Coronavirus : "On a apprivoisé tout ça, mais s’occuper de patients Covid c’est du stress, on le vit au jour le jour"

Christophe Grand est infirmier anesthésiste, volontaire dans une unité dédiée aux patients gravement atteints du coronavirus au CHU de Limoges. Il témoigne d'un quotidien bouleversé par la crise sanitaire.
 


Depuis quatre semaines, il alterne : Deux jours de repos et deux jours dans un secteur pour patients Covid-19.

Christophe Grand, infirmier anesthésiste, travaille comme ses collègues sur 12h d’affilée avec, en plus, les temps de transmissions entre les équipes et les temps pour se préparer à ressortir et rentrer chez soi, prendre la douche et changer de vêtements.
 

Une question de discipline

Travailler dans un service dédié aux patients gravement atteints du Covid-19, c’est se plier, chaque jour, à une discipline stricte. Il faut porter le masque - le chirurgical, évidemment - et un autre masque - les fameux FFP2 - pour des soins particuliers, et puis il y a la blouse, la surblouse, et un tablier jetable imperméable, la charlotte pour les cheveux, la visière ou des lunettes pour les yeux.

Au bloc, on a l’habitude de s’habiller de manière spécifique pour entrer dans un environnement stérile, mais là c’est plus lourd et plus contraignant encore. Il a fallu s’adapter à ces protections et puis il fallu s’adapter à des équipements, s’approprier des matériels. Les machines sont très présentes, il faut savoir avoir les bons gestes pour les manipuler.
 


Nous avons été formés avant d’ouvrir le service. Amandine, une infirmière gestionnaire du service de réanimation, le « vrai », celui qui était en place avant la crise, est venue nous donner des conseils, nous épauler. Moi comme mes collègues, notre objectif a été de calquer notre organisation sur celle de la réa. C’était un stress au départ pour être opérationnel. La réanimation est un service très pointu, avec des protocoles précis et des difficultés particulières.


Un nouveau service dédié au Covid 19


La semaine du 17 mars 2020, comme partout ailleurs, le CHU de Limoges se prépare. Il faut vider les services, se préparer à accueillir des malades du coronavirus. Combien ? C’est évidemment toute l’inconnue.

Le CHU de Limoges dispose d’un service de réanimation, situé au premier sous-sol du bâtiment Dupuytren 1. Il possède quartorze places dédiées au Covid, elles vont passer à ving-trois. Mais pour faire face à la crise sanitaire, à un afflux de patients, il est décidé de monter un second service de réanimation dans l’hôpital.

Au troisième étage, il y a de place, la « CTCV » (chirurgie thoracique et cardio-vasculaire) a déménagé ses soins intensifs dans le nouveau bâtiment, Dupuytren 2. C’est dans cet espace laissé vacant, dans les ailes C et D, qu’un service de prise en charge des patients gravement atteints du Covid-19 va s’installer.

C’est tout l’hôpital qui s’est mis au boulot, en quelques jours : les médecins, les cadres de pharma, l’informatique et les autres... Tout l’espace a été réhabilité pour le transformer en service opérationnel. Il y a deux secteurs pour 10 malades, 20 lits au total pour les patients qui ont besoin d’assistance respiratoire, et puis un autre espace pour les patients en réanimation avec 9 lits.

Au niveau des infirmiers, il y a des infirmières de réa qui sont montées avec nous, des infirmiers de bloc, des infirmiers anesthésistes de bloc comme moi et également des élèves infirmiers anesthésistes qui étaient déjà en formation chez nous.

Nous sommes tous des volontaires. La direction, avant l’annonce du confinement, a organisé une formation pour qu’on soit prêt dès les premiers patients. On a l’habitude des soins intensifs, mais c’est très spécifique, avec des gestes qu’on ne pratique pas au quotidien. Moi, au bloc, ce ne sont pas des choses dont j’avais l’habitude. 


Tenir sur la durée


Au départ, les équipes avaient été formées pour pouvoir effectuer un roulement au bout d’un mois. Finalement, au bout de quatre semaines intenses, les équipes en place ont choisi de rester à leur poste un mois de plus.

