En temps normal il participe trois fois par semaine à des entrainements de foot avec l’association Apis. Des activités suspendues pendant le coronavirus. Ce job va lui permettre d’aider financièrement son père, dont le smic est amputé par le chômage partiel, et de s’acheter des vêtements pour cet été. « La mission dure 15 jours, je vais gagner à peu près 600 euros », explique Mancef. « A la fin on peut prolonger ou arrêter. Je ne sais pas encore ce que je ferai, parce que je suis encore scolarisé, et puis ça va aussi dépendre de mon état physique avec le ramadan ».
 
A l’issue de cette première journée de formation, 70% des candidats auraient émis le souhait de poursuivre le travail dans les vignes. Une grande satisfaction pour Jean-François Puech à l’origine de cette initiative, nommée « Drop dans les champs ». Lancée au début du mois d’avril, elle a pour but de permettre aux personnes les plus vulnérables de trouver, ou retrouver, une activité rémunérée. Une manière de prendre aux mots le ministre Bruno Lemaire suite à son appel à « rejoindre la grande armée de l’agriculture française », évoquant à l’époque 200 000 emplois.

L’association Ovale Citoyen fondée par Jean-François Puech a pour mission la réinsertion par le sport notamment le rugby. Une action qui va souvent bien au delà, particulièrement en cette période de confinement.  Elle organise, entre autres, des distributions de colis alimentaires sur Bordeaux. Et la tendance est nette. « Beaucoup ne sont pas des « habitués », il s’agit de nouveaux bénéficiaires, avec de nombreux enfants », explique Jean-François Puech. « Ils étaient en bordure de précarité et y glissent aujourd’hui, car ils ont perdu leurs emplois, souvent précaires ». D’où l’urgence à retrouver du travail. 

« Besoins croissants dès la mi-mai »

« Les contrats que nous leur trouvons sont des CDD de quinze jours renouvelables, à des contrats de cinq mois », détaille Jean-François Puech. Depuis début avril, une quinzaine de personnes a trouvé du travail au château Sigalas-Rabaud dans le Sauternais, sur une petite exploitation viticole à Loupiac ou encore chez Banton-Lauret, un des plus importants prestataires de services du secteur. « La viticulture a donc répondu à l’appel en premier mais les maraichers, arboriculteurs, et maïsiculteurs de la région sont en train de prendre le relais », explique-t-il. Il faut dire que l’initiative d’Ovale Citoyen a été largement relayée par le CIVB et la FNSEA.

« Les besoins vont être croissants dès la mi-mai sur toute l’ex-Aquitaine. On a même une exploitation dans le Lot-et-Garonne qui nous demande 100 personnes » se félicite-t-il.

Alors quelle est l’ampleur des besoins de main-d’œuvre dans l’agriculture. « C’est difficile à dire », avoue Arnaud Tachon, président de la commission formation et emploi à la FNSEA de Nouvelle-Aquitaine. « On ne sait pas quel va être le comportement des consommateurs à la fin du confinement, quel sera leur consommation ». Alors le syndicat s’appuie notamment sur les chiffres de l’année dernière fournis par la Mutualité Sociale Agricole. En 2019 en Nouvelle-Aquitaine, les agriculteurs ont fait travailler 50 000 travailleurs saisonniers au mois d’avril pour monter jusqu’à 100 000 au mois de juillet. « Les travailleurs étrangers ne pourront pas venir car les frontières seront fermées a priori cet été aussi », dit Arnaud Tachon, « et ceux qui étaient au chômage partiel vont repartir au travail ». Reste tous les saisonniers pour lesquels la saison estivale s'annonce très incertaine. « Nous avons un brin d’espoir de pouvoir faire travailler les saisonniers du tourisme, mais quel volume de main d’œuvre nous aurons, nous ne le savons pas".

"Nous sommes à la recherche de toutes les solutions et l’initiative d’Ovale Citoyen en fait partie », avoue Arnaud Tachon.

Du côté des agriculteurs, « la difficulté c’est de former ce personnel en respectant la distanciation sociale imposée par le coronavirus », explique régis Moneau, chargé de mission emploi et formation à la FRSEA. « Avec l’accompagnement spécifique mis en place par l’association c’est plus simple. Les jeunes  en réinsertion et les refugies ont besoin d’aide et l’association leur apporte ce soutien en les « drivant » aussi.  La gestion de l’insertion c’est un vrai métier. On n’a pas les mêmes codes sociétaux entre le monde des villes et celui des champs, faut un intermédiaire ». C’est la raison pour la quelle la FNSEA a souhaité participer à cette opération, c’est parque l’association participe à sa mise en place. Elle organise aussi le transport des travailleurs jusqu’aux exploitations. « C’est une démarche partenariale construite, c’est pour cela que ca m’a plu », dit Arnaud Tachon.
  

