L’information avait fuité dès ce lundi 10 janvier, mais à l’occasion des vœux à la presse présidentielle, Emmanuel Macron l’a confirmé : la future Maison du dessin de presse sera basée à Paris, et non en Haute-Vienne, entre Limoges et Saint-Just-le-Martel. L’équipe du Salon de Saint-Just et la plupart des élus haut-viennois sont vent debout !
Annoncée en 2020 par le Président de la République, à l’occasion du cinquième anniversaire des attentats de Charlie Hebdo, la création de cette maison européenne du dessin de presse avait suscité une envie, une volonté et un consensus assez rare en Haute-Vienne.
Saint-Just-le-Martel, qui organise son salon international depuis plus de 40 ans, semblait aux yeux de beaucoup plus que légitime pour accueillir cette implantation. Des contraintes techniques avaient fait naître un « ticket » Limoges-Saint Just qui lui aussi semblait emporter l’unanimité, et qui était particulièrement avancé.
Mais la décision a tardé…
Des tergiversations, des tribunes, des prises de positions sont venues remettre en cause ce choix.
Et le président a tranché, faisant l'annonce officielle lors de ses vœux à la presse présidentielle.
« Ce sera à Paris, dans un bâtiment situé dans le VIème arrondissement, j’en fais l’annonce ici.
Je sais la déception de quelques villes de province qui étaient des candidats tout à fait sérieux et donc nous aurons des projets culturels de grande ampleur alternatifs. Mais tout concourt à ce que cette maison soit actée pour Paris.
Les travaux débuteront dès que possible avec la ville de Paris et la région Ile de France, et un budget de 2 millions d’euros sera inscrit au budget 2022 du ministère de la Culture.
Cette maison sera un lieu d’échange, de débat, de formation et d’exposition.
Etant basée à Paris, l’esprit du 11 janvier continuera de vivre ».
Des réactions de colère
Sans surprise, la plupart des réactions haut-viennoises trahissent la déception, l’incompréhension et la colère des acteurs concernés.
Ainsi Jean-Claude Leblois, le président (PS) du Conseil départemental, qui a le premier réagi dès l’annonce officieuse de ce lundi. Présent à l’espace Loup de Saint-Just-le-Martel ce mardi, il ne décolérait pas.
« Il y a de la déception, de l’incompréhension ! Pourquoi encore une fois un département, une localité, un territoire rural n’ont pas été retenus ?
C’est une non-reconnaissance du travail effectué par ceux qui sont à Saint-Just-le-Martel depuis près de 40 ans, c’est une méconnaissance de l’existence même de ce centre. L’histoire est née à Saint-Just-le-Martel, avec Gérard Vandenbroucke, auquel tout le monde pense aujourd’hui.
Je suis en colère, je suis déçu, je dénonce le désengagement de l’État.
C’est un fait du prince depuis le départ. ».
Autre bord politique, mais même colère, presque plus prononcée ( !), de Guillaume Guérin, président (LR) de Limoges Métropole.
« Mon premier sentiment, c’est d’être très peiné pour tous ces bénévoles qui depuis des années donnent de leur temps à Saint-Just-le-Martel pour qu’on ait un rayonnement qui va bien au-delà du seul Limousin, de la seule Nouvelle Aquitaine, et même de la France.
Ensuite, j’ai une pensée pour Gérard Vandenbroucke, je suis bien content, si je puis dire, qu’il ne soit plus là pour voir cela !
Enfin, sur le cynisme de cette décision, c’est comme cela depuis des mois, depuis des années.
Tout le temps qu’on a perdu, en travail préparatoire, en visites, en rapports inutiles…
Il y avait, et c’est assez rare pour être souligné, un réel consensus, une envie, une volonté commune.
Mais « Jupiter » a décidé, c’est une décision personnelle, dont acte.
La décentralisation, à l’aménagement des territoires, il faut qu’ils arrêtent d’en parler.
C’est une gifle à tous les bénévoles, à tous les élus.
On prend une gifle, mais on ne s’appelle pas Jésus, on va s’en rappeler. ».
Le maire de Saint-Just-le-Martel, Joël Garestier, est lui aussi choqué.
« Je ne comprends pas et je suis très en colère du peu de reconnaissance du travail fait ici depuis plus de 40 ans. Les pouvoirs politiques font preuve de mépris envers la Province, ce parisianisme, j’en ai ras le bol ! ».
Même son de cloche chez Elisabeth Bénali-Léonard, vice-présidente du salon de Saint-Just-le-Martel.
« Il n’y a pas de colère, mais un très fort sentiment d’incompréhension et d’injustice ! Cette maison sera créée à Paris avec un contexte plus restreint que prévu, sur une surface de 1800m², qui est celle-là même que nous avons ici !
On parle d’accessibilité ? Mais la grotte de Lascaux est à plus de cinq heures de Paris, alors que nous sommes à trois heures, et à un quart d’heure de l’aéroport.
