"Beaucoup pensent qu’on fait du gardiennage. Mais c’est bien plus que ça" : paroles d'auxiliaires de puériculture

Nous avons joué la petite souris en nous glissant une journée entière à la crèche de Beaubreuil, l'une des plus grosses de la ville de Limoges. Une immersion pour comprendre le fonctionnement et l'organisation de l'établissement, mais aussi pour échanger avec certaines des 28 professionnelles de cette crèche, sur ce métier prenant, passionnant, mais aussi difficile parfois...

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7 h 30 : une question cruciale

Une question cruciale amorce la journée au moment où la crèche ouvre ses portes : Soan, qui avait oublié son pingouin la veille, a t-il bien pris tous ses doudous aujourd’hui ? L’accueil des enfants est bien sûr un temps fort : c’est le temps des « transmissions », autrement dit l’échange d’informations entre les auxiliaires de puéricultures et les parents. Julie, en charge des « grands », demande comment se sont passées la nuit et la matinée auprès de parents plus ou moins pressés.

Parfois ça se passe très bien : à peine arrivée, la petite Léna, 2 ans et demie, disserte sur les Avengers et les crottes de chien. Parfois, entre pleurs et bouderies, c’est plus compliqué : Isis, les bras remplis de peluches, refuse catégoriquement d’en laisser une partie dans son casier. La négociation entre elle et les adultes tourne en sa faveur.

Le petit Holsaint accroché à ses bras, Julie, l’auxiliaire de puériculture, ne regrette pas son choix d’avoir quitté le service de néo-natalité de l’HME (Hôpital Mère-Enfant) après 10 ans passés dans le secteur hospitalier.

« Le travail en crèche est très intéressant, on est plus investis dans la relation qui se noue avec les enfants, et même avec les parents. »

Julie Andreault, auxiliaire de puériculture

La jeune mère célibataire de deux enfants détaille un peu et fustige les stéréotypes qui collent parfois à son métier : « Certains personnes ont une mauvaise image de notre rôle : ils pensent qu’on reste assises toute la journée, et qu’on ne fait rien. Mais en fait, il y a quand même de l’éducation, de l’apprentissage, celui de la vie en groupe notamment, les relations sociales avec les autres enfants, avec les adultes. Par exemple, nous avec les grands (2-3 ans, ndlr), on travaille sur les repères dans le temps, la construction de la journée, mais aussi se situer dans l’espace… Pour bien inculquer tout ça, il faut des professionnels qualifiés, qui ont des connaissances. »

 

9 heures : un tour en cuisine

Je pousse la porte à hublot de la cuisine. Isabelle, la cuisinière, actionne un gros presse-purée pour son plus grand plaisir. « J’ai travaillé pendant presque 30 ans en restauration scolaire, et je ne cuisinais pas dans les mêmes proportions. Ici, c’est un peu une cuisine à l’ancienne, là ça fera une bonne purée maison. C’est plus familial ». L’agente, secondée par une autre Isabel, doit, tout de même, préparer 69 repas pour les 69 enfants accueillis dans cette crèche. Et il faut s’adapter à tous, des bébés aux enfants de 3 ans, en respectant les grammages précis déterminés pour chaque âge et les menus établis par la diététicienne. Surtout, les cuisinières font preuve d’une vigilance de chaque instant sur l’hygiène, les températures de cuisson, et la chaîne du froid. Relevés au thermomètre fait, le repas est presque terminé : les papilles en herbes pourront déguster un hachis parmentier et une compote de fruits.

 

10 heures : ça déménage...

Dix heures. Sophie Armenio, est en plein déménagement : elle transporte de petites barrières et devra, quelques minutes plus tard, se servir d’une visseuse pour la première fois de sa vie : « C’est ce que j’aime dans ce métier : aucune journée ne se ressemble. » rit-elle. La jeune femme est l’une des trois éducatrices jeunes enfants (EJE) de l’établissement. Leur rôle est de garantir la mise en place du projet pédagogique de la structure. Comme dans les 11 autres crèches municipales de la ville de Limoges, l’équipe encadrante s’appuie sur la pédagogie « Loczi » et sur ses principaux axes : la référence, principe qui attribue une auxiliaire référente pour chaque enfant pendant ses trois années de crèche, afin de créer un lien de confiance et un repère forts pour l’enfant et ses parents ; la motricité libre, dont le principe est de laisser l’enfant acquérir seul son développement moteur (on n’assoit pas un bébé tant qu’il ne sait pas s’asseoir seul) ; les activités autonomes, la verbalisation, et l’instauration de rituels forts, très rassurants pour les tout-petits.

