Violences conjugales : " Les appels de victimes reprennent de plus belle" depuis le début du déconfinement

On dénombre toujours autant de déferrements au parquet de Bordeaux pour violences intra familiales. Et les associations sont prises d’assaut en Gironde. Une nouvelle proposition de loi a été adoptée au Sénat la nuit dernière. Mais certains maillons de la chaîne restent manquants. 

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« C’était la perle rare, qu’on ne trouve nulle part »

Il lui a envoyé un message sur son téléphone alors qu’il en a l’interdiction. La justice lui avait pourtant laissé une chance, une chance nommée Mesure Alternative aux Poursuites. La condition : ne pas l’approcher, ne pas entrer en contact avec elle. Elle, c’est Marie (*).

Le 6 mai dernier, la trentenaire a décidé de porter plainte contre celui qu’elle a rencontré il y a 6 ans et qu’elle a un temps considéré comme sa « perle rare ». « Un homme très beau, blond aux yeux bleus, la mâchoire carrée, quand il sort dans la rue, il plaît à toutes les femmes », dit la Girondine. Une « histoire » rapidement rattrapée par de nombreuses ruptures et autant de réconciliations. D’abord des bousculades, son front plaqué contre le sien, des poursuites sur le parking du supermarché, puis des mains serrées autour de son cou. Et une première plainte en 2017. Mais Marie fait marche arrière et pense qu’il est encore possible de sauver cet amour qui a donné naissance à un enfant. Et ça recommence. Le même engrenage. Jusqu’au confinement et ce jour où il l’a à nouveau étranglée avant de lâcher prise.

C’est arrivé à la fin confinement donc ça a sûrement contribué à l’augmentation de la pression. Mais j’ai vécu six années comme ça avec lui. Il n’était pas spécialement dépendant à l’alcool, mais l’alcool a pu être parfois un refuge pour lui, comme cela a été le cas le soir de la dispute, où il a serré avec ses deux mains .

Ce matin, l’association qui l’accompagne a envoyé un courrier signalant au procureur que son ex-conjoint n’avait pas respecté la mesure en lui envoyant ce SMS. Le parquet a la possibilité de le poursuivre via une audience en correctionnelle. Parallèlement une procédure au civil est sur le point d’être lancée : un référé auprès du juge aux affaires familiales pour la garde de l’enfant et une possible ordonnance de protection. En attendant, Marie vit avec son fils dans la maison dont elle est propriétaire. « J’ai peur quand je rentre chez moi », dit-elle.

Je sais qu’il m’a déjà espionnée", raconte Marie. "Alors quand je rentre je ferme tout, même les volets, mais il ne se montrera pas.

(*) Le prénom a été modifié.

« Les appels spontanés de victimes repartent de plus belle »

Comme Marie, de nombreuses femmes ont franchi un cap durant le confinement. Marie l'a fait en composant le 3919, puis en déposant plainte sur les conseils de son frère. Pour d'autres, ce sont bien souvent les voisins qui ont donné l'alerte. Durant ces deux mois, les interventions  de la gendarmerie pour violences intrafamiliales en Nouvelle Aquitaine ont augmenté de 59 % par rapport à la même période en 2019. Voilà les derniers chiffres recensés. Il n’en existe pas pour l’instant sur la période dite de « déconfinement », mais certaines données parlent déjà.

Au parquet, on dénombrait une quinzaine de déferrements par semaine pour violences intrafamiliales pendant le confinement. Depuis le 11 mai, on serait sur la même tendance. A l’association Vict’Aid, « les appels spontanés de victimes repartent de plus belle », nous dit-on. « On en a eu 200 en tout sur le mois d’avril. Depuis le déconfinement, on enregistre entre 50 à 80 appels par jour », dénombre cette association qui a accompagné Marie notamment dans son parcours juridique.

 

Les maris sont repartis au travail, les femmes trouvent alors une fenêtre de tir pour appeler à l’aide. Au CIDFF de Bordeaux, le Centre d’Information sur les Droits des Femmes et des Familles, les permanences ont repris. Et les créneaux pour les rendez-vous ont été pris d’assaut : plus de 60 rien que pour les quinze derniers jours de mai, essentiellement pour des problèmes familiaux.

Autre signe, la préfecture avait mis en place cinq points d’accueil dans des supermarchés girondins pour permettre aux femmes battues de parler et trouver refuge auprès d’associations. Un dispositif qui avait peu fonctionné durant le confinement (seulement trois témoignages recensés par le CIDFF en deux mois) mais qui commence à prendre. Car le dispositif a aussi été repensé notamment avec des horaires plus adaptés.

