En ce début d’année, les maires sont sous tension. D'ici au 15 avril, ils vont devoir boucler leur budget. Face à la crise énergétique et à l’inflation, avec des factures qui explosent, les élus locaux craignent de devoir réduire le service public, les investissements et augmenter les impôts. Face à cette situation, nombreux d’entre eux réclament plus de soutien de la part du gouvernement.
Faire des économies. Voilà où se trouve l’obsession des maires de France. Oui, mais par où débuter ? Selon un sondage IFOP, 82% des maires envisagent, ou ont déjà décidé, de réduire l'éclairage public ou de le couper une partie de la nuit. « Nous avons aussi décidé de baisser la température dans certains bâtiments de la collectivité, de la piscine. Pour l’éclairage, nous avions investi dans la led et le photovoltaïque. Il existe des leviers possibles pour faire moins de dépenses », explique Nicolas Patriarche, maire de Lons une commune de 14 000 habitants et située près de Pau.
Se regrouper
Équilibrer un budget avec des factures aux montants parfois multipliés par, quatre, six, ou huit, relève de l’exploit. Mais des pistes solidaires se dégagent. De nombreux maires ont recours aux groupements d'achat pour les collectivités afin d’obtenir des négociations sur le prix du kilowattheure. Si les petites communes sont plus fortes ensemble, les collectivités les plus petites – moins de 10 salariés et un budget de moins de 2 millions d’euros- sont protégées par le bouclier tarifaire qui réglemente le tarif de l’électricité comme pour les particuliers.
Aujourd’hui, 22 000 communes sur 35 000 sont donc protégées par le bouclier tarifaire sur l’énergie. Pour elles, l’augmentation sera limitée à 15% à partir du mois de février jusqu’au mois de juin. Les communes de plus de 10 salariés sont en revanche accompagnées par le « dispositif de l’amortisseur », détaille Stéphane Delautrette, député Haute-Vienne (PS-Nupes).
Un récent rapport pour le Sénat a évalué à 11 milliards d'euros le surcoût lié à la hausse des prix de l'énergie pour les collectivités. Insuffisant selon Stéphane Delautrette car « l’aide apportée par l’Etat se situe dans la limite de 50% du surcoût constaté alors qu’il reste, à notre sens, 50% à supporter (...) Les collectivités sont également impactées sur l’alimentation au scolaire, les achats ou l’augmentation du point d’indice des fonctionnaires. Cette augmentation, nous l’appelions tous de nos vœux, mais elle se traduit par des dépenses nouvelles sur les budgets à venir des collectivités ».
Mais parmi les autres pistes envisagées, il y a l’augmentation des impôts locaux. Selon un Sondage Ifop, 24% des maires pourraient s’y résoudre. Un crève-cœur pour les édiles. « Je n’ai jamais vu un maire augmenter par plaisir les impôts locaux. On est maire, mais aussi contribuable et aujourd’hui, on sait bien dans quelle situation sont les ménages (…) avec une gestion rigoureuse, certaines collectivités vont pouvoir passer ce cap sur une année ou deux mais qu’en sera-t-il après ? Aujourd’hui, on a des collègues contraintes d’augmenter les impôts locaux ? », interroge Philippe Barry, maire de Saint-Priest-sous-Aixe, une commune de 1700 habitants située en Haute-Vienne.
Réduire les dépenses consacrées à la voierie, renoncer à des recrutements de personnels et à certains investissements, augmenter les tarifs des services aux usagers constituent autant de perspectives peu réjouissantes pour cette année 2023. « Ce manque de visibilité que l’on peut avoir en tant qu’élu devient lourd à porter et même anxiogène », déplore Sébastien Larcher, maire de Couzeix en Haute-Vienne.
Alors, pour s'en sortir, 16 % des maires envisagent de fusionner avec une commune voisine. "Ce chiffre, jamais mesuré jusqu’à ce jour, est le signe de craintes sur la pérennité du tissu communal hexagonal", écrit l'Ifop. Par ailleurs, 12% des maires pourraient ne pas payer le surcoût à régler à leur fournisseur d'énergie.
Les maires et l’État
Face à ce contexte, les élus locaux sont, pour beaucoup, insatisfaits de la réponse apportée par le gouvernement. Et ils l’ont exprimé lors du Congrès des maires à la fin du mois de novembre à Paris. Car depuis un certain nombre d’années, l’on assiste à une baisse de la dotation globale de fonctionnement pour les communes. Cette baisse a commencé sous Nicolas Sarkozy, puis s’est accélérée sous François Hollande. Moins 11 milliards d’euros sur trois ans : 2015, 2016, 2017.
Quant à Emmanuel Macron, il annonçait dans son programme pour sa réélection une baisse de 10 milliards lors de son second quinquennat.