Les éducatrices sont donc constamment en lien avec les 4 sections de la crèche, et les équipes.

 

« C’est ce qui me plaît : on a à la fois la proximité directe avec les enfants, et il y a cette partie de développement et d’impulsion de projets. »

Sophie Armenio, éducatrice jeunes enfants

Ce jour-là, conformément à ce qui a été décidé en réunion la veille, Sophie aménage un espace « privilégié » dans la salle des moyens-grands (section d’âges mélangés entre 20 mois et 3 ans) : derrière les petites cloisons, une table et deux chaises où pourront prendre place deux petits pour faire des puzzles ou des jeux d’empilement en autonomie. « L’idée est d’avoir un espace pour exercer leur motricité fine, sans que les enfants soient dérangés par des plus jeunes, qui ont tendance à tout faire valdinguer. »

10 h 30 : activités manuelles

La grande feuille blanche n’attend plus qu’un chef-d’œuvre. L’activité dessin, pour ceux qui ont envie de jouer les Picasso en herbe, est lancée chez les moyens-grands. Dans un coin de la salle, une pince à attraper. Un objet devenu indispensable à Isabelle, 30 ans de métier en tant qu’auxiliaire. Elle s’en sert pour ramasser les objets, car elle souffre à un genou, depuis longtemps.

 

« C’est vrai qu’en vieillissant, ça devient de plus en plus dur. Physiquement et psychologiquement. J’ai mon problème au genou, et je sens que je suis moins tolérante quand ils crient. »

Isabelle, auxiliaire de puériculture depuis 30 ans 

Elle poursuit : « La retraite à 64 ans, ça me fait très peur, je suis sûre que je ne pourrais pas y arriver. Ça veut dire que je serais sûrement en arrêt maladie, et ça risque de mettre le reste de l’équipe en difficulté. L’an dernier, nous avons une collègue qui est partie à la retraite. Elle a 62 ans et elle était physiquement cassée. »

 

11 heures : l'heure du biberon

La section des bébés est très calme, on m’avait pourtant promis, qu’à cet horaire, les pleurs, voire les hurlements au moment où l’heure du repas approche, animent la section. Mais quand j’entre dans la pièce bariolée, molletonnée de tapis en tous genres, et jonchée de hochets, la plupart des nourrissons dorment. Les professionnels en profitent pour échanger : « La maman de Jeanne a apporté des nouvelles tétines pour son biberon… Aliya a une bronchite… Ibrahim passe de meilleures nuits en ce moment… »

Chez les bébés, la chronologie de la journée n’est pas complètement établie, les jours se suivent mais ne se ressemblent pas. Le mot d’ordre : s’adapter. Chaque petit a des besoins différents : Houria ne s’endort que dans le bruit de la salle principale, quand Isaure a besoin d’une chambre particulière.

 

Ici, elles sont trois auxiliaires et une adjointe technique pour s’occuper des 16 bébés de 4 à 16 mois qui sont accueillis dans la section, soit environ 1 professionnel pour 5 bébés, comme le veut la loi. Mais depuis un décret publié en août 2021, ce nombre peut se porter à 6. L’une des professionnels de la crèche de Beaubreuil confie : « On sent que depuis quelques années, il y a une pression pour faire du remplissage. Le top, c’est 4 bébés. 5, c’est bien. 6, je ne sais pas comment c’est possible. »

12 heures : au lit ! 

Les grands viennent de terminer leur plateau repas. Ils prennent chacun un gant de toilette, et se débarbouillent eux-mêmes devant de petits miroirs. « Ils adorent ça, ils sont en pleine autonomie » sourie Michèle, une auxiliaire.