Le rugby pour casser les préjugés

Cette année, avec la crise du Covid 19, les travailleurs saisonniers étranger ne peuvent pas se rendre en France. L’agriculture doit donc trouver une alternative locale. L’association leur trouve une solution, mais une solution basée sur la mixité sociale et ethnique.  Alors pour jouer les facilitateurs quoi de mieux en terres gasconnes que le rugby ? « Le rugby est un vecteur d’acceptation », analyse Jean-François Puech. « Dans tous les petits clubs de rugby d’Aquitaine, il y a forcement un agriculteur, c’est une des raisons pour lesquelles la Ligue régionale de rugby participe à l’opération. Et à Marcheprime par exemple, le club a accepté de mettre le terrain de rugby à disposition pour un camping privé permettant d’héberger les travailleurs ».

Paroles de ceux qui croient en cette démarche inédite > 

 

Vigilance sur les logements et conditions de travail

Justement la question de l’hébergement est au cœur des préoccupations. « Pas question de les retrouver dans des squats comme on a pu en voir dans le Médoc », alerte Jean-François Puech. Ce matin il s’est levé tôt pour amener un travailleur sur une exploitation dans le Sauternais. « Jusque là nous faisons beaucoup d’aller-retours, mais quand il y logement sur place, on est très vigilants. Un bénévole s’y rend pour vérifier. "

"A Loupiac, par exemple, nous avons trois travailleurs hébergés dans un mobile homme prévu pour six personnes afin que les conditions de distanciations sociales soient respectées", précise Jean-François Puech.

La question du mal-logement des saisonniers viticoles est en effet une problématique récurrente. Et derrière les façades prestigieuses de certains grands crus, se cache parfois une réalité moins clinquante. A l’automne dernier, pendant les vendanges, certains travailleurs dormaient ainsi sur des terrains vagues, sans sanitaires, dans des conditions d’hygiène déplorable. Des lieux de vie où il serait bien difficile aujourd’hui de mettre en place les barrières sanitaires face au Coronavirus. Les châteaux font de plus en plus appel à des prestataires de service pour leur fournir la main d’œuvre. Lorsqu’il s’agit de saisonniers étrangers, les prestataires ont le devoir de s’assurer qu’ils sont hébergés dignement. 

CDD de 15 jours à 5 mois...

C’est une des raisons pour lesquelles la société Banton Lauret, prestataire de service dans la viticulture, dit faire appel à des travailleurs locaux. « On pense qu’il y a suffisamment de personnes ici sans faire appel à de la main d’œuvre étrangère, et aujourd’hui avec la crise du Covid 19, c’est encore plus vrai », annonce Benjamin Banton. Cette entreprise et Ovale Citoyen sont rentrés en contact ces derniers jours. Trente personnes en situation précaire vont donc pouvoir travailler dans les vignes dès la semaine prochaine. « Là, avec Ovale Citoyen, c’est un peu diffèrent, car il y a la notion d’entraide avec des personnes dans le besoin. Ce sont des individus qu’il faudra accompagner mais ce sont des gens qui ont envie. C’est la raison pour laquelle on a dit oui, même si cela demande plus de management ».
Les premières recrues seront dispatchées dès lundi sur plusieurs exploitations girondines. « On commence comme ça, et après pourquoi pas trente autres personnes d’ici dix jours », annonce le chef d’entreprise. 

« En tout, on va avoir besoin de 200 personnes supplémentaires au mois de mai, on a des gens disponibles mais il en faudra d’autres », annonce le chef d'entreprise.

Au menu : épamprage puis levage des vignes. « Ce sont des CDD de quinze jours renouvelables jusqu’à mi-juillet », détaille Benjamin Banton qui vient de recevoir une commande de 5000 masques pour ses employés.
Ovale Citoyen affirme que les contrats et conditions de travail seront « suivies de près » par l’association et Info Droits avec laquelle elle collabore. « Les services de l’Etat avec lesquels on travaille, via la Direccte et la préfecture seront aussi très vigilants », assure Jean-François Puech. Pas question de profiter de la vulnérabilité de ces travailleurs.

... avec comme objectif une insertion à long terme

« Nous avons la volonté que certains y prennent goût et de mettre en place des formations pour pérenniser ces contrats car nous ne sommes pas une agence d’intérim », explique Jean-François Puech. « Nous voulons une intégration économique dans ce secteur de l’agriculture mais aussi une intégration locale », poursuit-t-il. « Aujourd'hui tout le monde vient sur Bordeaux, les villages se dépeuplent. Si demain la main-d’œuvre s’installe là bas, la boucle est bouclée ».

"Notre entreprise Banton-Lauret embauche entre 20 et 30 CDI par an. On serait heureux de les intégrer dans nos équipes", annonce Benjamin Banton.