Lancement d’une nouvelle enquête régionale

La Région Nouvelle-Aquitaine et la Préfecture viennent quant à elles de lancer une enquête destinée à recueillir les témoignages de victimes. Des travaux qui pourraient conduire prochainement à la création d’un observatoire régional sur les violences faites aux femmes. «Le projet date du Grenelle contre les violences conjugales où on avait réuni les acteurs régionaux dans le cadre du fonds Catherine contre les féminicides pour savoir quels sujets ils voulaient qu’on développe », explique Sophie Buffeteau, directrice régionale aux droits des femmes et à l’égalité à la préfecture de la Nouvelle-Aquitaine. « Une des 3 priorités était de mieux connaître les VIF (violences intra familiales) dans la région. On a donc décidé de lancer l'étude financée par le fonds Catherine et la Région pour mieux connaître le parcours des victimes, ce qui marche ou pas, et déployer des politiques publiques pour les accompagner ».

 

 

Pourquoi une nouvelle étude ? La Fédération France Victimes travaille sur ces questions depuis plus de 30 ans. Elle remet déjà de manière hebdomadaire des bilans auprès des autorités sur le sujet. « Nous, on ne nous sollicite pas forcément sur ces démarches », regrette Emilie Maceron dont l’association œuvre au sein de France Victimes. « C’est dommage car on est assez représentatif par rapport au travail qui peut être fait ». La préfecture assure que tous seront consultés : « l’objectif est de mobiliser toutes ces sources pour dresser un tableau le plus précis possible ».

La période de confinement a malheureusement une nouvelle fois placé les violences intrafamiliales (VIF) sur le devant de la scène publique, politique, médiatique et même judiciaire. Le parquet de Bordeaux en avait fait sa priorité. En septembre dernier, le gouvernement français lançait le Grenelle contre les violences conjugale s. Où en est-on aujourd’hui alors que le déconfinement s’opère et que les appels à l’aide des victimes sont à la hausse ?

L'accompagnement des victimes aux audiences

L’association Vict’Aid travaille en étroite collaboration avec les services de police et de gendarmerie ainsi qu’avec les parquets. Elle fait partie de la Fédération France Victimes comme 130 autres associations. Ses équipes sont composées de juristes, psychologues, et d’intervenants sociaux disposant d’un bureau dans les commissariats et gendarmeries.

Durant le confinement, son travail n’a jamais cessé (même s’il a du s’adapter avec par exemple des réunions en visioconférences) et 700 nouvelles victimes (90% sont des femmes) ont été enregistrées donc aidées en Gironde que ce soit pour une prise en charge psychologique, sociale, ou juridique.

L’association girondine dispose aussi d’un bureau d’aide aux victimes au tribunal de Bordeaux et de Libourne pour préparer les audiences pénales (voir photo). Vict’Aid est sollicitée via des saisines du parquet pour rentrer rapidement en contact avec les victimes une fois leur plainte déposée. De la mi-mars à la mi-mai, « on a fait 300 préparations avec des victimes pour des audiences, c’est deux fois plus que d’habitude », explique Emilie Maceron-Cazenave la directrice de Vict’Aid. Ces saisines ne sont pas le fruit du Grenelle. « Elles existent depuis 2016 », précise Emilie Maceron-Cazenave. « Mais là, ça a pris beaucoup d’importance car c’était la priorité du parquet ».

« Et ce qu’on a mis en place pendant confinement, c’était la possibilité d’être saisi directement par la gendarmerie ou la police via des réquisitions, on attendait pas le parquet ».

Un dispositif plus rapide qui perdure en cette période de déconfinement.

 

Après l’hôtel comme refuge, leur trouver aujourd’hui un logement durable

L’association a relogé 50 femmes durant le confinement. Parfois chez de la famille, dans un foyer, ou un hôtel. « Aujourd’hui, nous avons une surcharge de travail pour trouver des solutions plus pérennes. Car maintenant, il faut sortir les victimes des foyers et hôtels pour leur trouver un logement durable », annonce Emilie Maceron-Cazenave.

« C’est tout un parcours auprès des bailleurs et de la préfecture via la Direction départementale de la cohésion sociale. Ça c’est le plus difficile ». Même tonalité du côté des militantes. « L’urgence, c’est de trouver un logement mais on n’en a pas assez, l’argent c’est là qu’il faut le mettre », confirme Charlotte Monasterio cofondatrice du collectif Collages Féministes Bordeaux pour qui l’instauration pendant le confinement d’une ligne dédiée aux hommes violents n’était pas franchement la priorité.