En belle file indienne, le petit groupe avance joyeusement vers leur salle aménagée en dortoir. Basile, 3 ans, attrape Papoum, son éléphant, dans sa panière et se glisse dans son drap, Julie l’auxiliaire de puériculture, enclenche quelques notes de Vivaldi sur un petit poste radio, et la petite Nelya réclame la main de Valérie pour s’endormir paisiblement…

Les bout de choux lovés dans les bras de Morphée, j’aborde un sujet sensible avec des membres du personnel de l’établissement : face aux difficultés de recrutement que le secteur connait – la CAF estime qu’il manque 10 000 professionnels en France, dans les établissements d’accueil du jeune enfant - un arrêté gouvernemental permet depuis le 4 août dernier d’embaucher, sous certaines conditions, des personnes non diplômées. Pour Michèle : « C’est scandaleux ! » L’auxiliaire de puériculture de 57 ans détaille : « Aujourd’hui, tu travailles pas bien à l’école, on te dit : 'C’est pas grave, tu vas t’occuper des enfants'. Alors que c’est un métier de passion, de conviction, et d’engagement. On s’imagine que c’est à la portée de n’importe qui. Pourtant, c’est une grosse responsabilité de s’occuper des enfants des autres. » L’une de ses collègues abonde : « Notre travail n’est pas reconnu, beaucoup pensent qu’on fait du gardiennage. Mais c’est bien plus que ça : on accompagne la parentalité. On passe parfois plus de temps avec les petits que leurs parents dans une semaine. Sans le diplôme, on ne peut pas bien accompagner les enfants. Même avec la formation, c’est parfois pas facile, alors sans… »

 

14 h 30 : tous dehors !

On sort ! La plupart des enfants sont réveillés, l’air est doux, le soleil pointe, tout le monde s’agite dans le jardin qui ceinture l’établissement. Chez les moyens (15 mois-2 ans), ce n’est pas triste. « À leur âge, on les surnomme 'Les déménageurs'. C’est la phase du Non, de la recherche des limites. » explique Marie-Claire. Avec leurs démarches pas toujours assurées, et leurs bonnes joues à croquer, les uns et les autres se ruent sur les draisiennes, les ballons, les cerceaux. Par ici, on creuse dans la terre, par là, on s’accroche à un arbre.

Pour les professionnelles, c’est l’occasion parfaite pour mesurer les progrès moteurs de chaque enfant. Et puis aussi, pourquoi pas, de profiter des câlins offerts par les petits. Car malgré les difficultés de leur métier, toutes parlent du plaisir qu'elles ont à travailler au contact des enfants, de passion même parfois.

 

«  J’ai toujours voulu faire ça. Je pense que je l’ai décidé quand j’avais 9 ans. C’est un métier qui doit venir d’une vocation : il faut de la patience, de l’écoute. »

Isabelle, auxiliaire de puériculture 

« J’adore mon métier passionnément. Prendre 10 minutes à observer un enfant, c’est intéressant. Les gens disent « On s’amuse », oui on s’amuse, mais tout amusement a un sens. (…) On débauche, on a les cheveux comme ça (dans tous les sens, ndlr), mais le lendemain matin, on est contentes de les voir. »

Michèle Lapeyre, auxiliaire de puériculture

16h30 : dans les bras de Maman

Elle en a les larmes aux yeux : la maman de Stella, 7 mois, est gratifiée d’un énorme câlin à son arrivée. C’est le moment des joyeuses retrouvailles entre mère et fille. Chaque fait et geste de cette jolie bouille est consigné dans le cahier de transmission.

Coralie, sa référente, raconte : « La journée s’est très bien passée, elle a mangé un quignon de pain, elle gère très bien. 35 minutes de dodo, ce matin, une heure cet après-midi. C’était une super journée »

Oui, entre les échanges avec des professionnelles passionnées, dévouées et bienveillantes et le temps passé auprès des tout-petits tantôt facétieux, tantôt attendrissants et toujours amusants, c’était vraiment une super journée…

 

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