Le 10 mai 1981, François Mitterrand remportait l’élection présidentielle. Quarante ans après, retour sur 1982 et 1994, deux années où le président de la République a visité le village martyr d’Oradour-sur-Glane.
Le 10 juin 1944, les Waffen SS de la division Das Reich pénètrent dans le bourg d’Oradour-sur-Glane et massacrent 643 habitants, hommes, femmes et enfants. En 1946, les ruines du village martyr sont classées monument historique.
Un lieu de mémoire visité par 300 000 personnes chaque année et par plusieurs présidents de la République, le général De Gaulle en mars 1945 ainsi qu’en 1962, Vincent Auriol en 1947, François Mitterrand en 1982 et 1994, Jacques Chirac en 1999, François Hollande en 2013 et Emmanuel Macron à deux reprises en avril et en juin 2017.
Quatre décennies après l’élection de François Mitterrand à la présidence de la République, retour sur ses deux visites au village martyr.
1982, sous-tension
Ce n’était pas la première fois que François Mitterrand se rendait à Oradour-sur-Glane. Le 10 juin 1947, alors jeune ministre des Anciens combattants et des Victimes de guerre, il se tenait dans les pas du président Vincent Auriol.
Le 3 mai 1982, vers 17h30, un hélicoptère se pose près du cimetière, le chef de l’Etat en descend, arpente en silence les rues du village martyr, dépose une gerbe au tombeau et rencontre le représentant des familles des martyrs.
"Nous vous remercions de votre visite, votre présence est pour nous un grand réconfort moral" [Extrait d’une captation de Camille Beaulieu, président en 1982 de l’Association nationale des Familles des martyrs d’Oradour-sur-Glane]
Une visite qui n’est pas vue d’un bon œil par bon nombre d’habitants du village. Ils ne pardonnent pas à François Mitterrand d’avoir fait partie des députés ayant voté le 18 février 1953 l’amnistie des « Malgré-nous ». Des Alsaciens incorporés dans la division Das Reich ayant participé au massacre. "Il y avait eu des menaces très précises à l’encontre du chef de l’Etat. Certains habitants avaient fermé les volets à son passage. Cela a été une des visites présidentielles où le service d’ordre était le plus imposant" détaille Raymond Frugier, maire d'Oradour-sur-Glane de 1995 à 2014.
L’invitation ne venait pas d’Oradour et François Mitterrand ne la considérait pas comme une visite officielle. Il est venu sur la pointe des pieds avec pour but d’enclencher une mécanique commune, de clore cette querelle avec l’Etat.
Depuis le vote de 1953, Oradour-sur-Glane avait décidé de couper les ponts avec l’Etat en refusant toute visite officielle commémorative (exception faite du Général de Gaulle en 1962). Une situation qui perdurera jusqu’en 1974.
Hormis son nom et sa signature, François Mitterrand ne laissera aucune trace de son passage sur le livre d’Or d’Oradour-sur-Glane. Aucune déclaration officielle mais, le même jour, à la Maison du Peuple de Limoges, il s’exprimera devant micros et caméras :
"Des ruines qu’il faut contempler, parmi lesquelles il faut marcher lentement, comme revenir au-dedans de soi-même pour tenter d’approcher autant qu’il est possible la peine de ceux qui ont connu ces jours et qui ne les ont pas oublié. On prend mieux conscience ici de la nécessité de dépasser les inévitables et parfois nécessaires contradictions de la vie de chaque jour pour ne plus apercevoir que de grandes lignes, de grands chemins par où l’histoire de la France passe et passera." François Mitterrand, le 3 mai 1982 à Limoges.
1994, un devoir d’Histoire
Douze années plus tard, le 10 juin 1994, la seconde visite de François Mitterrand à Oradour-sur-Glane résonnera comme un acte de contrition. Pour commémorer le 50e anniversaire du massacre, devant plus de 4 000 personnes, accompagné du premier ministre Edouard Balladur et du ministre de la culture Jacques Toubon, le président arpente le village martyr.
On était loin des polémiques de 1982. On a mis des mois à préparer cette visite. On voulait que ce soit solennel avec un rassemblement symbolique d'enfants.
Ce jour-là, le président est accueilli sur la grande esplanade par une haie d’enfants venus d’Oradour, de Guernica, de Varsovie et d’autres villes martyrs d’Europe. La maquette du futur Centre de la Mémoire, inauguré en 1999 par Jacques Chirac, est présentée à François Mitterrand.
François Mitterrand a ardemment soutenu ce projet de Centre de la Mémoire. Il montrait ainsi officiellement l’attachement particulier de l’Etat à Oradour, que le village fasse pleinement partie de l’Histoire.
Ce centre allait être un sas d’accueil pour donner une interprétation claire aux visiteurs avant d’aller dans les ruines du village martyr. En 1994, François Mitterrand a trouvé sa place mais dans les mémoires individuelles il reste des traces de souffrance dans les familles des victimes.
Une analyse confirmée par Claude Milord, le président de l’Association nationale des familles de martyrs d’Oradour-sur-Glane : "François Mitterrand a participé à ce que l’Histoire se poursuive à Oradour. Le temps a fait son affaire même si aujourd’hui il y a encore des séquelles dans les familles. Le véritable mémorial est pour nous au cimetière, pas sur l’esplanade du village martyr."
Nous ne voulons pas que cela recommence. Il appartient aux générations prochaines de bâtir un monde où les « Oradour » ne seront plus possibles.
Très affaibli par la maladie, François Mitterrand ne restera pas déjeuner ce 10 juin 1994. Il aura rendu auparavant sur l’esplanade du village martyr d’Oradour-sur-Glane un dernier hommage aux victimes de la barbarie.