C'est une réalité plutôt méconnue : certains agriculteurs mènent plusieurs activités professionnelles en parallèle de leur principal métier. Les uns veulent un moyen de sécuriser des revenus, les autres souhaitent tout simplement vivre de leurs passions diverses. C'est ce que l'on appelle la double activité.
Installé dans son studio de radio, la voix clairement dirigée vers son micro, Sébastien Péjou énonce les actualités du matin sur les ondes du Limousin. Son journal quotidien est diffusé sur une dizaine d'antennes associatives de la région. Ce journaliste diplômé, titulaire d'un master en droit européen, est également président d'une troupe de théâtre, et a même trouvé le temps pour se faire élire au conseil municipal de sa commune, Magnac-Bourg, en Haute-Vienne. "Je ne vais pas cacher que parfois, certaines journées sont un peu tendues. Dans aucune des activités, je ne suis tout seul !"
Voilà un emploi du temps assez chargé, pensez-vous ? C'est ignorer un petit détail : Sébastien est agriculteur. Éleveur bovin, plus précisément. À le voir déambuler sur les vingt-trois hectares de sa ferme familiale, flanqué de ses vaches, l'image du présentateur radio s'évapore. "Je suis paysan de père en fils, et de grand-père en petit-fils, et d'arrière-grand-père en arrière-petit-fils, s'amuse-t-il. Je pense que c'est dans les gènes. On est attaché à son territoire, à sa racine, à ses traditions. Quand on a été élevé avec de l'espace, avec la nature, c'est compliqué de rester enfermé."
En Limousin, 18% des agriculteurs exercent plusieurs activités
En Limousin, 2180 chefs d’exploitation exercent deux ou plusieurs métiers. Cette réalité, plutôt méconnue du grand public, concerne 18% des agriculteurs locaux. À quelques kilomètres de Sébastien, à Meuzac, Frédéric Lascaud est lui aussi ce que l'on appelle un "double actif". Éleveur bovin, responsable de la Confédération paysanne, il est également... professeur de mathématiques ! Formateur depuis trente ans à l'Afpa, il œuvre essentiellement en télétravail. "Ce n'est pas embêtant dans notre métier d'agriculteur, assure-t-il. Cela permet de s'ouvrir l'esprit, d'éviter cet isolement, comme beaucoup d'agriculteurs qui sont tout seuls. Là, au moins, je rencontre du monde et je discute."
Ce n'est pas embêtant dans notre métier d'agriculteur. Cela permet de s'ouvrir l'esprit, d'éviter cet isolement, comme beaucoup d'agriculteurs qui sont tout seuls. Là, au moins, je rencontre du monde et je discute.
Frédéric Lascaud, éleveur et prof de maths à distanceFrance 3 Limousin
Pour Frédéric, la ferme constitue une affaire de famille depuis le XVIIe siècle ! Pourtant, ses proches lui prévoyaient un autre destin. "Pour mes parents, ce n'était pas l'idéal que je reprenne, raconte-t-il. C'est pour cela que je suis parti faire des études. Puis finalement, on n'est pas si mal." Il ajoute, en contemplant ses champs : "On a un bureau magnifique, ici. Le plaisir de la reprendre a été plus fort que tout."
Tous les agriculteurs concernés par la "double activité" cotisent à la MSA, la Mutualité sociale agricole, en vue de la retraite. Pour les cas comme Sébastien Péjou, dont les revenus proviennent à 80% du journalisme, les indemnités en cas d'arrêt de travail sont néanmoins versées par la caisse primaire d'assurance maladie. Toutes ces considérations matérielles peuvent compliquer le quotidien. La passion de l'agriculture prend tout de même le dessus : "C'est le hasard qui a fait quasiment tout, retrace Frédéric Lascaud. Mais avec aucun regret et avec le plaisir de voir aussi les enfants épanouis, de passer cette génération et donner une chance à la génération future." La preuve : à dix-sept ans, Marie, sa fille, a prévu d’être elle aussi "double active" : éleveuse de chèvres et... sage-femme.