Un restaurateur girondin qui se pensait couvert par son assureur en cas d'"épidémie" a attaqué Axa ce mardi 9 juin en référé devant le tribunal de commerce de Bordeaux. Des procès à effet tâche d'huile qui concernent plusieurs restaurateurs en Nouvelle-Aquitaine.
Christian Durocher, propriétaire du restaurant saisonnier Chez Aldo à la Teste-de-Buch, fait partie du peloton de tête dans la région. Il a affronté mardi 9 juin l'assureur au tribunal de commerce de Bordeaux. "J'ai confiance et j'irai au bout", déclare le restaurateur. Il demande une indemnisation de 30 000 € correspondant à la perte estimée de son restaurant, pendant les deux mois de confinement.
Ayant souscrit depuis l'ouverture de son restaurant à la garantie pertes d'exploitation sur son contrat, Christian Durocher avait envoyé sa déclaration de sinistre au début du mois d'avril à son assureur.
"Je ne m'attendais pas à une réponse aussi méprisante, raconte-t-il. Je pensais que la situation serait réglée de la même manière que certains de mes confrères : leur assureur leur a envoyé un chèque accompagné d'une déclaration à remplir pour estimer si la somme versée était suffisante. Mais tout ça n'est pas qu'une question d'argent, c'est une question de principe. C'est justement dans ces moments là que l'assurance doit jouer le jeu."
Dans son contrat, une clause d'exclusion indique :
Toutefois, sont exclues de la garantie les pertes d’exploitation, lorsque, à la date de décision de fermeture, au moins un autre établissement, quelle que soit sa nature et son activité, fait l’objet, sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique.
Jusqu'ici, la stratégie de défense d'Axa repose entre autres sur l'ambivalence de cette notion de "fermeture administrative". La clause est "très claire", a balayé l'avocat d'Axa, Maître Pascal Ormen lors de l'audience, mardi 9 juin à Bordeaux.
Ce que nous couvrons, c'est la fermeture de l'établissement, mais pas quand tous les établissements sont fermés en même temps, sinon cela reviendrait à couvrir le risque systémique.
Et oui, "une épidémie peut se mesurer à l'échelle d'un établissement", a-t-il souligné en citant le cas d'une légionnellose dans un Club Med.
Pour Maître François Drageon, son avocat, qui a assigné Axa en référé, cette "clause a pour effet de vider la garantie de sa substance".
Si l'épidémie ne devait arriver que chez moi, alors il fallait l'écrire ! Mais une épidémie, c'est général !
La décision sera rendue le 23 juin, après une autre, attendue à Lyon mercredi dans un dossier similaire.
Des professionnels qui se rebellent contre l'assureur
D'abord à Paris puis en région lyonnaise et aujourd'hui en Nouvelle-Aquitaine, les restaurateurs se lèvent les uns après les autres pour protester contre le même assureur: Axa. En cause, toujours la même raison : des interprétations divergentes quant à une clause d'exclusion sur leur garantie pertes d'exploitation. En d'autres termes, la crise sanitaire actuelle ne rentrerait pas dans les critères prévus par le contrat pour bénéficier d'une indemnisation.
Après une première victoire du restaurateur parisien,Stéphane Manigold, contre le géant des assurances le 22 mai dernier, les professionnels du secteur s'empressent de saisir en référé les tribunaux de commerce pour également obtenir gain de cause.
Si les avocats d'Axa ont fait appel de cette décision, c'est que le combat n'est pas encore gagné pour l'ensemble des restaurateurs. En effet, Thomas Buberl, le directeur général d'Axa, a rappelé mardi 26 mai dernier sur l'antenne de RTL que cette situation ne concernait que 10% des 20 000 restaurateurs assurés chez Axa.
Dans le cas de l'affaire Manigold, l'assureur a interprété l'arrêté du 14 mars du ministre de la Santé et des Solidarités, Olivier Véran, imposant aux restaurateurs de ne plus recevoir de public, comme une non-obligation de fermeture stricte. Ainsi, Axa considère la fermeture du Bistrot d'À Côté Flaubert comme une décision indépendante, "volontaire et non contrainte", rapporte Le Parisien.
Le juge des référés a pourtant donné raison au restaurateur parisien en estimant que l'arrêté représentait bel et bien une fermeture administrative, dans le cas du présent contrat et qu'il "incombait à l'assureur d'exclure conventionnellement le risque pandémique" (propos rapportés par Le Parisien). Axa France a été condamné à verser une provision de 45 000 € à l'établissement.
Pour François Drageon, l'avocat rochelais de Christian Durocher, il faut garder cet optimisme : "c'est une stratégie cynique qui joue sur la sémantique. Chaque affaire est unique mais s'ils restent sur la même défense, nous avons nos chances." En attendant une audience sur le fond, il réclame une provision couvrant la perte de la marge nette du restaurateur.
Axa a fait savoir mardi 9 juin à l'Agence France Presse qu'il avait reçu "moins d'une dizaine d'assignations par des professionnels en désaccord avec les décisions de non-indemnisation".
Des solutions pour s'assurer autrement
Cette semaine, en réaction aux décisions des assureurs, le syndicat de l’Union des Métiers et des Industries de l’Hôtellerie (UMIH) propose une alternative aux 230 000 professionnels du secteur : souscrire à une assurance collective, indépendante et spécialisée.
Couper les ponts avec les assureurs traditionnels pour répondre à ses propres besoins, voilà l'ambition du syndicat professionnel. "Ce n'est encore qu'au stade embryonnaire, mais nous sommes convaincus du projet et la situation est urgente, il faut agir maintenant", explique Laurent Tournier, président de l'UMIH Gironde. Deux solutions complémentaires s'offrent à nous : attaquer de front les assureurs qui ne jouent pas le jeu malgré le contexte et dans le même temps, car la situation est critique, créer nous-mêmes un fonds de cotisation solidaire pour couvrir les pertes."
Crise du Covid-19 : le secteur des cafés-hôtels-restaurants ne veut plus dépendre des assureurs traditionnels via @franceinter https://t.co/Q7gPijSbkw
— UMIH (@UMIH_France) June 3, 2020
Un groupe de travail est dépêché depuis trois semaines, rapporte France Inter, pour proposer dès le 1er janvier 2021 de nouveaux contrats aux professionnels. Une offre garantissant les "besoins essentiels" et qui soit "adaptée" aux risques rencontrés dans le métier.
En attendant, l'ACPR (Autorité de Contrôle Prudentiel et de Résolution), le gendarme des assureurs a ouvert une enquête sur les garanties en pertes d'exploitation. Verdict dans les semaines à venir.