Si la publicité des débats est la règle devant la cour d’assises, le huis clos est souvent demandé dans les affaires de viol, par protection pour les victimes. Ce n’est pas le cas de ce procès qui juge à Limoges, entre le 21 et 23 juin 2021, un homme de 39 ans.
Il n’y a pas de session d’assises sans qu’un viol ou des agressions sexuelles aggravées ne soient jugées. Mais si la publicité des débats est la règle devant la Cour d’Assises, le huis clos est souvent demandé dans ces affaires, par protection pour les victimes. Ce n’est pas le cas de ce procès qui juge jusqu’à mercredi un homme de 39 ans.
Elle va sur ses 31 ans, en paraît dix de moins. Mais sa force s’entend à sa voix. Une force qu’elle puise dans la conscience que ce qui lui arrive, pourrait arriver à d’autres jeunes femmes comme elle. Alors elle a choisi de ne pas faire valoir son droit au huis clos, cette possibilité donnée par la loi à toute victime de viol, tortures et actes de barbarie accompagnés d’agressions sexuelles, de fermer la salle au public, les débats restant dans l’intimité des échanges entre les parties au procès.
"Courage et détermination"
Ces deux mots, c’est l’avocat de la jeune femme qui les emploie pour qualifier la position de sa cliente. Maitre Nicolas N’Guyen souligne qu’il a attiré l’attention de la jeune femme sur les détails scabreux, intimes qui seraient abordés pendant ce procès. Un récit qui lui ferait, une fois encore, revivre l’agression. Que le huis clos est un droit absolu pour la victime, que même la défense ne peut refuser. "Elle m’a répondu dans mon cabinet : 'Ce que j’ai subi, pour rien au monde je ne le souhaiterais à une personne, même ma pire ennemie, alors il faut en parler'. Quand elle en a parlé à sa maman, elle s’est effondrée. Ses amis, ses amies se sont effondrés. Alors il fallait une personne forte. C’est elle."
Constante dans ses déclarations, elle a expliqué que ce soir-là elle a passé sa soirée dans un premier bar tenu par un ami, puis un second avec un autre ami. "Mais elle est à pied, elle ne conduira pas, c’est son droit !" rappelle l’Avocat de Mathilde M.
Et c’est quand elle décide de rentrer chez elle qu’un homme l’aborde. Il lui propose du cannabis, elle se dit pourquoi pas, elle en consomme à l’occasion. L’homme lui dit où en trouver et lui propose de continuer la soirée avec des amis qui font un barbecue sur les bords de Vienne à Limoges. Il y a la drague lourde, en marchant, qu’elle repousse. Et quand elle approche des bords de Vienne, elle sent que c’est une situation de danger. Mais au moment où elle fait demi-tour, il l’agresse violemment. Des gifles, des coups de poing. Un visage qui sera si tuméfié qu’il en sera méconnaissable, des dents en moins. Et face à sa résistance, viennent les menaces. "Il disait qu’il allait me jeter dans la Vienne".
"Aujourd’hui je n’ai pas trop de difficultés à en parler sans craquer. Et je me dis que cette possibilité, je dois l’utiliser pour dire aux jeunes femmes qui subissent un tel traumatisme qu’elles ne doivent éprouver ni honte ni culpabilité, la honte est sur ces hommes violents. On sait tous que ça peut arriver, mais on se met ça dans un coin de la tête sinon on s’arrête de vivre. Je dis pas qu’il faut arrêter de sortir, que ça peut arriver n’importe quand parce que ce n’est pas vrai… il faut juste se rappeler que ça peut arriver et que dans tous les cas, ce n’est pas la faute de la victime", fait savoir la jeune femme.
Dans sa plaidoirie, son Avocat, Maître Nicolas N’Guyen, souligne que sa cliente fait partie des 10% des victimes qui déposent plainte. 10% des femmes qui permettent à des enquêteurs de police de rechercher et d’interpeler leur agresseur.
"Je salue aussi les réactions de son petit groupe d’amis et amies qui sont là aujourd’hui dans la salle pour la soutenir, qui ont voulu retourner sur les lieux à la recherche de quelque chose qui pourrait être une preuve et qui l’ont conduite aux urgences pour qu’elle reçoive des soins" tient à préciser l’avocat de la victime, pointant l’importance de l’entourage dans ces situations.
"Je ne me souviens pas vraiment"
Dans le box, un homme de 39 ans, de nationalité tunisienne, père de trois enfants. Salarié pendant dix ans dans la pizzéria de son père à Limoges avant d’être licencié économiquement.
Interrogé sur les faits, il répond : "J’avais bu, j’avais consommé des stupéfiants, je ne me souviens plus précisément de ce qui s’est passé." Et la Présidente de reprendre ses déclarations lors de la garde à vue
-Vous avez signalé que pour vous, si elle était en short et seule à cette heure-là c’est qu’elle serait d’accord… "
-Je ne sais pas pourquoi j’ai dit ça, je regrette ce qui s’est passé, je n’aurais pas dû ,répond l’accusé.
C’est à la lumière des témoignages ou dépositions d’une première petite amie, 14-15 ans quand il en avait 21, puis de sa femme mère de ses trois enfants, puis encore de la compagne qu’il a eue lorsqu’il s’est séparé de sa femme, que l’on découvre le profil de cet homme. Toutes parlent d’un homme jaloux et surtout de violences, physiques, psychiques et sexuelles lorsqu’elles réalisent qu’on peut parler de viol même au sein d’une relation suivie. Sa dernière compagne pendant 18 mois en revanche vient à la barre dire qu’elle est tombée de haut lorsqu’elle a appris ce qui lui était reproché. "Je sais qu’il peut exprimer une violence réactionnelle, si on lui parle de ses enfants par exemple puisque c’est une vraie douleur pour lui de ne pas voir ses trois enfants. Mais avec moi, il n’a jamais été violent ni tenté de l’être. Je le savais paumé mais je le suis aussi, ce serait quelqu’un de bien s’il avait eu une vie normale et équilibrée" dépose à la barre Myriam M.
Mais cette vie-là, il ne l’a pas eue vraiment. Enfant, il subit les violences de son père, avec notamment un nez cassé à 5 ans. Garçon d’une fratrie de 10 enfants, il est aussi confronté aux scènes de violences sur sa mère. A 8 ans, c’est un voisin ouvrier agricole qui abuse de lui à deux reprises. Puis vient le mariage arrangé dans la pure tradition tunisienne.
Pourtant, lorsqu’il rencontre l’expert-psychologue, il n’aborde pas vraiment son enfance avec lui. Lorsque la violence est habituelle, avance l’expert, elle devient la norme. On attache de l’importance à ce qui est exceptionnel, pas à ce qui normal poursuit-il.
Mais imposer une relation sexuelle par violences, menaces, surprise, est un crime poursuivi par une cour d’assises. Alors la Présidente s’attache à savoir on peut casser le schéma qui pour un homme consiste à ne pas entendre le "NON" qu’une femme peut lui opposer. Sans doute pour évaluer le risque de récidive après une sortie de prison s’il est condamné. Mais l’expert-psychiatre s’attache à la personnalisation, au cas par cas. Selon qu’il y a une position de déni, ou de mensonge, ou de construction psychique.
L’Avocat de la partie civile a plaidé en fin de journée. Demain, 23 juin 2021, place au réquisitoire de l’Avocat général. Suivra la plaidoirie au soutien de l’accusé. Verdict en fin d’après-midi.