Propriétaire de la seule pharmacie de Salleboeuf, en Gironde, Bruno Pichon invoque "une clause de conscience" pour expliquer son refus de vendre des contraceptifs. Il s'est vu notifier, par ses pairs, une interdiction provisoire d'exercer à compter du 2 mai prochain. Et ce n'est pas la première
C'est l'antenne bordelaise du planning familial qui a donné l'alerte après une lettre envoyée par un médecin de la commune. Hélène Cesbron, gynécologue, s'inquiète. Deux de ses patientes se sont vues refuser la vente de contraceptifs, notamment stérilets et pilule du lendemains, pourtant prescrits sur ordonnance.
Testing de l'antenne bordelaise du planning familial
En janvier dernier, par deux fois, des militantes du planning familial se rendent à la pharmacie pour vérifier : l'une se voit refuser un stérilet, l'autre une pilule du lendemain à causes de consignes strictes données par les "pharmaciens responsables". Elles previennent le préfet de Gironde et le directeur de l'Agence régionale de santé dans une lettre ouverte.
Annie Carraretto, bénévole au Planning, s'inquiète notamment pour l'accessibilité de la pilule du lendemain :Les jeunes femmes qui le peuvent vont chercher leurs contraceptions dans les communes voisines... et les autres?
Si une jeune fille, mineure de surcroît, veut se procurer ce contraceptif discrètement, mais qu'elle ne dispose pas de moyen pour se déplacer, alors elle est bloquée, elle ne peut pas avoir accès à cette pilule.
Les pharmaciens ne peuvent invoquer leurs "clauses de conscience"
Le pharmacien incriminé Bruno Pichon évoque sa «clause de conscience» pour défendre ses positions. Selon nos confrère du Figaro, son avocate, Me Adeline le Gouvello a refuté les rumeurs selon lesquelles ces refus étaient «motivés par conviction religieuse»."Cela va au-delà de la clause de conscience" précise Pierre Beguerie, président de l'ordre des pharmaciens d'Aquitaine. "Les pharmaciens n'ont pas le droit d'invoquer cette clause, contrairement aux médecins et aux infirmiers et si un jour ils en bénéficient, elle devra, selon moi être limitée au droit de vie et de mort" continue-t-il.
Pierre Beguerie a déjà porté plainte au civil contre son confrère notamment sur le fondement de l'article R. 4235-6 du code de déontologie des pharmaciens. Selon cet article les pharmaciens «doivent faire preuve du même dévouement envers toutes les personnes qui ont recours à leur art».
A la suite de cette plainte, Bruno Pichon a été suspendu une semaine. "C'est la sanction maximale qui pouvait être prononcée contre lui... mais cela ne l'empêchera pas de continuer à restreindre la vente de certains contraceptifs" ajoute Pierre Beguerie.
En effet, prévenue de la situation, Marisol Touraine, la ministre de la Santé, s'est dite «choquée» sur son compte Twitter :Si les pouvoirs publics sont choqués il devrait y avoir des actions en justice...car depuis 1995 aucune institution n'a fait quoi que ce soit et je suis le seul à avoir porté plainte - Pierre Beguerie, Président du Conseil Régional de l'Ordre des Pharmaciens
Choquée qu'un pharmacien ose encore refuser la contraception à des femmes. Honteux. Le combat pour la contraception toujours d'actualité.
— Marisol Touraine (@MarisolTouraine) 16 mars 2016
Déjà condamnés à plusieurs reprises
Les pharmaciens de l'officine de Salleboeuf ont déjà été condamnés en première instance (16 novembre 1995), en appel (14 janvier 1997) et en cour de cassation (21 octobre 1998) pour refus de vente de produits contraceptifs faisant l'objet d'une prescription médicale. La Cour Européenne des Droits de l'Homme a même statué qu'il ne pouvait faire prévaloir leur conviction religieuse pour justifier ce refus de vente (octobre 2001). A partir du 4 mai, ils seront à nouveau suspendus pour une semaine.