On parle de sécurité ? Mais nos partenaires sur le sujet, dont la Gendarmerie, nous disent que c’est beaucoup plus facile de sécuriser Saint-Just qu’un quartier de Paris ! ».
Des réactions plus modérées (en partie)
Émile-Roger Lombertie, le maire de Limoges, est lui plus en retenue.
« Mon sentiment est double : c’est une déception, c’est encore une fois une décision pour Paris, contre la Province, contre Limoges. Mais on aurait dû le faire avant, il ne fallait pas attendre. On aurait pu se battre plus, mais on partait de loin. » .
Un communiqué publié à 17h00 par la mairie tempère toutefois cette retenue, parlant de « méconnaissance », « d’incompréhension » et « d’injustice », soulignant également « le centralisme étatique ».
Des tentatives d'explications
Les députés de la majorité présidentielle de la Haute-Vienne ne cachent pas eux leur déception, mais ils s’efforcent d’expliquer la décision du Président de la République.
Pierre Venteau, député de la 2ème circonscription a réagi à l’Assemblée :
« Nous nous sommes beaucoup engagés, c’est une déception.
Il y a eu plusieurs projets, ils ont été analysés, il y en a eu des bons et des moins bons, et il y a un gagnant, ce n’est pas nous et c’est triste.
Depuis le décès de Gérard Vandenbroucke (NDLR le 15 février 2019), les liens avec le monde du dessin de presse s’étaient distendus, nous sommes aussi moins bons en termes de localisation. C’est une décision très objective. »
Très mobilisée depuis deux ans, la députée de la 1ère circonscription, celle de Saint-Just, Sophie Beaudouin-Hubière a eu une réaction analogue :
« C’est une immense déception, j’ai soutenu le projet auprès du Ministère de la Culture et de l’Elysée.
Mais il y a eu un fort lobbying de Maryse Wolinski, de dessinateurs comme Plantu, des éditeurs comme Glénat, et des patrons de presse qui ont donné leur avis.
Les voix les plus fortes se sont exprimées pour Paris.
Maintenant, tout n’est pas fini, il faut développer des partenariats.
La maison européenne du dessin de presse sera à Paris, mais les œuvres seront conservées à Amiens, et il faut maintenant travailler à des partenariats avec Saint-Just-le-Martel ».
La Région Nouvelle Aquitaine n'en démord pas
Alors qu'il s'était également impliqué dans le projet Limoges-Saint Just, Alain Rousset, le président de la région Nouvelle Aquitaine, à peine l'annonce d'Emmanuel Macron faîte, a publié un communiqué, annonçant que cette décision ne remettait pas en cause le projet localement initié :
Suite à l’annonce par le président de la République, Emmanuel Macron, du choix de Paris pour accueillir la Maison du dessin de presse et du dessin satirique, Alain Rousset, président du Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine, prend acte de cette décision et réaffirme sa volonté de transformer l’ancienne usine Jidé à Limoges, dont la Région est propriétaire, en un pôle culturel régional vivant, festif, fédérateur et humaniste.
La caricature et le dessin de presse méritent d’être défendus, encouragés, valorisés et promus. Cela a été le combat quotidien de Gérard Vandenbroucke, président-fondateur du « Salon international de la caricature, du dessin de presse et d’humour ». Le Salon international est ainsi devenu une référence incontournable pour les dessinateurs du monde entier. Depuis 40 ans, il fait la promotion du dessin de presse et du dessin satirique, défend les libertés d’expression et de création des auteurs/dessinateurs, jusqu’à sa présence à l’ONU en 2006.
Aussi, la Région Nouvelle-Aquitaine, qui militait activement pour une candidature s’appuyant sur les installations existantes de Saint-Just-le-Martel, et la création d’un lieu complémentaire à Limoges, avec la proposition de mise à disposition et la réhabilitation du bâtiment Jidé, va poursuivre le travail mené depuis deux ans avec les partenaires publics, les collectivités de la Haute-Vienne et la DRAC Nouvelle-Aquitaine.
« Le site de Jidé accueillera donc bel et bien un pôle culturel axé sur la création et l’image, comme je m’y étais engagé, et ce projet sera inscrit dans le Contrat de plan Etat-Région », insiste Alain Rousset. « Le dessin de presse y aura évidemment toute sa place, avec des espaces d’expositions, de médiations, de résidences artistiques, et de réserves qui bénéficieront également de la compétence et de l’expertise du Frac-Artothèque pour la conservation du fonds. Les antennes de nos agences culturelles ont vocation à s’y installer. Nous proposons aussi d’intégrer la Cinémathèque de Nouvelle-Aquitaine, dont le développement nécessite l’installation dans de nouveaux locaux, le festival Les Francophonies – des écritures à la scène, qui recherche des espaces de création et de résidence, et de réaffirmer le lien avec la jeunesse et les étudiants en associant à ce projet l’Université de Limoges ».