Avec la prolongation d’un mois du confinement, on s’est dit, finalement, que ce serait peut-être mieux comme ça. On a pris une sorte de rythme. Pour assurer nos roulements sur 48h, on est huit équipes. On a calqué notre planning sur les hôpitaux dans l’Est qui ont été confrontés à un très grand nombre de patients. Comme on a certaines habitudes, certains réflexes maintenant, et puis qu’on peut assurer parce que nous ne sommes pas submergés, on a choisi de continuer. Cela reste fatiguant et éprouvant. Alors si certains veulent faire une pause, c’est normal, on sait que d’autres peuvent nous remplacer. Parce ce qu’il faut aussi prendre en compte l’aspect personnel, la vie privée.

Pour moi, et pour tous je pense, il y a eu une sorte de psychose entre notre travail et la famille. Clairement, on se posait la question de la transmission à nos proches, on ne savait pas vers quoi on allait en travaillant dans des secteurs Covid. A la maison, même si ma compagne travaille aussi dans le paramédical, il y a une sorte de prise de distance, c’est instinctif presque, à la fois physique et psychologique. C’est du stress quand même, mais finalement on a apprivoisé tout ça.

 

Ces nouveaux gestes qui deviennent un rituel


Désormais, Christophe Grand, comme ses collègues, s’est forgé ses rituels pour passer de la maison à l’hôpital et inversement. Une fois sur place, l’emploi du temps est chargé et les gestes du quotidien, les gestes professionnels, guident les journées comme les nuits.

Les patients Covid demandent beaucoup de soins et ce qui me frappe le plus, c’est leur durée. Ils restent des jours, des semaines, hospitalisés. Cela dépend de l’état de chacun avant leur admission, mais c’est vraiment des soins au long cours. Même ceux qui ne sont pas en réa, c’est long. Certains ont des aides respiratoires à des niveaux très élevés, ce sont des litres d’air, avec des taux d’oxygène importants.  Et pour ceux qui sont intubés et ventilés, ils peuvent rester deux, trois semaines.
 

Il faut qu’on évite les complications, alors on surveille les points d’appui, on masse avec des huiles, pour ne pas avoir de problème de circulation ou des escarres par exemple liés à des alitements prolongés ou à la position assise. On s’organise pour grouper les soins avec, tous les matins, les toilettes, les soins d’hygiène et la prise des constantes (température, hémodynamique…). Il y a aussi les pansements éventuels.

Nous sommes aussi un lien avec les familles. Ce sont les médecins qui leur donnent les informations médicales, mais nous les avons aussi au téléphone, on les accompagne car évidemment, il n’y a aucune visite. J’essaie de transmettre ce que l’on vit, au jour le jour, sans mettre de filtre, car c’est sur le fil du rasoir. On peut avoir l’impression d’une amélioration, et puis ça rechute. C’est compliqué avec ce virus, je reste constamment sur mes gardes. Mais je suis content de faire tout ça et de le faire avec les autres, en équipe, on arrive de différents services, on ne se croisait pas vraiment avant, mais là on fait le boulot ensemble, nous sommes complémentaires. 


Être dans l'action


Pour le moment, Christophe n’arrive pas encore à savoir si son travail lui pèse, s’il le trouve difficile. Il explique se mettre en condition et ensuite, c’est le métier qui parle, et ses trente ans d’expérience. A l’avenir, comme d’autres, il se posera ces questions. Pour le moment, il est dans l’action.

Pour le moment, mon impression, c’est que notre région a pu éviter un afflux incontrôlé de patients, ça a été maitrisé, on a même pu prendre en charge des patients d’autres régions. Je crois que le confinement décrété alors que l’épidémie nous avait encore peu atteints a joué un rôle crucial, c’est mon espoir.
Après, pour la suite… Je ne sais pas. Il faut tous qu’on reste responsabilisés pour éviter les contaminations. Je crains un peu un relâchement. Il ne faudrait pas que cela arrive, avec les vacances scolaires et l’annonce d’une date de déconfinement. Moi, je reste encore dans une organisation au jour le jour.

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