« Nous, on pense que la solution c’est d’éloigner le conjoint », martèle la directrice du CIDFF Marie-Françoise Raybaud. « Le problème, c’est que la justice a du mal à prendre cette mesure car la question de la preuve se pose. Si « je » dis que « je » suis victime de violences, c’est souvent sur les dires, donc la justice a du mal à exclure quelqu’un sur les dires d’une personne. Mais il y a un vrai problème de société. Et on n’obtient pas toujours des ordonnances de protection. Il y a une prise de conscience de la justice mais c’est une grande machine et certains juges sont plus frileux que d’autres. Depuis le Grenelle, on note que les décisions de poursuite sont plus importantes, on sent que les procureurs veulent poursuivre, mais pour les ordonnances de protection, c’est plus compliqué...

Il faudrait des maisons d’hébergement pour les hommes violents, le Grenelle l’avait prévu mais il n’est pas appliqué.

Marie-Françoise Raybaud - Directrice du CIDFF -

Isoler les conjoints violents

C’est une des solutions mises en avant par bon nombre d’associations. « On préfèrerait mettre à l’hôtel le bonhomme plutôt que d’y envoyer des femmes et des enfants comme ça a été le cas pendant le confinement », regrette Emilie Maceron-Cazenave de Vict’Aid. « Nous, on demande à ce que ce soit l’homme qui parte. Sur Libourne depuis fin 2018, grâce à une convention, on a des places d’hébergement pour les conjoints. Elles sont financées par la préfecture et surveillées par l’association Le Lien. Dans ce lieu accueillant des personnes rencontrant des difficultés de tous ordres, deux places sont réservées aux hommes violents. Nous avons une réunion vendredi 12 juin pour faire la même chose à Bordeaux. C’est déjà un début ».

A la préfecture de la Nouvelle Aquitaine, Sophie Buffeteau confirme. « Au moment du Grenelle, la question de la prise en charge des auteurs a fait l’objet d’annonces. Deux centres devaient être créés dans chaque région. L’appel à projet n’est pas encore paru. On verra, on pourra s’appuyer sur des structures existantes ou en créer de nouvelles ».

Vict’Aid a également fait une demande auprès de la préfecture pour obtenir deux intervenants sociaux supplémentaires dans les gendarmeries, un dans le Médoc et un dans le Sud Gironde. La préfecture reconnaît leur utilité. « La difficulté, c’est le financement », explique Sophie Buffeteau. « Dans le cadre du Grenelle, 80 postes supplémentaires avaient été annoncés au niveau national dans le social, après il faut voir où ils seront créés ».

Nicole Belloubet accusée de regresser

Comment traduire au plus vite le Grenelle en faits, en lois, en réalité ? Comment protéger au mieux et au plus vite les victimes ? Dans la nuit du 8 au 9 juin, le Sénat a adopté une proposition de loi (LRM) introduisant l'affranchissement du secret médical en cas de "danger immédiat", alourdissant les peines en cas de harcèlement au sein du couple, luttant contre les "cyberviolences conjugales" et réprimant la géolocalisation d'une personne sans son consentement.

 

En décembre dernier, une proposition de loi du député (LR) Aurélien Pradié avait déjà été adoptée. Elle réduisait à six jours les délais d’attribution des ordonnances de protection à partir du moment où la demande en a été faite. Mais fin mai, un nouveau décret a été promulgué créant un tollé. Il prévoit que la victime informe par voie d’huissier dans un délai de 24 heures son conjoint de l’ouverture d’une procédure à son encontre. Si ce délai n’est pas respecté la requête est annulée. Le député du Lot (dans la vidéo ci-dessus) a vivement critiqué la politique de la ministre de la justice Nicole Belloubet mardi 9 juin, lui lançant "votre décret vient détruire cette avancée" et lui reprochant son manque de réactivité depuis l'adoption de cette loi. "Non seulement vous n'avez pas avancé mais vous avez régressé", lui a-t-elle asséné. Ce délai de 24 heures est impossible à tenir selon Aurélien Pradié soutenu par certaines associations et avocats. Il mettrait les droits des femmes, et leur sécurité, en péril.

À l’inverse, qui a informé Marie le 7 juin que son conjoint était sorti libre de sa garde à vue ? Personne. Aujourd’hui, Marie ferme ses volets. Parfois en plein jour. Jusqu’à quand ?

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