Finalement, en octobre dernier, la Première ministre Élisabeth Borne s’est engagée à augmenter de 110 millions d'euros la dotation globale de fonctionnement (DGF). Mais est-ce suffisant ? Pas vraiment selon Sébastien Larcher, maire de Couzeix : « Nous vivons une nationalisation des ressources communales. Demain, cela peut amener l’État à dire : ‘on vous a compensé la taxe d’habitation et maintenant, vous allez contribuer au redressement de la dette publique en enlevant 15% ou 20% de ce qui était donné pour compenser la suppression de la taxe d’habitation’. On voudrait tuer les communes, on ne s’y prendrait pas mieux ».
Face à effondrement de la proximité, les maires se tournent vers l’État pour demander l’extension des tarifs régulés de l’énergie à toutes les collectivités ou encore une contribution exceptionnelle sur les superprofits touchés par les entreprises grâce à la crise et qui serait reversée à la collectivité au sens large.
« Les 110 millions d'euros de la dotation globale de fonctionnement, c'est très bien, mais ce n’est pas suffisant, car certaines communes ne survivront pas ou ne pourront pas voter des budgets à l’équilibre », avertie Laetitia Calendreau, maire de St Brice sur Vienne, commune de 1 670 habitants
L’épuisement guette
À force d’être en première ligne face aux crises, certains maires jettent l’éponge, comme à Puymirol, près d’Agen, dans le Lot-et-Garonne. Élu depuis 2001, Jean-Louis Courreau va démissionner de son mandat après 23 ans d’implication. « C’est une forme de plaisir quand nous réussissons et aussi une forme de désespoir quand nous échouons dans des dossiers. Et c’est quelques fois un épuisement », explique-t-il avec émotion.
En Lot-et-Garonne, où 9 édiles sur 10 dirigent des communes de moins de mille habitants, la solitude rend le mandat compliqué à vivre. Le mandat est chronophage et la charge mentale extrême. Depuis la crise du Covid, ils sont sur le pont en permanence et aujourd’hui les démissions s’enchainent chez les élus municipaux.
Pour Laetitia Calendreau, dont c’est le premier mandat à la tête de Saint-Brice-sur-Vienne, la surprise fut de taille, mais il faut tenir : « On n’était pas armé pour affronter le Covid et la guerre en Ukraine, la crise énergétique et l’inflation. Cet engagement pris auprès de nos citoyens et pour améliorer la qualité de vie de nos territoires, on va le tenir jusqu’à la fin du mandat. »
55% des maires ne souhaitent pas se représenter à l'issue de leur mandat, selon un sondage Ifop publié à l'occasion du Congrès des maires de France. L'institut souligne qu'il s'agit d'un record en 20 ans.
Le contexte se tend, mais les administrées aussi. On déplore 1276 agressions contre des élus en 2020, soit plus de +200% par rapport à 2019 (Source : Ministère de l’Intérieur en mars 2022).
Car le paradoxe est le suivant : si les maires restent paradoxalement les élus préférés des Français, ils sont la cible de tous les mécontentements. « Si tout le monde est capable de comprendre les hausses et l’inflation, pour autant le citoyen attend beaucoup des maires et des collectivités. Il faut passer beaucoup de temps à expliquer que le maire n’a pas la baguette magique pour tout solutionner et je sens depuis la crise Covid des concitoyens beaucoup plus en détresse, énervés. Cette angoisse n’est pas facile au quotidien pour nous », explique Nicolas Patriarche, maire de Lons.
Être élu local, et souvent employé dans une entreprise, assumer ses rôles de père ou de mère, procède donc de l’exploit chaque jour renouvelé. « Une belle école cependant, explique Philippe Barry, à la fois maire de Saint-Priest et Président des maires de Haute-Vienne, et je pense que même avant d’avoir exercé les plus hautes fonctions de l’État, il serait intéressant d’avoir été élu municipal. S’être confronté au terrain via un mandat municipal permet d’aborder d’autres mandats d’une manière différente et plus concrète. »
Disputandum : « Les maires en première ligne face à la crise » avec nos invités :
- Philippe Barry, maire de Saint-Priest-sous-Aixe (87) - 1700 hab - et président des maires de Haute-Vienne ;
- Sébastien Larcher, maire de Couzeix (87) - 9.860 habitants
- Laetitia Calendreau, maire de Saint-Brice-sur-Vienne (87) - 1.680 habitants
- Nicolas Patriarche, maire de Lons (64) (près de Pau) et vice-Président Département des Pyrénées-Atlantiques - Lons : 14.000 habitants
- Stéphane Delautrette, député Haute-Vienne (PS-Nupes)
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