"C'est encore pire que ce que je pensais!": le bâtonnier exerce pour la première fois son droit de visite à la prison de Limoges

C'est une nouveauté, depuis début 2022, les bâtonniers ont le droit de visiter les prisons. Ce jeudi 22 décembre, Bertrand Villette s'est présenté de manière inopinée à la prison de Limoges. Profondément choqué, le bâtonnier livre sa réaction à chaud.

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Il est 9h ce jeudi 22 décembre quand le bâtonnier se présente, avec maître Juliette Magne-Gandois pour l'assister, aux portes de la prison de Limoges. Une visite inopinée mais préparée longtemps à l'avance. 

"Je ne m'attendais pas à une situation dégradée à ce point". Bertrand Villette semble encore ébranlé. La vétusté de la prison de Limoges n'est pas vraiment un scoop. Les avocats entendent régulièrement des récits glaçants de leurs clients. Mais entendre et voir, ce n'est pas la même chose. Sa réaction, à chaud, à cette expérience sensorielle est symptomatique. 

"On nous a très bien accueillis et en même temps nous avons pris garde au fait de ne pas être pris en charge. C'est nous qui avons donné le tempo de la visite en indiquant les lieux où nous voulions aller, les cellules dans lesquelles nous voulions entrer". 

Et ce qu'ils découvrent les laissent sans voix. 

3 détenus dans 9 m²

La prison de Limoges date de 1853 et elle est restée dans son jus. Elle souffre essentiellement de deux maux : la vétusté et la surpopulation. Il y a théoriquement 58 places. Il y a plus d'une centaine de prisonniers. Désabusés, les surveillants ont arrêté de compter se désole une représentante syndicale.  

"Ça peut sembler un détail mais les portes d'accès aux cellules font 1,70 mètre, il faut se courber pour entrer. Dans une cellule, les vitres, en simple vitrage tombent. L'humidité est très présente, il y a du salpêtre et une constante impression de froid. Les détenus sont fréquemment entassés à 3 dans 9 mètres carrés. Deux lits superposés, un matelas au sol. Ne subsiste plus qu'un tout petit couloir pour se mouvoir. Pas de quoi tenir debout. Les détenus sont allongés toute la journée. Heureusement qu'il y a une télé au mur. Les toilettes ne présentent aucune intimité. Les portes battantes ne permettant pas de s’asseoir ont été enlevées. La seule armoire est à peine suffisante pour un détenu. Comme ils sont trois, il y a donc un bazar sans nom" constate Betrand Villette.

Paradoxe, certaines cellules ne comptent qu'un prisonnier, quand d'autres sont surpeuplées. La prison accueille en effet des personnes qui, selon le bâtonnier, relèveraient plus de l'hôpital psychiatrique. Des profils particuliers qu'il faut isoler car il seraient dangereux pour des codétenus. 

Des détenus qui relèvent de l'hôpital psychiatrique en prison ?

Un constat corroboré par Fatima Benyoussa, syndicaliste des personnels pénitentiaires. 

"Les profils psy, c'est le gros problème du moment. On en a de plus en plus. Nous ne sommes pas médecins mais nous voyons bien que certains détenus sont sous médication, qu'ils parlent tout seul. Ils sont dangereux pour eux et pour les autres. Le fait de devoir les isoler nous contraint à un casse-tête insoluble pour loger tout le monde. C'est également un gros surcroît de travail. Travail qui n'est pas le nôtre. Mais il bien certain que pour l'Etat, c'est moins coûteux de mettre un profil psy en prison dont la prise en charge revient à 120 euros par jour que dans un hôpital psychiatrique où c'est autrement plus coûteux". 

Des profils psychiatriques que l'on rencontre aussi dans le quartier disciplinaire.

"La quartier d'isolement, c'est un mauvais film. Le prisonnier est enfermé derrière une grille comme un animal, il n'y a presque pas de lumière du jour" confie, horrifié, Bertrand Villette. "Celui que nous avons pu voir est là depuis 30 jours. L'odeur est pestilentielle. Il refuse de se laver et n'a vraisemblablement pas toute sa tête. Le souci, c'est qu'il n'est pas possible de le sortir car il est trop dangereux". 

Point positif : l'accompagnement médical

"L'unité médicale de la prison nous a bluffé" confie le bâtonnier. Deux médecins généralistes se relaient pour assurer le suivi des prisonniers. Il y a un cabinet dentaire et ophtalmologique avec du matériel de l'hôpital. Si le reste de la région est un désert médical, ce n'est pas le cas en prison. 

Visite du bâtonnier en prison : une nouveauté

Cette visite inopinée a été rendue possible par une disposition de la loi de confiance de l'institution judiciaire adoptée en 2021 et rentrée en application début 2022. Une loi qui étend aux bâtonniers la possibilité de visiter un lieu de privation de liberté. Avant les années 2000, seule l'administration avait accès à ces lieux (procureur, préfet, contrôleurs et inspecteurs) pour des auto-évaluations. Le 15 juin 2000, la loi de renforcement de la présomption d’innocence autorisait les parlementaires à faire des visites inopinées. En 2009, cette autorisation était étendue aux parlementaires européens. En 2015, une disposition permettait aux parlementaires d'être accompagnés de journalistes. 

Depuis le 1er janvier, l'article 719 du code de procédure pénale étend donc ce droit aux bâtonniers. Droit qu'il revendiquaient de longue date. Eux n'ont en revanche pas la possibilité d'être accompagnés de journalistes et ne peuvent pas prendre de photos. Un guide a été spécialement édité pour leur permettre de bien préparer ces visites. 

Une petite révolution qui ne s'est pas faite sans quelques cafouillages. "Les premiers bâtonniers qui ont tenté l'expérience se sont fait refouler. Ils ne pouvaient justifier leur fonction. Nous avons été obligés d'éditer une carte professionnelle" explique Betrand Villette. 

Quelles suites ?

"L'idée n'est pas d'accabler le personnel ou la direction qui font ce qu'ils peuvent et ont même beaucoup de mérite d'arriver à faire tourner l'établissement dans ces conditions", assure le bâtonnier. Malgré tout un rapport va être rédigé. En premier lieu, il va être diffusé à tous les avocats du barreau. L'idée étant qu'ils s'en emparent pour saisir le juge afin qu'il fasse constater des conditions indignes, incompatibles avec le respect des droits de l'homme, dans lesquelles sont détenus leurs clients. Le rapport va également être largement diffusé à l'administration et aux élus ainsi qu'à la conférence des bâtonniers qui compile les rapports de toute la France.

La finalité pour le bâtonnier serait de relancer l'idée de construction d'un bâtiment neuf. La prison actuelle est un gouffre financier très coûteux à rénover. L'accueil des prisonniers dans le respect des droits de l'homme ne pourrait se faire que dans un bâtiment récent. 

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