Benjamin Banton partage cette perspective. « C’est on ne peu plus intéressant ! S’ils s’installent dans le coin pour ça, qu’on les forme, et si on leur donne goût, ils seraient disponibles pour travailler pour nous. Notre entreprise Banton-Lauret embauche entre 20 et 30 CDI par an. On serait heureux de les intégrer dans nos équipes. Ces postes CDD renouvelables pourraient être transformés en CDI ouvriers viticoles et après en chefs d’équipe ». Les habitants du Médoc, où le Rassemblement National est très ancré, sont-ils prêts à voir des réfugiés s’installer sur place ? « Il y a 10 ans on avait parfois des retours extrémistes par rapport aux gens qu’on embauchait », raconte Benjamin Banton. « Mais ce n’est plus le cas aujourd’hui ». Est-ce par opportunisme face à cette main d’œuvre si rare et parfois peu regardante sur les conditions de travail ? « J’espère que c’est lié à l’ouverture d’esprit… », répond-il.
Du côté de la FNSEA l’ambition semble elle aussi portée sur le long terme. « On est au tout début, on va y aller très progressivement. Il ne faut pas bruler les étapes. On ne va pas lancer 300 personnes comme ça dans les champs. Mais en juillet on va avoir beaucoup de besoins. On va proposer un cursus de formation, monter en compétences. Je suis sûr que dans ce vivier d’Oval Citoyen il y aura des réussites notoires qui seront nos futurs salariés permanents, voire de futurs agriculteurs aussi », avance Arnaud Tachon.


Donner aussi du travail aux sans papiers

L'opération Drop dans les champs s'adresse donc aux régugiés reconnus comme tels. Mais certaines associations et structures (comme Bienvenue, la CGT, Darwin ou encore le secours Catholique) souhaiteraient aller plus loin en permettant à des personnes déboutées de pouvoir travailler dans ce contexte si particulier. Elles ont donc écrit une lettre ouverte à la préfecture de Nouvelle-Aquitaine pour faire en sorte que de nombreux travailleurs déboutés du droit s’asile soient régularisés et puissent ainsi travailler participer à l’effort de guerre de « l’armée de l’agriculture », comme l’avait nommée Bruno Lemaire. "Certains secteurs vitaux sont en manque de salarié.e.s : ade à la personne, personnels soignants, travaux des champs...", est-il écrit dans cette lettre ouverte. "La crise montre que ces personnes sont un rouage essentiel de notre économie", c'est la raison pour laquelle "nous appelons à leur régularisation dans les secteurs d'acitivité en tension et ceux faisant jour suite à cette pandémie".  
 

Lettre ouverte écrite à l'attention de la préfecture de la Nouvelle-Aquitaine

« On examine les secteurs en tension, les métiers en tension, c’est donc un des critères qui seront examinés lorsqu’on décidera de délivrer ou pas un titre de séjour », annonce la préfecture.

Contactée, la préfecture annonce qu’elle les « examine au cas par cas ». Le manque de main-d’œuvre dans les vignes et champs aquitains pèsera-t-il dans la balance ?  « L’agriculture représente un travail accessible et aujourd’hui, oui, il y a cette logique qui consiste  à orienter les réfugiés vers l’agriculture », explique Thierry Suquet secrétaire général de la préfecture de Nouvelle-Aquitaine. « On examine les secteurs en tension, les métiers en tension, c’est donc un des critères qui seront examinés lorsqu’on décidera de délivrer ou pas un titre de séjour ».  Et Thierry Suquet de rappeller que des mesures gouvernementales ont à nouveau prolongé de trois mois la validité des titres de séjour par une ordonnance du 22 avril dernier.
Catherine Fabre, députée de la 2e circonscription de la Gironde a participé à la mise en place du dispositif proposé par Ovale Cotoyen en mettant en contact l’association avec la Direccte et Pôle Emploi. Mais elle ne souhaite pas aller plus loin et ne soutient pas cette lettre ouverte écrite par d'autres associations. « J’ai participé à cette démarche d’Ovale Citoyen car elle rentre dans le cadre l’insertion professionnelles de personnes qui ont un statut (précaires français ou personnes ayant eu l’asile) », explique-t-elle. « Ma démarche n’est pas de demander des régularisations. Ces associations défendent les régularisations de manière générale et là ça leur fait une accroche supplémentaire. Moi je défend les personnes qui ont eu le statut de refugié et qui ont le désir de s’insérer au plus vite avec cours français pour un accès rapide à l’emploi ». 
A l'ASTI, la position des militants est claire et assumée. "C’est vrai on est pour la régularisation de tous", déclare Frédéric Alfos son président. "Mais c’est pas nous qui avons dit qu’on avait besoin de bras, c’est la réalité du quotidien. On  sait que dans les Ephad ils sont debordés, comment ferions nous s'il n’y avait pas des sans-papiers qui, via des chèques emploi service, s’occupent de personnes à domicile… Il y a aussi beaucoup de sans-papiers dans les vignes et dans les champs, alors si on reconnaît leur utilité autant les régulariser. Nous n'avons pas fait appel aux politiques pour cette lettre ouverte, nous nous sommes limités au syndicats. Les politiques qui sont avec nous c’est même pas la peine de les solliciter, ils sont avec nous, les autres on connaît leurs positions".





 

 

 

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