Les cas d’urgence ne s’arrêtent pas pendant le confinement. Instances de l’Aide Sociale à l’Enfance et parquet des mineurs maintiennent leurs activités dans un contexte particulier qui demande une vigilance inédite.
Depuis ce fameux 17 mars, tout s’est arrêté pour eux, ou presque. Plus d’école, plus d’activité extra-scolaire, de visite chez les copains ou de rendez-vous médical. En clair, plus d’échange possible avec des tiers : seulement et uniquement la famille. Un contexte difficile pour certains enfants, dont la situation a fait l’objet de signalements de la part des services sociaux.
Confinement oblige, le système de protection de l’enfance tourne au ralenti. Mais hors de question pour le parquet des mineurs de laisser en suspend les cas jugés urgents.
"Les Ordonnances de placement provisoire urgentes (OPPU) n’ont évidemment pas été interrompues pendant le confinement. La permanence dédiée fonctionne h24 et nous traitons, comme avant, entre deux et cinq cas urgents par semaine dans mon service", explique Christine Campan, vice-procureur chargée du parquet des mineurs à Bordeaux.
Quant aux audiences de ces cas d’urgence, elles se maintiennent selon la loi et malgré le calendrier bousculé du tribunal, dans les quinze jours suivants le placement de l’enfant.
Répondre à l’urgence
En temps normal comme en période de confinement, deux critères sont nécessaires aux services sociaux, principale source de signalements, pour alerter le procureur et lancer une OPPU : le constat avéré que l’environnement familial dans lequel se trouve l’enfant lui est nuisible et si toutes les solutions mises en place par l’Aide Sociale à l’Enfance (ASE) ont été jugées inefficaces.
Seulement, que ce soit pour l’évolution dans son environnement ou bien l’accès aux aides envisagées, le confinement impose un contexte inhabituel à l’enfant comme à sa famille. "
Les repères de mon petit-fils ont été ébranlés ces dernières semaines, raconte Béatrice, grand-mère d’un petit-garçon de 4 ans placé pendant le confinement. C’est une période qui déstabilise, on ne comprend pas pourquoi les signalements ont été faits dans un contexte si difficile à gérer pour l’enfant et les parents, alors que nous essayons de faire au mieux, par exemple en le faisant venir, en accord avec sa mère, un maximum chez nous puisque nous avons un jardin."
Une incompréhension de certaines familles assortie d’un sentiment d’abandon puisque depuis le début du confinement, dans la plupart des cas, des accompagnements sociaux et médicaux se font au téléphone.
Pour la juge des enfants en charge du dossier dont l’audience est prévue dans les prochains jours, le confinement ne change en rien l’étude au cas par cas de chaque mineur. "Nous ne décidons pas au hasard de placer un enfant, surtout s’il s’agit d’un cas d’urgence".Nous ne décidons pas au hasard de placer un enfant, surtout s’il s’agit d’un cas d’urgence.
Stéphanie Defez, juge des enfants à Bordeaux
En effet, ce n’est qu’après une étude approfondie du dossier comportant entre autres les signalements et une consultation des services sociaux en lien avec la famille, que le procureur peut justifier son intervention. Puis dans un deuxième temps, une enquête complète est menée jusqu’au jour de l’audience.
"Néanmoins, étant en contact avec des inspecteurs de l’ASE, nous savons que le confinement provoque chez les familles un bouleversement visible. Mais pour certaines d’entre elles, ce changement se révèle bénéfique, ce qui peut conduire à une réévaluation du temps de l’enfant passé chez ses parents. Pour d’autres, c’est l’inverse", explique la magistrate.
Les événements liés au confinement et influant sur le développement de l’enfant deviennent alors des éléments à part entière, pris en compte dans le traitement du dossier et dans les décisions de justice qui s’en suivent.
Garder le contact
Cette influence du confinement, l’ASE et ses services mandatés en ont pleinement conscience. Depuis plusieurs semaines, ils choisissent d’enrayer au maximum ces cas d’urgence et éviter du même coup, un boom des OPPU lors du déconfinement.
Sans les écoles et les services médicaux, grands acteurs dans les procédures de signalement, le nombre "d’informations préoccupantes" a notablement chuté : 178 ont été enregistrées en Gironde au mois de mars, soit une baisse de 33% par rapport à l’année dernière à la même période.
"Nous avons constaté que le confinement pouvait exacerber certaines tensions déjà présentes au sein d’une famille. L’enjeu est d’arriver à détendre ces tensions en proposant des alternatives pour que l’enfant puisse sortir de chez lui, être en contact avec des personnes tiers et en même temps soulager les parents", explique Jeanne Clavel, directrice de la protection de l’enfance de Gironde.
Prochainement, des ateliers pédagogiques vont être mis en place par des services mandatés par l’ASE et ainsi assurer un soutien scolaire jusqu’à la fin de la crise. Pas plus de deux ou trois enfants du même niveau, encadrés par un éducateur spécialisé, et dans des conditions respectant les normes sanitaires.
"D’autres ateliers prendront également la forme de visio-conférences. Ce sont des outils peu utilisés en protection de l’enfance et nous souhaitons le développer un maximum pour maintenir au mieux le contact", ajoute Jeanne Clavel.
D’autre part, le département l’assure, pendant le confinement les 12 000 enfants accompagnés par l’ASE en Gironde sont suivis au téléphone par les services sociaux et pour les cas jugés plus difficiles, les éducateurs se déplacent directement au domicile familial.
#CORONAVIRUS #COVID19 | Que faire si je suis témoin de violences faites à un enfant ? Que se passe-t-il quand on appelle le 119 ? J’ai besoin d’aide en tant que parent, vers qui puis-je me tourner ?@AdrienTaquet répond à vos questions #EnfanceEnDanger pic.twitter.com/e7kX0LCvrd
— Gouvernement (@gouvernementFR) April 17, 2020
Pour les autres, ceux non recensés auprès des services sociaux, difficile de penser à des solutions, comme les points d’accueil d’urgence dans les grandes surfaces pour signaler les violences conjugales. Pour les enfants, la prévention semble être le maître mot.
"Nous mettons en place des campagnes pour le numéro d’urgence. Il n’apparaît pas sur la facture téléphonique, ce qui permet aux enfants de ne pas avoir peur. Puis nous militons également auprès des voisins en leur rappelant que le signalement est un acte citoyen fondamental et qu’il ne s’agit en aucun cas d’une délation", rappelle Emmanuelle Ajon, vice-présidente du département de la Gironde chargée de la protection de l’enfance.
Aujourd’hui, les huit juges pour enfants de Bordeaux prennent chacun en charge presque deux fois plus de dossiers que la moyenne nationale, estimée à 350 dossiers. Une surcharge qu’un neuvième juge viendra dès septembre prochain, tenter d’alléger.